Mediachimie | Lubrizol et les sites Seveso

Date de publication : Vendredi 06 Décembre 2019
Rubrique(s) : Éditorial

Deux mois après l’incendie de l’usine Lubrizol nous avons un peu de recul pour revenir sur les risques des usines fabriquant ou stockant des produits chimiques (1). Depuis l’accident ayant frappé une ville du nord de l’Italie, Seveso, consécutive à une fuite de dioxine d’un site industriel voisin, l’Europe a imposé un haut niveau de prévention pour les sites présentant des risques majeurs. Le classement Seveso identifie pour l’environnement les risques suivants :- les effets de surpression (souffle d’une explosion) –les effets thermiques (rayonnement d’un incendie) – les effets toxiques (rejets de polluants) (2).

C’est ainsi qu’en France 1312 installations industrielles sont classées Seveso dont 607 seuil bas et 705 seuil haut dont Lubrizol de Petit-Quevilly. Après la catastrophe AZF à Toulouse qui fut bien plus meurtrière, la loi Bachelot en 2003 a institué en France les plans de prévention des risques technologiques (PPRT) qui visent à limiter l’urbanisation autour des sites dangereux. Comme hélas les municipalités jusque-là avaient laissé les constructions gagner les terrains proches, plus de 180 PPRT imposent des travaux de protection des habitations voisines.

Dans le cas de Lubrizol, soumis à une surveillance très stricte de la part de la DREAL Normandie comme ICPE (installation classée pour la protection de l’environnement), de nombreuses visites d’ingénieurs et de cadres pompiers vérifient la conformité et l’application des règles de sécurité (3). Et cependant fin septembre plusieurs milliers de tonnes de produits sont partis en fumée. Quels sont ces produits ? Dans la liste des 10 tonnages les plus importants on relève principalement des alcanes en C15 – C20, des graisses en C20 – C50 issus des distillats du pétrole, des additifs et des sels détergents pour l’essence comportant des dérivés d’amines, des sulfides ou des phosphates. Des lubrifiants (4) comportant des dithiophosphates, des oléfines et des produits insecticides avec des polysulfides. Par combustion ces produits vont émettre principalement CO, CO2 et H2O, mais aussi NO2, NOx et SO2, H2S, P2O5, ZnO et CaO. Mais comme les oxydations sont incomplètes également des suies principalement composées de carbone C qui vont composer ce nuage noir impressionnant de plusieurs kilomètres et se déposer aux alentours.

Les analyses de l’air sur Rouen menées par Atmo Normandie les 27 et 28 septembre sur NO2, SO2, CO, H2S et les PM10, ne montrent pas de valeurs supérieures aux moyennes habituelles dans l’agglomération (5). Des prélèvements sur le site de Lubrizol et les dosages sur le toluène, l’éthylbenzène, H2S et plusieurs COV (composés organiques volatils) donnent des valeurs en µg/m3 inférieures aux valeurs de référence d’exposition aigue sauf pour le benzène très largement au- dessus du seuil de 30µg. Raison pour laquelle il a fallu protéger la trentaine de personnel Lubrizol d’intervention et les pompiers. Depuis les prélèvements et analyses autour du site et sur le trajet du nuage faits par canisters, lingettes et jauges atmosphériques n’ont pas non plus donné des valeurs supérieures au seuil de dangerosité notamment sur les HAP (hydrocarbures aromatiques polycycliques), COV et dioxine. Les analyses sanguines opérées sur les sauveteurs n’ont rien décelé d’anormal une semaine après leur intervention.

Ces résultats n’empêchent pas une partie des Rouennais qui ont souffert de nausées (*), de problèmes respiratoires (6) et de nombreux maraîchers et agriculteurs qui ont perdu plus de deux semaines de ventes de légumes ou produits laitiers par mesure de précaution de s’élever contre la concentration industrielle de la banlieue ouest de Rouen.

Il n’est pas évident de rendre intelligible pour le grand public les résultats des analyses chimiques, surtout à l’heure où la parole des élus, des hauts fonctionnaires de l’État et des experts est systématiquement dévaluée et mise en cause. Même si les produits de Lubrizol sont indispensables dans de nombreux secteurs en particulier pour le fonctionnement des moteurs et les carburants automobiles où leur pénurie se fait déjà sentir, il n’est pas question pour l’instant d’imaginer une reprise possible d’activité sans que les règles ICPE (installation classée pour la protection de l'environnement) soient à nouveau respectées et que l’autorisation d’exercer soit donnée par le CODERST (conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques) et le Préfet.

Communication difficile en ces circonstances, mais pour nous aussi chimistes, la communication est difficile et souvent insuffisante. Nous ne disons pas assez que l’industrie chimique (7) est indispensable à la fabrication d’objets de tous les jours, médicaments, shampoings, textiles, carburants, automobiles… Nous nous cachons dans l’ombre. Sur l’hexagone 3300 entreprises chimiques sont implantées avec 6000 sites de production dont 400 classés Seveso. C’est l’industrie qui est la plus réglementée. Depuis 2003, 500 millions € ont été investis pour la mise en place des PPRT, 300 millions pour la modernisation des installations et chaque année, 600 millions € (20% des investissements) sont consacrés à la sécurité et l’environnement.

Nous manquons de communicants et de communication pour rappeler que le secteur chimie est indispensable à l’économie avec 220000 salariés (8) qui contribuent au bien-être de nos concitoyens et à la balance commerciale avec plus de 60 milliards d’exportation.

(*) Sur le site il y avait une unité de fabrication de mercaptan à forte odeur écœurante. Le mercaptan est notamment utilisés à quelques ppm dans le gaz de ville pour détecter immédiatement une fuite.

Jean-Claude Bernier
Décembre 2019

Pour en savoir plus sur Mediachimie.org :
(1) Le paradoxe apparent de REACH : contrainte et source d’innovation pour la chimie
(2) La compétitivité plombée par un excès de règlementations ?
(3) Enquête technique après accidents industriels
(4) Les lubrifiants - « un point sur… »
(5) Techniques analytiques et chimie de l’environnement
(6) Pollution : comment améliorer la qualité de l’air dans nos habitations
(7) Pour une industrie chimique propre et durable (Chimie et… junior)
(8) Les chimistes dans : L’industrie chimique

Résultats d’analyses :
Lubrizol: explications par Atmo Normandie
Rouen : le point sur la situation sur le site gouvernement.fr. L’analyse des canisters est disponible ici à la date du 28 septembre 2019.