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Les aliments fermentés : c’est quoi ?
Depuis le Néolithique, les hommes cherchent à conserver les aliments issus de la chasse et plus tard de l’agriculture. Le moyen a été la fermentation, et c’est ainsi qu’on trouve des traces d’aliments fermentés dès -13.000 dans le pourtour méditerranéen, vers -2.000 dans le Moyen-Orient, vers -300 en Chine. Quant au vin, on en trouve des traces dans des jarres datant de -6.000 en Géorgie. « Les Barbares savent « épaissir le lait en une matière d’une agréable acidité », écrit Pline l’Ancien.
Le mot fermentation a longtemps signifié décomposition. Lavoisier, dès 1789 s’est intéressé au phénomène, mais c’est Louis Pasteur, en 1857, qui démontre, en particulier pour le vin, que les "ferments" étaient des bactéries ou des champignons (levures).
Que font ces ferments ?
Ce sont des microorganismes qui, via l’action de leurs enzymes, dégradent les sucres (glucose, lactose, maltose, etc.) contenus dans l’aliment et produisent de l’acide ou de l’alcool mais également d’autres composés, du dioxyde de carbone (CO2), des arômes ou des vitamines.
Il faut être à l’abri de l’oxygène, sinon le sucre est totalement dégradé en dioxyde de carbone et eau (i).
Plusieurs sortes de fermentations existent.
- La plus connue est la fermentation alcoolique, celle qui transforme le jus de raisin en vin (1) et (2).
Dans une série de 10 réactions, et autant d’enzymes, le glucose est coupé en deux pour fournir l’ion pyruvate de formule CH3 CO COO-. Puis celui-ci est transformé en alcool en 2 étapes. La 1re élimine CO2 avec les enzymes pyruvate décarboxylase, et la 2e est une réduction grâce à alcool déshydrogénase en présence de NADH (ii).
Source Wikimedia Commons, licence CC BY-SA 3.0
L’éthanol de l'ensemble des boissons alcoolisées provient de la fermentation du glucose apporté par les plantes, sous l'effet d’enzymes produites par des levures (levure de bière par exemple). Le raisin fournit le vin, l’orge germée (le malt) donne la bière ou le whisky écossais ; le maïs conduit au whisky canadien. Les fruits à pépins ou noyaux, prune, pomme, poire, cerise, conduisent aux eaux de vie. La production du vin fait aussi appel dans certains cas (vins rouges) à la fermentation malolactique, qui apporte de l’acidité.
- Dans la fermentation lactique, le pyruvate est transformé lactate en une seule étape.
L’enzyme est la lactate déshydrogénase (réduction) avec le co-facteur NADH.
Source Wikimedia Commons, licence CC BY-SA 3.0
La fermentation lactique a longtemps été utilisée pour préparer une grande variété d'aliments. Elle est à l'œuvre dans la fabrication des produits à base de lait (comme le lait fermenté, le yaourt ou le fromage), à base de viande (saucisson sec) ou de poisson (Nuoc-mâm). Elle intervient aussi dans la préparation de la choucroute et du levain pour le pain (3).
Elle est aussi à l’œuvre dans l'ensilage (4), qui est une méthode de conservation des fourrages par acidification via la fermentation lactique anaérobie d'un fourrage humide : les légumes portent sur leur surface des micro-organismes qui, laissés à l'air libre, provoquent la putréfaction.
En l'absence d'air, les ferments lactiques prennent le dessus : c'est le début du processus de fermentation lactique. Ces bactéries se développent en se nourrissant des glucides présents dans les aliments et les transforment en acide lactique. Au fur et à mesure du processus, la quantité d'acide lactique augmentant, le jus devient de plus en plus acide. Cette acidité neutralise le développement de la putréfaction. Autour de pH 4, les bactéries lactiques sont elles-mêmes inhibées. Le produit devient stable, ce qui permet une longue conservation.
Mais à côté de ces deux types de fermentations, les plus connues, il y en a bien d’autres, par exemple :
- La fermentation acétique
L’alcool du vin est transformé en acide acétique CH3COOH, composant du vinaigre (5), en 2 étapes. La 1re conduit à l’acétaldéhyde (éthanal) comme dans la fermentation alcoolique mais la 2e conduit à l’acide acétique en présence d’acétaldéhyde déshydrogénase et de NADH (iv).
Le pH de ces vinaigres est généralement de l'ordre de 3, avec un minimum d'environ 2. La « mère du vinaigre » qui se développe dans le vin non bouché contient les bactéries (acétobacter) responsables. Ici, la fermentation est aérobie, en présence d’air.
- La fermentation propionique
Le lactate est transformé en propionate, en acide acétique et en CO2 (v). Le CO2 qui s’échappe explique les trous dans le gruyère !
- La fermentation butyrique
Il se forme de l'acide butanoïque (aussi appelé butyrique), du CO2 et du dihydrogène à partir de l'acide lactique déjà formé par fermentation lactique (vi). Cela explique le goût piquant de certains fromages, ainsi que la mauvaise odeur et le mauvais goût du beurre rance.
- La fermentation malolactique
Elle transforme l’acide malique (HO2C-CHOH-CH2-CO2H) en acide lactique et dioxyde de carbone (vii).
La fermentation malolactique correspond à la seconde fermentation du moût lors de la vinification. Cette transformation de l'acide malique en acide lactique par des bactéries lactiques permet d'atténuer l'acidité d'un vin, les années où les raisins ont eu du mal à mûrir, tout en lui apportant une plus grande stabilité. Par ailleurs, particulièrement pour les vins blancs, elle ajoute des notes de beurre, de crème et de noisette.
Conclusion
Ainsi au-delà du rôle historique qui était de conserver les aliments nous avons vu que la fermentation permet d’en créer de nouveaux et avec de nouveaux goûts.
Nous verrons dans une prochaine Question du mois, que ces fermentations sont très utiles à la santé humaine et animale et que l’intérêt de ces pratiques est tel que diverses actions vont être lancées pour les généraliser et les amplifier comme l’action « Grand défi des ferments du futur France 2030 ».
Nicole Moreau
(i) Selon la réaction : C6H12O6 + 6 O2 → 6 CO2 + 6 H2O
(ii) C6H12O6 + 2Pi + 2 ADP + 2 NAD+ → 2 CH3 CO COOH (pyruvate) + 2 ATP +2 NADH,H+ + 2 H2O
(iii) NADH pour Nicotinamide Adénine Dinucléotide. Cette molécule présente dans l’organisme participe à l’activité de certaines enzymes et joue le rôle de coenzyme.
(iv) Selon CH3CHO+ NADH + H+→ CH3CO2H+ NAD+, acétaldéhyde déshydrogénase
((v) 3 CH3-CHOH-COOH → 2 CH3-CH2 COOH + CH3-COOH + CO2 + H2O
(vi) 2CH3 CHOH CO2H → CH3 CH2 CH2 CO2H+ 2 CO2 + 2H2
(vii) HO2C-CHOH CH2- CO2H → HO2C CHOH CH3+ CO2
Pour en savoir plus
(1) De la vigne au verre : tout un art ?, Réaction en un clin d’œil (Mediachimie)
(2) Zoom sur la vinification – B. Médina, J. Gaye, et J.P. Dal Pont (Mediachimie)
(3) Le pain complet au levain : meilleur ou pas pour la santé ? C. Agouridas, Question du mois (Mediachimie)
(4) Qu’est-ce que l’ensilage ? sur le site Les produits laitiers
(5) Quelle est la chimie du vinaigre ? C. Agouridas et F. Brénon, Question du mois (Mediachimie)