Collection : Questions du Mois
Mots clés : olfaction, Guyton de Morveau, odorat du chien, nez électroniques, odeurs des limonènes
Qu’est-ce qu’une odeur ? Quelques éléments de réponse

« Cela sent mauvais » entend-on souvent !

Un exemple anecdotique illustre le rôle de la chimie. En 1773, lors d’un hiver rigoureux, on ne pouvait plus enterrer les cadavres tellement le sol était gelé et les cadavres (recouverts de chaux) furent stockés dans les caves de l’église Saint-Étienne de Dijon. Mais au bout de quelques jours l’odeur devint insupportable de sorte que l’on dut fermer l’église. Ceci était dû aux amines volatiles, par exemple la pentadiamine : H2N-(CH2)5-NH2 qui provenaient de la décomposition biochimique des cadavres.

Guyton de Morveau eut l’idée d’utiliser une grande quantité de sel (NaCl) à chaud en présence d’acide sulfurique. Ceci a généré du chlorure d’hydrogène (HCl) gazeux qui a réagi avec les amines volatiles (par réaction acidobasique) pour donner des chlorures d’ammonium solides ; et toute mauvaise odeur avait disparu au bout d’une journée ! [1]

L’odorat a été très longtemps un sens méconnu et même mystérieux. Pour rationaliser les phénomènes olfactifs tous les domaines de recherche ont été concernés : la biologie moléculaire, la biochimie, la physiologie, les sciences cognitives et sociales (étude du langage lié à la description des odeurs !) et bien sur la chimie en particulier dans le domaine des parfums.

La perception olfactive (ce que l’on sent) est due à des centaines de molécules volatiles odorantes de natures très variées et dépend fortement des caractéristiques structurales des molécules à savoir leur taille, forme, mais aussi des groupes fonctionnels de la chimie (alcools, aldéhydes, amines thiols…). L’olfaction (ou la perception des odeurs) résulte d’une interaction d’une molécule odorante avec le récepteur suivie d’une cascade d’évènements moléculaires qui conduisent à la transmission du signal par une cellule sensorielle spécifique, située dans l’épithélium nasal, vers des microdomaines du bulbe olfactif situé à la base du cerveau (la surface correspondante est de 2,5 cm2 !) Les travaux de Richard Axel et de Linda Buck sur le fonctionnement de l’olfaction ont valu aux deux chercheurs le Prix Nobel de Médecine en 2004.

Chaque personne présente une sensibilité relative et la parfumerie n’obéit qu’à peu de règles clairement établies et c’est là l’art du parfumeur créateur ! [2a]

Le nez humain se révèle être un détecteur des molécules odorantes plus sensible que beaucoup de capteurs physicochimiques et le nombre d’odeurs différentes détectées peut atteindre jusqu’à 10.000 pour un professionnel entraîné et ceci à des concentrations extrêmement faibles (pour se fixer une idée cela correspondrait à une masse de 4 µg dans un volume équivalent à celui d’une piscine olympique) ! [2b]

L’odorat du chien est 30 à 40 fois supérieur à celui de l’homme avec une portée allant jusqu’à 20 km, ceci est dû au fait que le chien contient 200 millions de récepteurs olfactifs contre seulement 5 millions pour l’homme !

L’évolution des outils informatiques a permis de créer un nez électronique. Il est constitué d’un capteur électronique, d’un système d’acquisition, de traitement des données et d’un algorithme de classification permettant de donner les résultats.

Par exemple pour des personnes en bonne santé, l’ammoniac, qui est un déchet produit par l'organisme, est converti en urée dans le foie puis l’urée est transportée dans l’urine par les reins. Pour les personnes atteintes d’une insuffisance rénale chronique, l’urée accumulée est dégradée en ammoniac et se retrouve dans l’air qu’elles exhalent. La mesure de la concentration de cet ammoniac exhalé est une méthode simple, non invasive de la détection de l’insuffisance rénale. Les concentrations sont de quelques ppm (parties par million) ou ppb (parties par milliard) et les capteurs sont suffisamment capables de détecter cette odeur : pour des concentrations dans l’haleine supérieures à 1,6 ppm la personne est malade. [3]

Les huiles essentielles sont constituées en particulier de terpènes(i) qui existent dans la nature essentiellement dans une structure donnée. Le limonène(ii) est parmi ceux-ci le plus abondant dans le règne végétal. Il est présent dans plus de 300 huiles essentielles ! De formule C10H16, il existe sous deux structures isomères qui sont images dans un miroir (on dit qu’elles sont chirales) et sont appelées souvent D et L. Le limonène D est le plus répandu dans les agrumes au contraire du limonène L. On a longtemps cru que l’odeur du citron était due au limonène L et que celle d’orange était due à son image D.

Les progrès de la recherche au cours des trente dernières années ont permis de comprendre le rôle de la chiralité dans des réactions biologiques. Ce sont principalement le résultat d’associations entre une molécule chirale (que l’on peut schématiser par une clé) et une protéine qui contient elle-même des cavités chirales (que l’on peut assimiler à une serrure). La reconnaissance moléculaire peut être définie ici comme la reconnaissance sélective d’un des deux isomères : la bonne clé actionnant la bonne serrure ! L’analyse chromatographique en phase gazeuse par exemple utilise des phases chirales permettant une analyse de deux isomères chiraux. C’est ainsi qu’on a pu montrer que l’isomère L ne possède pas d’odeur de citron, de même l’isomère D n’a pas l’odeur d’orange. L’odeur de citron dans le citron est due à d’autres terpènes présents à raison de 2% de citral et de géranial ! [4]

La chimie a permis d’apporter des progrès considérables dans la parfumerie par la synthèse de molécules odorantes qui n’existent pas dans la nature (par exemple des aldéhydes à chaîne longue). La 1re utilisation d’aldéhydes synthétiques a été faite lors de la création du parfum N°5 de Chanel composé autour de la rose et du jasmin et exalté par ces aldéhydes(iii) qui lui conférent une présence unique : Marilyn Monroe déclarait s’endormir avec simplement quelques gouttes de ce parfum !

 

(1) Un terpène est un hydrocarbure de formule générique (C5H8)n présentant des chaines linéaires et pouvant aussi présenter des cycles.

(2) Le limonène présente un cycle et un carbone asymétrique conduisant à 2 isomères images par rapport à un miroir plan.

Limonène D et limonène L

(3) Un aldéhyde à chaine longue est une longue chaine hydrocarbonée (R ) présentant à son extrémité le groupement fonctionnel H-C=O :

groupe fonctionnel H-C=O

Par exemple les aldéhydes présents dans le parfum Chanel ont une chaine R à 11 atomes de carbone C11H23CHO


Éléments de bibliographie

[1] Traité des moyens de désinfecter l'air, de prévenir la contagion et d'en arrêter les progrès, L.-B. Guyton-Morveau, pp 7-10 sur Gallica

[2a] Les secrets de l’olfaction – Voyage au cœur du sens de l’odorat , C. de March,  colloque Chimie et alimentation (12 février 2025)

[2b] De la molécule à l’odeur : les bases moléculaires des premières étapes de l'olfaction, U.J. Meierhenrich et al., L’Actualité Chimique N°289 (août-septembre 2005) pp. 29-40

[3] Fiche n° 90 : Des nez électroniques pour diagnostiquer des pathologies par analyse de composés gazeux dans l’haleine de patients, J.L. Wojkiewicz et al., L’Actualité Chimique (Un Point Sur) N°468 (décembre 2021) pp. 67-68

[4] Retour sur quelques idées reçues : les propriétés olfactives des énantiomères du limonène et l’inviolabilité de la règle de Bredt - J.P. Foulon et J. Lalande, L’Actualité Chimique N°501 (février 2025) pp. 31-33

 

Crédit illustration : DimaBerlin / Adobe Stock

 

Auteur(s) : Jean-Pierre Foulon
Niveau de lecture : pour tous
Nature de la ressource : Question du mois

Voir plus

Sur le même sujet


Source URL: http://www.mediachimie.org/ressource/qu’est-ce-qu’une-odeur-quelques-éléments-de-réponse