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La semaine de la presse et des médias à l’école

La semaine de la presse et des médias à l’école nous donne l'occasion de nous poser la question des sources de ces flux d'informations qui nous arrivent en continu. L'information est nécessaire pour comprendre le monde,
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Combinaisons en néoprène® calcaire ou en néoprène® aux coquilles d’huîtres : renouvelables ou non ?

Vous pratiquez la plongée sous-marine, le surf ou autres sports nautiques et vous utilisez des combinaisons isothermes en « néoprène® ». Au moment d’acheter votre combinaison vous vous posez la question : laquelle choisir
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Vous pratiquez la plongée sous-marine, le surf ou autres sports nautiques et vous utilisez des combinaisons isothermes en « néoprène® ». Au moment d’acheter votre combinaison vous vous posez la question : laquelle choisir qui soit à la fois performante et respectueuse de l’environnement ? Une recherche sur Internet avec le mot-clef « néoprène » vous propose des alternatives écologiques à leur fabrication.

Voici quelques propositions trouvées et reprises de très nombreuses fois sur Internet par les services commerciaux de vendeurs de combinaisons.

Alors décryptons tous ces mots et posons-nous la question : comment peut-on fabriquer une combinaison en néoprène® à partir de pétrole ou à partir de calcaire et celle-ci est-elle une alternative écologique ?

Tout d’abord qu’est-ce que le néoprène® ? [1] [2]

C’est un nom commercial (iv) devenu un nom courant pour désigner le caoutchouc de polychloroprène (noté souvent par le sigle CR pour Chloroprène Rubber). Il n’existe pas dans la nature (v), c’est donc un produit de synthèse.

Il faut disposer d’une molécule monomère, le chloroprène (vi), qui pourra réagir sur elle-même un très grand nombre de fois pour former de très longues chaines moléculaires où les atomes de carbone s’enchainent, pour conduire au polymère, le polychloroprène (cf. figure1).

chloroprène
polychloroprène
(n peut être de plusieurs milliers)
H2C=CH-CCl=CH2
-(CH2-CCl=CH-CH2)n-

Figure 1

 

Il faut donc tout d’abord créer le chloroprène.

Il existe 2 voies de synthèse : soit à partir du pétrole (de très loin la plus répandue depuis 1960) soit à partir d’un mélange de calcaire et de charbon [1] [2] [3] [4].

La première voie passe par l’obtention de butadiène molécule obtenue en très grande quantité (vii) au cours du vapocraquage des essences légères issues du pétrole (viii)(ix).

La deuxième voie passe par l’obtention d’acétylène à partir de calcaire ou limestone (x) et de charbon. Le calcaire est du carbonate de calcium CaCO3 et le charbon est la source de carbone C. 


Tableau comparatif des 2 voies par Françoise Brénon

 

Les atomes de carbone surlignés en jaune (C) proviennent du carbonate de calcium, ceux surlignés en turquoise (C) proviennent du charbon et ceux surlignés en rose (C) proviennent du pétrole. Mais bien sûr, la molécule de chloroprène qu’elle soit dérivée du pétrole ou du calcaire est chimiquement unique. Les atomes de carbone n’ont pas de mémoire !

Et observons que le carbone contenu initialement dans le calcaire se trouve dans CO2 formé (réaction 1).

Alors cette deuxième voie est-elle plus respectueuse de l’environnement ?

Certes elle n’utilise pas de pétrole, ressource non-renouvelable. Mais les mines de calcaire non plus ne sont pas renouvelables et surtout les atomes de carbone provenant du carbonate de calcium se trouvent dans  CO2 dégagé ! Au total, pour cette voie, le dioxyde de carbone formé provient pour moitié du carbonate, CO2, cf. réaction (1) et pour l’autre moitié du charbon CO2, cf. réactions (3 et 3’).

Enfin ce procédé très énergivore soulève la question de l’énergie électrique utilisée : est-elle verte et renouvelable, ou non ?

Peut-on dire que « le néoprène calcaire se compose à 99.7% de carbonate de calcium ? »

Cette phrase qui apparait dans de nombreuses communications commerciales n’a pas de sens : elle laisserait à penser que la combinaison est essentiellement constituée de calcaire pratiquement pur ce qui est absurde ou que les atomes de carbone du polychloroprène sont ceux issus du carbonate CaCO3, ce qui est faux.

En effet, pour que le carbonate de calcium soit considéré comme la matière première durable de la fabrication du néoprène, il aurait fallu que l’atome de carbone contenu dans CaCO3 soit la source des atomes de carbone qui constituent la chaine polymérique du néoprène. Or il n’en est rien : le carbone présent dans la chaine du néoprène -(CH2-CCl=CH-CH2)n- provient exclusivement du charbon. On devrait plutôt l’appeler le néoprène charbon !

Remplacer le calcaire des mines par des coquilles d’huîtres : quelle conséquence ? Cela rend effectivement le carbonate de calcium renouvelable, mais cela s’accompagne toujours du même dégagement de CO2 et ne change pas la source des atomes de carbone du chloroprène.

Quant à l’obtention de carbone, nécessaire à la réaction (2) issue de coke, elle est très polluante. Celle à partir de charbon de bois l’est moins et est biosourcée, mais peut être source de déforestation.

Le néoprène limestone est-il biologique ?

Le terme biologique signifie « Qui a rapport à la vie, aux organismes vivants ». Alors, affirmer que le néoprène calcaire ou limestone issu de mines est un néoprène biologique traduit ici une utilisation inappropriée voire trompeuse du terme biologique !

C’est la double utilisation de la coquille d’huître et de carbone biosourcé, ce qui n’est pas cité dans les articles, qui permettrait de donner à cette fabrication un caractère renouvelable (tout en restant très énergivore et en libérant du CO2).

Comment passe-t-on aux mousses néoprène ?

C’est en réalité ces étapes qui vont différencier les qualités des mousses dont sont faites les combinaisons.

Tout d’abord le chloroprène est polymérisé en polychloroprène (xi). Il existe plusieurs grades et viscosités de polychloroprènes. Il est à noter que le chloroprène est fabriqué seulement pour la synthèse du polychloroprène et qu’il existe peu de producteurs dans le monde (xii).

Les fabricants de mousse achètent le polychloroprène aux producteurs précédents. Pour réaliser la mousse, ce polymère est mélangé avec une huile qui sert de liant, des charges renforçantes comme le noir de carbone (xiii), des réactifs pour mener à bien la vulcanisation (xiv), c’est-à-dire créer des ponts entre les différentes chaines de polychloroprène, et divers additifs (xv) dont un générant des bulles de gaz in situ, pour conduire à des mousses alvéolées vendues sous formes de feuilles de différentes épaisseurs.

Le noir de carbone peut provenir de pneus recyclés qui vont subir d’abord une pyrolyse (xvi) [5].

Les procédés mis en jeu peuvent fortement varier d’un fabricant (xvii) à l’autre et vont conduire à des mousses néoprène de différentes qualités.

Et la combinaison ?

Le fabricant de combinaisons achète et sélectionne la qualité et l’épaisseur des feuilles de mousse de néoprène et les associe à des tissus extensibles (xviii) en plusieurs couches contre collées. Les étapes finales sont du ressort de la confection. La qualité des coutures, assemblage cousu-collé est importante pour l’étanchéité.

Alors quelle alternative au pétrole ou au charbon pour une combinaison néoprène ?

Utiliser par exemple des déchets ou résidus agricoles constituant une biomasse pour obtenir un butadiène biosourcé [6].

Les sociétés Michelin, IFPEN et Axens sont très impliquées dans cette approche à partir d’éthanol issu de cette biomasse et démarrent une unité expérimentale en France en 2024 (xix). Ce procédé présente globalement une très faible émission de gaz à effet de serre. Le chloroprène obtenu à partir de ce butadiène biosourcé serait une piste plus écologique.

Et dans une approche d’économie circulaire il faut récupérer les combinaisons usagées. Actuellement des filières se mettent en place. Pour le moment, certaines combinaisons sont broyées mais le résidu est utilisé dans d’autres applications (xx).

Remarque : il existe d’autres combinaisons pour les sports nautiques utilisant par exemple du caoutchouc naturel (naturel rubber NR) ou des mélanges. Elles ne doivent pas porter le nom de néoprène synonyme de polychloroprène. Certains noms commerciaux ambigus sont aussi des sources de confusion.

Conclusion

Il ne faut pas se laisser tromper par les termes chocs utilisés à mauvais escient sans prise en compte de la réalité scientifique comme argument de vente mais il faut développer son esprit critique. Afin de prouver techniquement et scientifiquement que l’option retenue puisse être déclarée « plus respectueuse de l’environnement », il est nécessaire de réaliser l’analyse du cycle de vie du produit fini intégrant toutes les étapes de fabrication et elle doit prendre en compte une multitude de critères selon les principes de la chimie verte [7].

Par exemple tenir compte ici :

  • du bilan énergétique global selon les deux voies, sans oublier l’extraction du calcaire ou le ramassage des coquilles et du transport à l’usine pour la voie acétylène ;
  • du type de source de carbone dans le cas de la voie acétylène à comparer à la source pétrole ;
  • des émissions de dioxyde de carbone et leurs éventuelles compensations lors de l’usage de réactifs biosourcés.

Françoise Brénon et Gérard Roussel

 

 

(i) https://yamamoto-bio.com/material-e/sus2.html

(ii) Des combinaisons de surf à base de coquilles d’huître, ADEME Magazine (mars 2021) ADEME, Agence de la transition écologique.

(iii) Par exemple dans Ouest France sous le titre « Des combinaisons marines fabriquées avec des coquilles d’huîtres » (publié le 2/06/2021) et dans Le Parisien avec le titre « A La Rochelle, une combinaison de surf fabriquée à base de coquilles d’huîtres » (publié le 1/02/2020)

(iv )Néoprène est un nom de marque de la compagnie américaine Dupont, donné dès 1930, à son produit à base de polychloroprène.

(v) Contrairement au caoutchouc naturel, (NR, pour Natural Rubber), obtenu à partir de la sève de l’hévéa.

(vi) En nomenclature il s’appelle le 2-chlorobuta-1,3-diène

(vii) Le butadiène est aussi très utilisé pour l’obtention d’autres caoutchoucs synthétiques et 40 % de sa production est consommée par les pneumatiques.

(viii) Raffinage pétrolier, fiche pédagogique sur le site Connaissancedesenergies.org

(ix) Vapocraquage = cassures de molécules en présence de vapeur d’eau, pour obtenir des molécules de longueur plus courtes. La température est voisine de 700 °C et varie selon la composition de l’essence légère dont on part. https://lelementarium.fr/focus/vapocraquage-des-hydrocarbures/ et https://fr.wikipedia.org/wiki/Vapocraquage

(x) Limestone est le mot anglais pour calcaire.

(xi) Exemples de grades de polychloroprène société DENKA (Japon)

(xii) Les fabricants de chloroprène et de polychloroprène sont, en 2024, Asahi Kasei (Japon), BRP Manufacturing (USA), Canada Rubber Group, Chongqing Changshou Chemical (Chine), Denka (Japon) qui a repris l’activité de Dupont de Nemours aux USA en 2014 et produit le CR aux USA à partir du butadiène, et au Japon à partir du calcaire et du charbon (voir page 9 et 10 de General Introduction and Some Advances on Denka Neoprene® Latex (PDF)), ARLENXEAO (Pays-Bas / France), Macro International (USA), SHOWA DENKO K.K. (Japon), Tosoh (Japon) et Zenith Industrial Rubber Products (Inde).
Sources : https://www.researchandmarkets.com/reports/5143078/global-neoprene-market-2020-2024?w=4 et https://www.usinenouvelle.com/article/arlanxeo-totalement-aux-mains-de-saudi-aramco.N1240402

(xiii) L’ajout de noir de carbone donne la couleur noire aux combinaisons. Mais c’est surtout un excellent agent de protection contre les UV et l’abrasion et il apporte une ténacité à la mousse caoutchoutique. Il peut représenter 30 % de la mousse.

(xiv) Le système de vulcanisation contient de l’oxyde de zinc ZnO, de l’acide stéarique, du soufre ou produits soufrés et des accélérateurs de vulcanisation.

(xv) Parmi ces additifs on trouve des antioxygène, anti-ozone, ignifugeant et des composés générant un gaz (azote en général).

(xvi) La pyrolyse des pneus, préalablement broyés, consiste en une décomposition chimique par une très forte augmentation de température en l'absence d'oxygène, pour conduire à du carbone.

(xvii) Le leader mondial du marché dans la production de mousse néoprène pour combinaison est la société SHEICO basée à Taïwan et qui a ses usines dans l’Asie du Sud-Est.

(xviii) Fibres synthétiques telles que le polyester ou l’élasthanne dérivé du polyuréthane.

(xix) Inauguration d’un démonstrateur en janvier 2024. Voir https://www.ifpenergiesnouvelles.fr/article/inauguration-du-1er-demonstrateur-industriel-francais-production-butadiene-partir-dethanol-biosource et le schéma réactionnel sur le site de l’IFPEN.

(xx) https://surfwear.sooruz.com/webshop/fr/153-recyclage-combinaison-surf
 

 

Pour en savoir plus
[1] Le néoprène, L. Dollinger et P. Ledesma-Diaz-Caneja (2017) sur le site Ramène ta science (Chimie Paris ParisTech PSL)
[2] Manufacture and use of chloroprene monomer, M Lynch, Chemico-Biological Interactions, 135-136 (2001) pp. 155-167
[3] Chloroprène par la voie du pétrole sur le Portail Substances Chimiques de l’INERIS
https://substances.ineris.fr/fr/substance/getDocument/2557 (PDF)
[4] The footprint chronicles: green neoprene? (PDF) 2012 Patagonia
[5] Vidéo d’obtention de la mousse de néoprène (en anglais) par la société Sheico disponible sur YouTube
[6] Les chimistes dans : La chimie du végétal comme substitut du pétrole, F. Brénon et G. Roussel, Série Les Chimistes dans (Mediachimie.org)
[7] La chimie peut-elle se mettre au vert ?, Eric Bausson, Dossier pédagogique Éditions Nathan / Fondation de la Maison de la Chimie (Mediachimie.org)

 

Crédit illustration : Kate Baucherel / Pixabay, licence de contenu Pixabay

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L’ouvrage Chimie et matériaux stratégiques est en ligne

L’ouvrage disponible Chimie et matériaux stratégiques est disponible en ligne en PDF. Retrouvez tout le colloque en détail : les vidéos, les chapitres des conférences, les quiz… La civilisation est née avec les
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L’ouvrage disponible Chimie et matériaux stratégiques est disponible en ligne en PDF.

Retrouvez tout le colloque en détail : les vidéos, les chapitres des conférences, les quiz…

Chimie et matériaux stratégiques - EDP Sciences

La civilisation est née avec les matériaux ; elle risque maintenant de mourir si l’humanité ne sait plus les gérer. En effet, leurs usages ont complètement changé depuis les dernières décennies.

Citons les deux raisons majeures :

  1. Matériaux et rareté des matières premières, cela va ensemble, l’usage des métaux le montre depuis la préhistoire, la gestion des forêts aussi, origine de l’effondrement de grandes aventures humaines ! Et cette rareté nous guette car de mille côtés, les besoins de nouvelles technologies se développent pour la transition énergétique, pour le numérique... Rareté, cela signifie disparition possible et donc « catastrophes », d’où l’emploi du qualificatif « stratégique » pour ce colloque.
  2. Le réchauffement climatique, dont plus personne ne doute, impose des contraintes exceptionnelles sur les besoins en matériaux. Les énergies solaire ou éolienne, par exemple,réclament des métaux « rares » dont la pérennité n’est pas assurée. L’impératif de lutter contre l’émission du CO2 accroît considérablement les besoins de nouveaux matériaux (biosourcés par exemple), car les procédés de fabrication doivent être revus en profondeur et faire exploser les besoins en matériaux. Le recyclage doit être mis au point pour rendre tout cela compatible.

    Des spécialistes des diverses disciplines appelés à la manoeuvre (minéralistes, polyméristes, biologistes, ingénieurs) se mobilisent dans cet ouvrage pour analyser cette complexité, qui est l’enjeu vital de notre époque. Ils mettent à la portée des étudiants et des chercheurs les points prioritaires de la recherche en chimie pour « matériaux stratégiques  » devenue aujourd’hui vitale.

    Commander le livre sous format papier.

    Retrouvez les derniers colloques Chimie et… dans l’Espace Colloques.

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    Sélection des participants au GPJJC 2024

    Le 29 janvier dernier, le jury du GPJJC (Grand Prix des Jeunes Journalistes de la Chimie) s’est réuni à la Fondation pour sélectionner les 4 binômes qui allaient participer à l’édition 2024 du GPJJC. Les 4 dossiers
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    Le 29 janvier dernier, le jury du GPJJC (Grand Prix des Jeunes Journalistes de la Chimie) s’est réuni à la Fondation pour sélectionner les 4 binômes qui allaient participer à l’édition 2024 du GPJJC.

    Les 4 dossiers retenus sont les suivants.

    • Comment les PHAs peuvent permettre à la France d’atteindre l’objectif zéro pollution plastique ?
      Sarah Costes et Roméo Marmin – École publique de journalisme de Tours (EPJT)
    • Comment la mécanochimie veut-elle verdir la fabrication de nos médicaments ?
      Candice Antiga et Taslime Maazouzi – Centre de formation des journalistes (CFJ) Paris
    • L’utilisation des nouvelles techniques d’imagerie chimiques pour étudier les peintures archéologiques
      Caroline Barathon et Cléa Dubray – École de journalisme de Grenoble (EJDG)
    • Décarbonation du ciment, se passer du clinker pour diminuer les émissions de CO2
      Morgane Anneix et Juliette Laffont – École de journalisme Sciences Po Paris

    La prochaine étape sera la rencontre avec le jury le 12 mars prochain à la Fondation, puis trois mois d’investigations pour produire un article et une vidéo.

    Nous souhaitons bonne chance aux 4 binômes qui vont concourir.

    Rendez-vous en juin pour visionner et lire les productions et surtout connaître le binôme vainqueur du GPJJC 2024.

    - Éditorial
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    Des matériaux pour des sauts olympiques

    J’avais dans un premier temps voulu intituler cet édito une chimie pour s’envoyer en l’air mais des interprétations ambiguës pouvaient complétement dénaturer le propos. Il s’agit bien ici en 2024 de parler des épreuves
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    J’avais dans un premier temps voulu intituler cet édito une chimie pour s’envoyer en l’air mais des interprétations ambiguës pouvaient complétement dénaturer le propos. Il s’agit bien ici en 2024 de parler des épreuves olympiques qui permettent à certains athlètes de s’élever loin du sol et de vaincre la pesanteur pour établir un nouveau record. Deux épreuves retiennent notre attention, l’une discipline olympique depuis 1896 lorsque le baron Pierre de Coubertin l’introduit dans les premiers Jeux olympiques de l’ère moderne, le saut à la perche, l’autre plus récente intégrée aux Jeux de Sydney en 2000 est la version gymnastique d’un jeu de jardin, le trampoline.

    Le saut à la perche

    Utilisé dans la Grèce antique comme moyen pour franchir les ruisseaux à l’aide de longues tiges de bois on en retrouve trace dans des jeux irlandais vers 550 av. J.-C. sous forme de saut en longueur. Au XVIIIe siècle aux Pays-Bas, le Fierljeppen est un jeu consistant à franchir une rivière avec une longue perche de plusieurs mètres. Ce n’est que fin du XIXe siècle que les sauts en longueur laissent la place aux sauts en hauteur avec une impulsion du coureur vers le haut et non plus horizontale. Intégré dans les championnats anglo-saxons les règles s’imposent progressivement et en 1892 les championnats de France couronnent un stadiste avec un saut à 2,41 m. En 1896 c’est un Américain William Hoyt qui remporte la médaille d’or des premiers Jeux avec un saut à 3,30 m.

    Commence alors la course aux matériaux pour la perche. Au départ perches en bois rigides peu flexibles puis en Bambou un matériau composite naturel (1) qui plie sans nécessairement se rompre. Viennent ensuite des alliages d’aluminium et de cuivre dont les coefficients d’élasticité ont été optimisés et enfin des perches en composites avec des nappes de fibres de verre cylindriques bien collées par des polyesters et mieux encore des fibres de carbone tressées et enserrées dans un polymère (2). Ces dernières perches peuvent se plier largement et se déplier en lançant l’athlète vers le haut. C’est très grossièrement un réservoir d’énergie car il s’agit bien dans cette compétition d’accumuler et de restituer le maximum d’énergie.

    Pour un athlète de 80 kg et pour sauter à 5 m il faut 80 x 10 x 5 = 4000 J avec une seule impulsion. Un athlète capable de développer 1,3 kW en 0,3 seconde (saut à pieds joints) n’atteindra que 70 cm. Il faut donc une course d’élan qui va donner une énergie cinétique Ec = ½ mv2, une énergie potentielle de l’athlète capable avec les bras et les muscles des abdominaux de se retourner et de pointer vers la barre, Ep, et bien sûr l’énergie de flexion restituée par la perche vers le haut Ef.


    L’équation totale est alors Etotale = Ec + Ep + Ef qui permet en une seconde d’atteindre la puissance (i) nécessaire pour sauter 5 m et plus. La perche en composite absorbe et restitue l’énergie comme un arc qui a été tendu et qui va lancer une flèche vers la cible. Les perches en composites doivent allier rigidité et flexibilité, elles ont une longueur comprise entre 5 et 6 m et pèse environ 20 kg (3). C’est pourquoi on voit au début de la course d’élan le sauteur porter la perche verticalement et l’abaisser progressivement avant de l’enfoncer dans le butoir et de donner son impulsion vers le haut. C’est un moment crucial car la propulsion doit être dirigée vers le haut et vers l’avant sinon le sauteur s’expose à un « retour piste » très dangereux car il retombe sur la piste et non sur les matelas de mousse en polyester de l’autre côté du sautoir. Discipline très exigeante, ce n’est que depuis 2010 que les recordmen tutoient les 6 mètres ; d’abord l’ukrainien Sergueï Bubka, puis le français Renaud Lavillenie et depuis 2023 Le Suédois Armand Duplantis à 6,23 m. Y a-t-il encore des degrés de progression ? Seuls l’entrainement et la recherche en matériaux nouveaux nous l’apprendront.

    Le trampoline

    C’est dans les années 1930 qu’un jeune américain Georges Nissen, en voyant au cirque les trapézistes se laisser tomber dans un filet, a l’idée de fabriquer un appareil qui leur permettrait de rebondir avec un tissu accroché à un cadre rigide par des ressorts. Avec trois amis il fait une tournée aux États-Unis et au Mexique pour populariser son invention qui est baptisée « el trampolin » en espagnol. C’est en 1941 qu’il crée la première société de fabrication des trampolines qui sont utilisés pour l’entrainement des pilotes, et c’est après 1950 que des épreuves de trampoline sont intégrées dans les compétitions universitaires d’athlétisme. Les premiers championnats du monde voient le jour en 1964 et en 1980 le trampoline est intégré comme sport de démonstration dans les Jeux olympiques et ne devient sport olympique qu’en 2000 aux Jeux de Sydney.

    Le trampoline de compétition est constitué d’un cadre métallique de 4x2 m situé à 1,15 m du sol et entouré de matelas de mousse de polyester pour la sécurité des gymnases. Le tapis de sol est en polypropylène avec des mailles très serrées (260 g/m2(4) accroché par des œillets métalliques au cadre par 120 ressorts en acier dur à teneur en carbone supérieure à 0,45% et souvent galvanisés (5). Les athlètes par impulsion sautent sur le tapis de saut qui avec les ressorts leur restituent de l’énergie et peut les propulser à chaque impulsion à plus de huit mètres en hauteur. Les acrobaties et figures dans les airs, sauts périlleux, retournés, rouleaux, etc. sont appréciés par un jury qui donne une note technique et artistique. Les champions olympiques 2020 sont Ie biélorusse Ivan Litvinovich et chez les femmes la chinoise Zhu Xueying. En 2024 la compétition doit se dérouler à l’Arena Bercy le 2 août. En fait c’est plutôt l’activité de loisirs qui a entrainé les compétitions. On trouve pour quelques centaines d’euros des trampolines de jardin de formes carrée ou circulaire avec un tapis de saut protégé par des coussins et un filet de protection pour la sécurité des enfants. Les salles de sport ont aussi installé des « jumping fitness » où il s’agit de faire des exercices de sport sur trampoline, une séance de 15 minutes remplaçant le jogging.

    Dans ces deux sports, le saut à la perche et le trampoline, les forces musculaires alliées à la technologie des matériaux sont une belle démonstration de l’énergie déployée, conservée et amplifiée, non seulement pour atteindre des records mais pour décrire des trajectoires et sauts de toute beauté.

    Jean-Claude Bernier
    janvier 2024

    (i) La puissance est l’énergie libérée pendant un certain temps.

     

    Pour en savoir plus
    (1) Les matériaux composites dans le sport,Y. Rémond et J.-F. Caron, in La chimie et le sport (EDP Sciences, 2011) isbn : 978-2-7598-0596-9
    (2) Les matériaux de la performance, C. Agouridas, J.-C. Bernier, D. Olivier et P. Rigny, in La chimie dans le sport, collection Chimie et... Junior (EDP Sciences, Fondation de la Maison de la Chimie, 2014), isbn : 978-2-7598-1238-7
    (3) Les matériaux dans le sport, (r) évolutionnaires !, P. Bray, O. Garreau et J.-C. Bernier, Fiche Chimie et... en fiches (Mediachimie.org)
    (4) Les textiles et les vêtements pour le sport, C. Agouridas, J.-C. Bernier, D. Olivier et P. Rigny, in La chimie dans le sport, collection Chimie et... Junior (EDP Sciences, Fondation de la Maison de la Chimie, 2014), isbn : 978-2-7598-1238-7
    (5) Corrosion des métaux et protection, D. Soissons, Dossier pédagogique Nathan / Mediachimie (Mediachimie.org)
     

    Crédits illustrations : Perche par andreas N / Pixabay ; Trampoline, Finale Jeux olympiques de la jeunesse d'été de 2018, Martin Rulsch, CC BY-SA 4.0, Wikimedia Commons

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    Chimie et Sports

    Dans les compétions sportives, les résultats dépendent autant des performances du corps (énergie musculaire) que de la volonté de gagner (chimie de notre cerveau) et de la qualité technique du matériel utilisé.
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    Dans les compétions sportives, les résultats dépendent autant des performances du corps (énergie musculaire) que de la volonté de gagner (chimie de notre cerveau) et de la qualité technique du matériel utilisé.

    Mediachimie vous propose une page dédiée à la chimie et au sport avec une sélection de ressources pour découvrir et comprendre pourquoi la chimie occupe une place si importante dans le domaine du sport de haut niveau.

    Ne ratez pas le prochain Colloque de la Fondation  « Chimie et sports en cette année olympique et paralympique » qui se tiendra le mercredi 7 février 2024.

    Afin de préparer votre venue, nous vous proposons de tester vos connaissances ainsi que celles de vos élèves au travers d’un quiz « sport et chimie » ludique et instructif.