Les abeilles sont indispensables par le service qu'elles rendent à la pollinisation : sans leur présence, nous perdrions 70 % des espèces cultivées en Europe. Mais leur disparition est bien évidemment préjudiciable à la production du miel. La France ne produit que le tiers de ses besoins en miel qui sont de 40.000 tonnes/an. Elle est donc obligée d'en importer. Or le miel est un produit onéreux : il est donc tentant pour les fournisseurs de proposer des produits de moindre coût de revient en les présentant comme des miels de qualité et d'origine conformes. C'est ce qu'on appelle l'adultération du produit. Il est important de contrôler la qualité des miels sur notre marché (1) [4].
Son histoire (2) est très ancienne : le mot vient du latin mel, lui-même dérivé du grec μελί (meli). L'abeille est apparue sur Terre il y a environ 80 millions d'années, et le miel est le premier produit sucré découvert par l'espèce humaine. Les hommes préhistoriques le trouvaient dans les troncs d'arbres ou sous des rochers. Les civilisations les plus anciennes ont adopté le miel, lui attachant systématiquement une grande portée symbolique. Ainsi, les sumériens et les habitants de Babylone l’utilisaient au cours de leurs cérémonies religieuses, tout comme les Égyptiens qui s’en servaient pour l’embaumement des morts. L'abeille était alors considérée comme une véritable « messagère des dieux ». Dans certaines cultures, le miel était considéré comme l’aliment des aliments. Dans l'Odyssée, dès qu'Ulysse est accueilli quelque part, on lui apporte du miel, des olives et du fromage. Beaucoup voyaient en lui un véritable élixir de longue vie, et de nombreuses propriétés médicinales lui ont été prêtées au fil des âges. Il était également utilisé pour la conservation des aliments. Par exemple, au Ve siècle, l’historien Hérodote rapporte que les Grecs chassaient les faisans dans ce que l’on nomme aujourd’hui la Géorgie, et les immergeaient dans des amphores de miel pour le voyage de retour. On utilise aussi de la cire, par exemple pour imperméabiliser les récipients.
Ce n’est qu’à la fin du XVIIIe siècle qu’apparaît la ruche à cadres amovibles, qui permet à l’apiculteur de ne prélever qu’une partie des réserves sans anéantir la colonie d’abeilles. C’est une révolution. Au fil du temps, l’être humain a appris à sélectionner les miels en fonction des dates de floraison, pour obtenir des parfums très variés. Ainsi, on peut aujourd’hui répertorier plusieurs dizaines de miels de qualités organoleptiques différentes (trèfle, lavande, thym, sapin, montagne...).
Le miel (3)(4) est une substance sucrée élaborée par les abeilles à miel à partir du nectar (i). L'élaboration du miel commence dans le jabot de l'ouvrière, pendant son vol de retour vers la ruche. L'enzyme invertase (ii) présente dans le jabot, catalyse l'hydrolyse du saccharose qui donne du glucose et du fructose (fig. 1). Arrivée dans la ruche, la butineuse régurgite le nectar à une receveuse, qui le régurgitera et le ré-ingurgitera en le mêlant à de la salive et des sucs digestifs. Il est alors stocké dans les alvéoles et déshydraté par la ventilation assurée par certaines abeilles. Il arrive à maturité lorsque la concentration en eau est inférieure à 18 %, et sa durée de conservation est alors extrêmement longue. Pour produire 500 g de miel, les abeilles doivent effectuer plus de 17 300 voyages, visiter 8,7 millions de fleurs, rapporter 2 kg de nectar, le tout représentant plus de 7 200 heures de travail. Elles l'entreposent dans la ruche et s'en nourrissent tout au long de l'année, en particulier lors de périodes climatiques défavorables.
Le Codex alimentaire (5) donne les compositions maximales ou minimales en différents composés chimiques qui elles-mêmes dépendent de l’origine florale et géographique du miel. Ainsi par exemple pour un miel de nectar (iii), non pressé, et de composition florale « classique » (pas de lavande, ni de bruyère, ni de luzerne ou d’eucalyptus) le pourcentage d’eau ne doit pas dépasser 20 % ; tandis que la teneur de fructose et de glucose réunis doit être supérieure à 60 % et que celle en saccharose doit être inférieure à 5 % ; la teneur en matières insolubles dans l’eau doit être inférieure à 0,1 %.
Mais d’autres glucides (iv) se retrouvent dans le miel (on a en très souvent une teneur proche de 80 %) et leur présence ainsi que leur concentration permettent de déterminer l’origine florale ou géographique du miel.
Le miel contient aussi des protéines, des enzymes et des minéraux.
Les pollens permettent aussi de déterminer l’origine (6)(7).
Le miel ne contient pas de lipides et les quantités de résidus de pesticides, d’antibiotiques doivent être inférieures à des doses définies par la Commission européenne (8).
Composés | Quantité (g/100 g) |
eau | < 20 |
Sucres Fructose + glucose saccharose | 79,8 > 60 < 5 |
Matières insolubles | < 0,1 |
Dans le monde, le premier producteur est la Chine, suivie de la Turquie, de l'Argentine, de l'Iran.
Le principal producteur de miel de l'UE est la Roumanie, suivie de l'Espagne, la Hongrie, l'Allemagne, l'Italie, la Grèce, la France et la Pologne. On trouve en France des miels AOP (Appellation d'origine protégée : Corse, sapin des Vosges) et IGP (Indication géographique protégée : Alsace, Provence).
Environ 46 % des miels importés dans l'Union européenne, principalement en provenance de Chine et de Turquie, seraient frauduleux, en particulier dilués pour en diminuer le prix et en augmenter la quantité et beaucoup contiendraient des produits toxiques (pesticides, en particulier néonicotinoïdes, chloramphénicol, métaux lourds).
D'autre part, les produits importés, en particulier de Chine et de Turquie, sont réexportés comme produits locaux, si bien qu'un tiers des miels dans l'Union européenne ne seraient pas conformes à la provenance indiquée.
En résumé les fraudes peuvent présenter plusieurs formes :
Il faut donc vérifier si ces miels sont :
Il y a longtemps que le contrôle de la qualité et l'authenticité des aliments est pratiquée. L’identification et le dosage des éléments présents se font principalement par des méthodes chromatographiques.
Ainsi par exemple la chromatographie liquide couplée en tandem à la spectrométrie de masse (LC-MS/MS) et la chromatographie gaz couplé à un temps de vol pour l’analyse en spectrométrie de masse (GC-ToF) permet de déterminer une grande quantité de résidus de pesticides (insecticides, acaricide…) ou d’antibiotiques. Ainsi on peut détecter des résidus de coumaphos, utilisé auparavant (mais maintenant interdit en France) pour lutter contre le Varroa, parasite bien connu des apiculteurs. En France, c’est le Service Commun des Laboratoires et plus particulièrement celui de Marseille qui recherche ce type de composés dans le miel.
Suivant le type de plante, le rapport isotopique 13C/12C diffère. Ainsi le miel provenant de plantes florales aura un δ13C réf de l’ordre de -28 ‰ alors que celui du sirop de maïs ou de canne à sucre est de l’ordre de -14 ‰. Ainsi une analyse élémentaire par spectroscopie de masse de rapport isotopique (EA-IRMS) peut indiquer une addition d’un sirop de sucre au miel. Pour affiner la mesure on détermine aussi la différence des rapports isotopiques des glucides (majoritaires dans le miel) et des protéines qui seront d’autant plus différents que la quantité de sirop ajouté sera grande.
Cela consiste à vendre un miel soi-disant issu de telle fleur et de tel lieu, mais qui est en réalité mélangé à un miel (moins cher) d’une autre provenance. Pour la mise en évidence de ce type de fraude, on utilise des spectres de résonance magnétique du proton (RMN 1H) (12), ou proche infrarouge (NIR), ou des chromatogrammes par détection UV-Visible après une chromatographie liquide haute performance ((HPLC-UV) (13). On utilise alors des méthodes non ciblées qui analysent l'ensemble du produit sans a priori, et qui permettent de détecter des fraudes non connues. On compare les résultats à des bases de données produites à partir d'échantillons connus et traçables. Le traitement de toutes ces données est facilité par l'apport de l'Intelligence Artificielle. Les méthodes utilisées sont des méthodes non supervisées telles que l’analyse en composante principale (PCA) ou les analyses discriminantes par les moindres carrés partiels (PLS-DA) (vii) (13). On pourra ainsi détecter l'ajout de substances de charge (sirop de sucre), d'altérations (ajout d'autres miels), et même le contrôle de l'origine géographique.
Enfin pour déterminer la provenance d’un miel, on peut aussi étudier les pollens contenus dans le miel et comparer ces pollens à la composition florale du miel. Ceci est ce qu’on appelle la mélissopalynologie (viii) (7).
D’autres méthodes ciblées complètent le tableau ; ainsi la chromatographie à échange d’anions à détection ampérométrique (HPAEC-PAD) (6) ou des mesures enzymatiques ou des mesures de photométrie permettent de déterminer les quantités de chacun des sucres présents (glucose, fructose, maltose, HMF (ix) …).
Il existe des laboratoires spécialisés dans ces contrôles, comme le Centre de Compétence Authenticité Eurofins de Nantes (14)(15). Sur dix produits susceptibles d'adultération, le miel est en bonne place, avec l'huile d'olive, le vin, les épices, les cafés et thés. Historiquement, c'est en 1981 qu'a été inventée à Nantes la méthode SNIF-NMR® (Site-specific Natural Isotopic Fractionation studied by deuterium Nuclear Magnetic Resonance) pour le vin et l'alcool. Le laboratoire Eurofins a été créé en 1987, FINS étant l'acronyme français de SNIF.
L’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) a un dossier complet sur les abeilles (16).
C’est la combinaison de l’ensemble des analyses qui permet de déterminer la qualité d’un miel.
Depuis quelque temps, vous n'ouvrez plus votre poste de radio sans entendre parler du frelon asiatique : il serait de plus en plus envahissant et, par suite de son agressivité, très dangereux pour les abeilles.
Certains pesticides aussi sont responsables de la disparition des abeilles. Le cas des néonicotinoïdes est particulièrement préoccupant, car ils peuvent induire chez l'abeille des troubles de l'apprentissage et de la mémoire qui dégradent ou détruisent sa capacité à retrouver des aliments ou sa ruche, au point de parfois menacer la santé de la ruche entière. Ils sont suspectés de jouer un rôle clé dans l'effondrement mondial des populations de pollinisateurs domestiques et sauvages (17).
Et leur disparition est bien évidemment préjudiciable à la production du miel.
Photographie Bernd Amann (20/06/2015)
(i) Le nectar (du latin nectarium, breuvage des dieux !) est un suc secrété généralement par les nectaires, au cœur des plantes. Il constitue la matière première du miel. Les plantes produisant du nectar en abondance sont dites nectarifères et les plantes présentant un intérêt pour la production de miel sont dites mellifères.
(ii) L'enzyme inverse le pouvoir rotatoire [α] D20, qui passe de +66,5° pour le saccharose à -39,3° pour le mélange glucose (+52,7°) + fructose (-92°).
(iii) Il existe des miels de nectar mais aussi de miellat (miel de sapin, par exemple : le miellat est fabriqué par les pucerons sur les sapins).
(iv) Les glucides (ou saccharides) sont composés de monosaccharides (glucose, fructose, galactose…) de disaccharides (maltose, saccharose…), trisaccharides (mélézitose, raffinose…), polysaccharides.
(v) HFCS = High Fructose Corn Sirup
(vi) Détail des réglementations sur l’étiquetage : • Origine, provenance • Dénomination de vente complète • Origine florale • Origine territoriale • Critères spécifiques de qualité [Mode de production, AOP, IGP; et d’autres termes (crémeux, de printemps…)] • Quantité nette• Date de Durabilité Minimale et/ou N° de lot • Nom ou raison sociale et adresse de l’exploitant.
(vii) PCA : analyse en composante principale et PLS : Partial Least Squares ; ces méthodes consistent à réduire les dimensions des données ; par exemple à partir d’un spectre d’1 miel, on obtient un couple de point (X,Y). On trace ensuite pour l’ensemble des N miels donnés, les N points (X,Y) et on cherche si des clusters se forment et s’ils correspondent à une propriété donnée (par exemple miel de sapin ou miel de Corse…).
(viii) du grec mel, miel et palunein, répandre de la farine (ici le pollen ou les spores).
(ix) HMF : Hydroxy-Méthyl-Furfural produit de la déshydratation du fructose
Références : merci à J-P Dal Pont pour de précieux numéros des annales de la Société des Experts Chimiques de France
(1) Marcincal A., Royer M., (2022) Le miel, un produit naturel. L'abeille, un enjeu stratégique ?, Annal. Fals. Exp. Chim. Tech. N°996, p74.
(2) L’histoire du miel (site Les rochers du Tigou) https://www.tigoo-miel.com/le-miel-et-son-histoire/ [5]
(3) Miel [6] sur Wikipedia
(4) Boutonnier, J.-L., (2023) Miels, Techniques de l'ingénieur (Janvier 2023)
(5) Norme pour le miel (PDF) – source OMS 2022, NORME POUR LE MIEL CXS 12-1981 dernière modification 2022 [7]
(6) Michel, Killian, Détection des fraudes en sucres dans les miels : appui au développement d'une méthode se basant sur la technique HPAEC-PAD. Ecole polytechnique de Louvain, Université catholique de Louvain, 2023. Pages 19 et 20 Prom. : Luis Alconero, Patricia ; Massaux, Carine. https://hdl.handle.net/2078.1/thesis:42099 [8]
(7) Lobreau-Callen D., Clement M-D., Marmion V., Les miels, Techniques de l'ingénieur Juin 2000
(8) Journal Officiel UE Limites maximales de résidus de pesticides 2017 [9] (PDF)
(9) Guyon F., Landuré M., Gaudefroy M., Angioni C., Fino L., Le contrôle et le développement de nouveaux outils des contrôles des miels : un enjeu stratégique salutaire pour la filière française ! SECF webinaire MIEL Episode 1, 4 avril 2022
(10) Wiest, L., & Vulliet, E., Analyse multi-résidus de pesticides dans le miel : enjeux et défis analytiques. In Annales des falsifications, de l'expertise chimique et toxicologique, Vol. 985 (2016) pp. 17-27
(11) Official Methods of Analysis (OMA) par International Association of Official Agricultural Chemists, AOAC 9941-41 et AOAC 978-17 [10]
(12) Rhee Y., Shilliday E.R., Matviychuk Y., Nguyen T., Robinson N., Holland D.J., Connolly P.R.J. and Johns M.L., Detection of honey adulteration using benchtop 1H NMR spectroscopy, Anal. Methods 15 (2023) 1690 https://doi.org/10.1039/D2AY01757A [11]
(13) Egido C., Saurina J., Sentellas S., Núnez O., Honey fraud detection based on sugar syrup adulterations by HPLC-UV fingerprinting and chemometrics, Food Chemistry 436 (2024) 137758 https://doi.org/10.1016/j.foodchem.2023.137758 [12]
(14) Thomas F., (2022) Analyse non ciblée en authenticité : l'IA pour la gestion des bases de données et l'interprétation dans le contrôle alimentaire, Annal. Fals. Exp. Chim. Tech. N°996, p.48
(15) Thomas F., (2022) Comment lutter contre la fraude économique et préserver l'authenticité des miels ? SECF webinaire MIEL Episode 1, 4 avril 2022 https://www.la-sca.net/actualites-apicoles-142/sorties-conferences-expositions/conference-le-miel-un-produit-naturel-l-abeille-un-enjeu-strategique [13]
(16) Les abeilles, des pollinisateurs essentiels dont la santé est menacée - ANSES anses.sante-des-abeilles [14]
(17) Mitchell E.A.D, Mulhauser B., Mulot M., Mutabazi A., Glauser G. & Aebi A., A worldwide survey of neonicotinoids in honey, Science, Vol. 358 (2017) issue 6359, pp. 109-111 https://doi.org/10.1126/science.aan3684 [15]
Crédit illustration : Bernd Amann (20/06/2015).
Liens:
[1] http://www.mediachimie.org/send-friend/4315/?ajax
[2] http://www.mediachimie.org/print/print/4315
[3] http://www.mediachimie.org/javascript%3Ahistory.go%28-1%29
[4] https://www.mediachimie.org/ressource/zoom-sur-ladult%C3%A9ration-du-miel#ref1
[5] https://www.tigoo-miel.com/le-miel-et-son-histoire/
[6] https://fr.wikipedia.org/wiki/Miel
[7] https://www.fao.org/fao-who-codexalimentarius/sh-proxy/en/?lnk=1&url=https%253A%252F%252Fworkspace.fao.org%252Fsites%252Fcodex%252FStandards%252FCXS%2B12-1981%252FCXS_012f.pdf
[8] https://hdl.handle.net/2078.1/thesis:42099
[9] https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32017R0623&qid=1713374012716
[10] https://www.aoac.org/official-methods-of-analysis/
[11] https://doi.org/10.1039/D2AY01757A
[12] https://doi.org/10.1016/j.foodchem.2023.137758
[13] https://www.la-sca.net/actualites-apicoles-142/sorties-conferences-expositions/conference-le-miel-un-produit-naturel-l-abeille-un-enjeu-strategique
[14] https://www.anses.fr/fr/content/sante-des-abeilles
[15] https://doi.org/10.1126/science.aan3684
[16] http://www.mediachimie.org/actualites/rubrique-461
[17] http://www.mediachimie.org/thematique/sant%C3%A9-et-bien-%C3%AAtre
[18] http://www.mediachimie.org/liste-ressources/19