Alfred Houdé, la naissance de la pharmacie industrielle en France
Jusqu’à il n’y a pas si longtemps, le 14 octobre 2003, on pouvait demander en pharmacie la « Colchicine Houdé », médicament contre la goutte contenant comme principe actif l’alcaloïde appelé colchicine, en faible quantité, à raison de 1 mg par comprimé. Le médicament existe toujours, et on trouve mentionnée son association à Houdé dans le Musée de l’École de Pharmacie à Paris (Fig. 1).

Figure 1. Vitrine dédiée à la Colchicine et à Alfred Houdé, au Musée F. Tillequin de la Faculté de Pharmacie de l’Université Paris Cité. Photo : Suzelle Reinhardt (2025)
On peut se poser alors les deux questions : (1) qu’est-ce que cette molécule ? et (2) qui était Houdé ?
En effet, à la première question une recherche bibliographique dans la littérature scientifique révèle une molécule organique complexe, qui a une longue histoire. Elle a été isolée de la colchique d’automne (Colchicum autumnale L.) en 1820 par Pierre Joseph Pelletier (1788-1842) et Joseph Bienaimé Caventou (1795-1877), puis purifiée en 1833 par Wilhelm Meissner (1792-1853), qui lui a donné son nom. Il fallut attendre 1945 pour une détermination correcte de sa structure, puis 1959 pour une première synthèse totale, rendue difficile par l’agencement d’un anneau de 6 carbones avec deux anneaux de 7 carbones.

Colchicine
Différents chemins de synthèse ont été développés dans la seconde moitié du 20e siècle. Cependant, l’utilisation comme médicament contre des crises de goutte et la commercialisation sous la forme actuelle n’a pas attendu qu’on dispose de la molécule de synthèse. Les vertus des extraits des plantes de la famille des colchiques étaient connues depuis l’Antiquité, et jusqu’à nos jours la colchicine est extraite de végétaux qui sont une source bien plus avantageuse que la synthèse.
Renseignés sur la molécule à l’origine du nom du médicament, regardons alors qui est Alfred Houdé. Né en 1854 à Vincelles dans l’Yonne, pas loin d’Auxerre, Alfred Houdé quitte la Bourgogne après ses études pour reprendre en 1880 une pharmacie dans le 17e arrondissement de Paris. Il se spécialise dans l’extraction de principes actifs de plantes, ce qui lui a valu en 1884 le prix Orfila pour avoir isolé la vératine. Dans la même année il publie un procédé d’extraction de la colchicine des plantes de colchique. Les quantités produites ainsi dépassaient de loin les besoins d’une pharmacie de quartier, donc trois ans plus tard, les Laboratoires Houdé voient le jour dans le 10e arrondissement, sous le nom « Alcaloïdes, Granules, Cocaïne, Sparteïne, Colchicine, Revue thérapeutique des alcaloïdes ».
Puisqu’il pouvait purifier la solution obtenue et cristalliser la substance pure, Alfred Houdé certifiait par sa propre signature la quantité exacte d’un milligramme de colchicine par pilule produite, indépendamment de la saison, de la qualité des plantes, d’arrivages ou autres aléas – son produit avait une qualité constante. Notons par ailleurs qu’une dose de 40 mg est généralement mortelle.
L’entreprise grandissante vend sa production en 1890 dans une vingtaine de pays, dans le monde entier, montrant, outre ses qualités de chercheur et de pharmacien, les qualités d’entrepreneur d’Alfred Houdé. En 1898, son catalogue comprend 52 spécialités, toujours basées sur l’idée originale à l’époque de proposer un médicament stable et titré à partir du principe actif pur. En 1910, les laboratoires Houdé déménagent toujours dans le 10e arrondissement, mais son fondateur et directeur, aussi conseiller municipal et décoré de plusieurs distinctions scientifiques, meurt en 1919.
L’entreprise florissante – en 1923 le catalogue compte 112 produits, de l’Absinthe à la Yohimbine – reste dans les mains de la famille, emménage dans le 20e arrondissement, puis délocalise la production à l’Aigle dans l’Orne, avant d’être vendue en 1969 à S.I.F.A. Diamant. Avec l’évolution de la législation, la recherche en pharmacie étant devenue trop onéreuse pour un laboratoire « de famille », les laboratoires Houdé sont absorbés en 1971 dans le groupe Roussel-Uclaf, avec abandon du siège parisien. Aujourd’hui ils existent toujours, comme membre du groupe Sanofi-Aventis dans la banlieue parisienne. Le centenaire des Laboratoires Houdé était marqué le 2 décembre 1985, par la publication d’un ouvrage « Alfred Houdé – Pérennité des alcaloïdes ».
Extraction de la colchicine : broyage des semences de Gloriosa superba (« lis de Malabar », plante tropicale grimpante toxique, facile à mettre en culture), dégraissage par l’éther de pétrole, puis extraction par éthanol à 70 %. Après distillation, une 2e extraction, cette fois-ci par le chloroforme, suivie de la séparation de la phase organique qui est concentrée et laisse cristalliser la colchicine en cristaux transparents. Le rendement est de 100 g par 35 kg de semences et 100 kg d’éthanol à 96 %. L’extraction à partir du bulbe au lieu des semences demanderait une quantité initiale de 250 kg. (source : Laboratoire Houdé - Pérennité des alcaloïdes, édition pour le centenaire des Laboratoires Houdé)
Pour en savoir plus
- Alfred Houdé, Les alcaloïdes et leur rôle majeur dans l'histoire du médicament : Alfred Houdé, Pérennité des alcaloïdes, P. Julien, Revue d'Histoire de la Pharmacie (1986) 268 pp. 81-82 sur le site Persée
- De l'officine à l'industrie : A. Houdé (1854-1919) - J-C Gaignault, Alfred Houdé. Un bel exemple de fondateur d'une industrie pharmaceutique française au XIXe siècle, G. Devaux Revue d'Histoire de la Pharmacie (1981) 248 pp. 64-65 sur le site Persée
- Comptes rendus hebdomadaires des séances de l'Académie des sciences / publiés... par MM. les secrétaires perpétuels 1884-01-01, p. 1442 sur Gallica
Pages consultées le 20/12/2025
Crédit illustration : Colchicum automnale, Plantes médicinales de Köhler, Wikimedia Commons, domaine public