La chimie thérapeutique a pour mission la découverte de nouveaux médicaments. Mais de la molécule au médicament la route est longue - de 10 à 15 ans -,  périlleuse - 95 à 99% d’échecs -  et coûteuse - de l’ordre du milliard d’euros -. Le dialogue doit être constant entre les chimistes, les biologistes, les physiciens, les cliniciens et les industriels de la santé.La chimie est une discipline précieuse pour comprendre les mécanismes biologiques. Le couplage de la compréhension des mécanismes cellulaires avec une véritable ingénierie moléculaire a permis des progrès spectaculaires pour améliorer le traitement des maladies sévères. L’innovation est difficile dans ce domaine et fait appel à de nouvelles voies telles que la génomique, l’extension du recours aux biomolécules naturelles, notamment celles présentes dans les systèmes vivants, et l’approfondissement de nouvelles méthodes de recherche (méthodes de calcul prédictives, chimie combinatoire…).

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Mots-clés : quinquina, quinine, paludisme, fièvre des marais, malaria, chloroquine

Le remède a été introduit en Europe dès le début du XVIIe siècle, mais il a fait l’objet de multiples discussions et controverses sur la façon de le préparer et de l’utiliser. C’est une éternelle histoire qui n’est pas sans rappeler l’actualité de 2020.

ACTE II : Le quinquina, polémiques religieuses et querelles médicales

Le cardinal de Lugo, alors général des jésuites, vante les mérites du quinquina auprès de son ami Mazarin, lui-même atteint des fièvres, ce qui va introduire le quinquina à la cour de France. Mais la réputation de ce traitement s’installe mal dans le corps médical parisien, car la Faculté de médecine reste un bastion d’obscurantisme, en particulier son doyen Guy Patin, qui est le type des médecins fustigés par Molière.

Le quinquina devint un sujet de querelle médicale à Paris, en liaison avec des querelles religieuses : les jésuites sont favorables au quinquina, mais les protestants et les détracteurs des jésuites opposés. Des polémiques et des pamphlets en résultent ce qui fera dire plus tard à Voltaire : « le quinquina seul remède spécifique contre les fièvres intermittentes et placé par la nature dans les montagnes du Pérou, mit la fièvre dans le reste du monde ».  Le quinquina est alors utilisé sous forme de vin ou de teinture et des marchands malhonnêtes falsifient la drogue avec des écorces appartenant à des espèces différentes, certaines parfaitement inactives ce qui alimente la controverse.

En réalité, le quinquina fit une double entrée en France : l’une méridionale et directe par les jésuites en liaison avec Madrid et Rome et l’autre septentrionale et mercantile par Londres. Vers 1656 entre en scène Robert Talbor dit « Talbot », qui en 1672 écrit un ouvrage qui conteste la poudre de quinquina si elle est utilisée par les jésuites, mais la recommande si elle est utilisée par des mains expertes comme les siennes. Apothicaire à Cambridge et charlatan dans l’Essex, Talbot s’installe bientôt à Londres en qualité de « pyrétiatre » ou guérisseur de fièvres, en s’attribuant les mérites des pères jésuites. En fait, il avait fait une préparation de vin de quinquina qu’il gardait secrète en masquant le principe actif sous des produits additifs (citron, fenouil, persil…).

Nommé chevalier et médecin ordinaire de Charles II, il vient soigner Mademoiselle, Marie-Louise d’Orléans. La région de Versailles était particulièrement atteinte avec des terrains favorables aux moustiques. Louis XIV était très conscient des sévices causés par cette maladie, il savait qu’Alexandre le Grand en était mort à trente-trois ans. Talbot guérit le fils de Louis XIV, le Grand Dauphin, en 1679 par l’administration de fortes doses d’écorce de quinquina et au renouvellement régulier des prises. Le roi achète son secret et fait venir de fortes quantités d’écorce et de vin de quinquina de Lisbonne et de Cadix pout traiter cette maladie causée par les miasmes des marécages. Il écoute son médecin personnel, Fagon, qui est également réceptif aux idées nouvelles. Louis XIV aurait lui-même pris les fièvres au cours des travaux de comblement des marais entourant Versailles et Fagon donne à son royal malade le « remède à l’anglais », dont tout laisse penser qu’il est à base de quinquina (Journal de santé du roi). Le roi récompense Talbot en lui versant une importante pension annuelle (2000 livres) à charge pour lui de donner le remède au public. Talbot revient d’Espagne pour soigner et sauver le Dauphin.

Tout ceci accroît l’antipathie de la Faculté et des apothicaires, d’autant que le vin de quinquina devient à la mode, comme le café et le chocolat. En 1693, à la cour de Louis XIV, nait un conflit entre Antoine d’Aquin, médecin personnel du roi qui est disgracié et son remplaçant Guy Crescent Fagon. Ce conflit s’est cristallisé autour du vin à utiliser dans les préparations destinées à soulager le roi de ses fièvres. D’Aquin milite pour les vins de Champagne et Fagon pour ceux de Bourgogne. Fagon assure que son choix est purement médical, car il convient lui-même que le Champagne est « ,beaucoup plus agréable » que le Bourgogne qu’il prescrit mêlé de quinquina. Il en résulte une controverse entre vins de Bourgogne et vins de Champagne qui devient une question nationale.

Au sujet de Fagon qui accueillit avec intérêt l’utilisation nouvelle du quinquina, qui favorisa son extension et en vanta les mérites dans un mémoire sur les « Qualités du Quinquina » publié en en 1703, Saint-Simon écrit : « Un des beaux et bons esprits de l’Europe, curieux de tout ce qui avait trait à son métier, grand botaniste, bon chimiste, habile connaisseur en chirurgie, excellent médecin et grand praticien » et La Bruyère dit « Ô Fagon, Esculape, faites régner le quinquina et l’émétique, conduisez à la perfection la science des simples », et enfin Fontenelle, observant les brillantes qualités d’enseignant de Fagon remarque : « Il repeupla le Jardin d’étudiants comme il l’avait repeuplé de végétaux ».

Et c’est alors que les chimistes s’intéressent à cette histoire.

 

Pour en savoir plus

Pour en savoir plus sur cet acte II

Talbot, vulgarisateur du quinquina en France : M. Bouvet in Bulletin des sciences Pharmacologiques, mars 1934. In: Revue d'histoire de la pharmacie, 22ᵉ année (1934) n°86, pp. 307-308.

- André Bertrand. Fièvres intermittentes et quinquina à la cour de Louis XIV, in Académie des Sciences et Lettres de Montpellier (1999) Bull. n°30, pp. 101-116
 

Illustration : Écorce de quinquina (Cinchona officinalis) par H. Zell — Travail personnel, CC BY-SA 3.0

Auteur(s) : Bernard Bodo
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À la suite des travaux de la lauréate du Prix Nobel Youyou Tu, le Laboratoire de Chimie de Coordination (LLC) du CNRS à Toulouse travaille à la synthèse de nouvelles molécules pour soigner le paludisme.

Présentation pédagogique accessible à tous du travail d’une équipe composée de chimistes, biologistes, pharmacologues et cliniciens pour synthétiser des molécules - candidates- médicaments à visée antipaludique et notamment pour comprendre les mécanismes de résistance développé par le plasmodium, le parasite responsable du paludisme.

Auteur(s) : Réalisation : François Demerliac ; Production : Fondation de la Maison de la Chimie / Virtuel
Source : Clins d'oeil de la Fondation Internationale de la Maison de la Chimie
Mots-clés : artemisinine, paludisme, antipaludique, résistance aux médicaments
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Mots-clés : antiviraux, COVID-19

Dans cet article paru dans "Les Echos" vendredi 27 mars 2020, Bernard Meunier, spécialiste reconnu internationalement de la biochimie, analyse les possibilités de trouver un remède au COVID-19, mais surtout il examine de façon critique la politique de santé et la stratégie de recherche pharmaceutique qui ont négligé le plus souvent les avancées et les potentiels des "petites molécules" chimiques.

Auteur(s) : Bernard Meunier
Source : Tribune parue dans Les Echos le 27 mars 2020, reproduit avec l'autorisation des Echos
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Mots-clés : molécule, atome, transformation chimique, formule brute, constitution, matière

Socle :
- Domaine 3 : la formation de la personne et du citoyen
- Domaine 4 : les systèmes naturels et les systèmes techniques
- Domaine 5 : les représentations du monde et l'activité

Programme Cycle 4 :
- Décrire la constitution de la matière

Auteur(s) : Patrice Bray, Monique Savignac et Jean-Claude Bernier
Source : D’après l’article La nature pour inspirer le chimiste : Substances naturelles, phytochimie et chimie médicinale de Françoise Guéritte publié dans l’ouvrage « La chimie et la nature », EDP Sciences, 2012, ISBN : 978-2-7598-0754-3
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Les étapes de la synthèse d’un alcaloide,  la bipléiophylline, sont présentées dans cet article : couplage oxydant, addition 1-4, couplage biomimétique. Les différentes étapes de cette synthèse sont ensuite transposées à l’obtention d’autres molécules naturelles.

Accédez au texte original (lien externe)

Auteur(s) : Natacha Denizot, David Lachkar, Cyrille Kouklovsky, Erwan Poupon, Guillaume Vincent et Laurent Evanno
Source : L’Actualité chimique n° 429 (mai 2018) pp. 37-40
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Mots-clés : sucre, huile, oléagineux,sorbitol, furfural, molécule amphiphile, chimie durable, produit biosourcé, catalyse, bioressource, catalyse organométallique, synthon

L’utilisation de matériaux biosourcés comme les huiles végétales ou les sucres permet d’obtenir une large gamme de synthons grâce à la catalyse organométallique et ainsi d’accéder à des tensioactifs, des polymères tels que les polycarbonates à base d’isosorbide et même des médicaments comme l’Isordil utilisé dans le traitement de l’insuffisance cardiaque.

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Auteur(s) : Nicolas Duguet, Estelle Métay, Marc Lemaire, Yves Queneau, Sylvie Moebs-Sanchez, Mohammed Ahmar et Florence Popowycz
Source : L’Actualité chimique n° 427-428 (mars-avril 2018) pp. 39-45
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Mots-clés : artémisinine, acide artémisinique, paludisme, photochimie, armoise

L’artémisinine est préconisée pour le traitement du paludisme. L’obtention de l’artémisinine directement à partir de l’armoise annuelle s’avère délicate, il est plus aisé d’extraire l’acide artémisinique de la plante puis de réaliser des hémisynthèses. Plusieurs voies de synthèses sont envisagées dont l’une, très prometteuse pour la mise en œuvre industrielle, met en jeu un processus photochimique.

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Auteur(s) : Joël Turconi et Philippe Mackiewicz
Source : L’Actualité chimique n° 425 (janvier 2018) pp. 39-47
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Cette vidéo très pédagogique présente des nanomédicaments mis au point pour atteindre des zones inaccessibles par les médicaments classiques dans les poumons dans le cas de : pneumopathies obstructives de tuberculose, de HIV (SIDA), de cancer. Les avantages de ces nouveaux médicaments et leur mode d’action sont présentés de façon accessible à tous.

La visite des laboratoires permet de voir leur fabrication de ces nanomédicaments et les protocoles d’évaluation de leur efficacité et de leur toxicité. D’autres applications potentielles importantes sont aussi présentées.

Auteur(s) : Réalisation : François Demerliac ; Production : Fondation de la Maison de la Chimie / Virtuel
Source : Clins d'oeil de la Fondation Internationale de la Maison de la Chimie
Mots-clés : nanomédicaments
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Mots-clés : liaison carbone-métal, magnésium, organomagnésien, Grignard, zinc, palladium, manganèse, cuivre, lithium

C’est par une note présentée à l’Académie des sciences, le 14 mai 1900, que les premières synthèses de couplage organométallique (création de la liaison C-C) sont décrites par Victor Grignard à Lyon, avec toutes les étapes intermédiaires. [...]

Auteur(s) : Jean-Pierre Foulon pour la série Une réaction en un clin d'oeil (Mediachimie.org)
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Mots-clés : énantiomère, énantiosélectif, catalyseur chiral, biocatalyse, médicaments

La morphine est une molécule extraite de la culture du pavot. C’est l’un des premiers médicaments utilisés pour calmer les douleurs. La morphine est une molécule chirale, soit une molécule 3D qui n’est pas superposable à son image dans un miroir plan, ce qui correspond en mathématique à une absence de centre de symétrie ou de plan de symétrie, ou plus exactement par l’absence d’axe alternant (ou impropre) d’ordre n (la combinaison d’une rotation autour d’un axe et d’une symétrie par rapport à un plan perpendiculaire par rapport à cet axe). L’atome de carbone entouré par quatre substituants différents est qualifié de dissymétrique (de préférence à asymétrique comme Pasteur le suggérait autrefois !) : c’est un exemple de centre chiral noté C*. On montre qu’une molécule possédant n C* peut exister au maximum sous 2n isomères stériques. Ainsi pour la morphine qui possède 5 C*, ce nombre serait de 32 auquel mais il faut soustraire 2 en raison de la présence d’un pont dans sa structure soit 30 stéréoisomères ! [1]

Depuis 1848, Pasteur a démontré que deux énantiomères se différencient par des pouvoirs rotatoires opposés. Un mélange équimoléculaire de deux énantiomères constitue un mélange racémique qui est optiquement inactif par compensation. Mais Futama et coll. ont montré en 1962 que le composé LiH(SeO3)2 est optiquement actif sans posséder de centre chiral… Ils observèrent des pouvoirs rotatoires opposés selon différentes orientations… Par ailleurs en 2010 toujours au Japon, Sunatsuki et coll. ont synthétisé le complexe solide : Fe(HL)2 (PF6)2 (où L est un ligand organique à base imidazole substitué) où les deux énantiomères s’arrangent en hélice : on obtient alors un mélange racémique présentant une chiralité ! [2]

Deux énantiomères ont les mêmes propriétés physicochimiques par rapport à un agent achiral, mais différentes vis à vis d’un agent chiral. La notion de chiralité est essentielle dans les processus de reconnaissance moléculaire du vivant, par exemple dans le fonctionnement des enzymes ou la reconnaissance d’un antigène par un anticorps. Le limonène présente des propriétés olfactives différentes citronnée (pour le dérivé de configuration S) ou orange (pour le R) !

Il est donc essentiel pour un chimiste de synthétiser un seul énantiomère : celui qui possède l’activité recherchée est appelé un eutomère, l’autre énantiomère est appelé distomère et est considéré alors comme une impureté ! La synthèse asymétrique consiste à préparer un eutomère pur à partir d’un composé non chiral : cela entraîne automatiquement l’utilisation soit en quantité stœchiométrique soit en quantité catalytique d’un composé lui-même chiral qui va transmettre, comme dit Henri Kagan, Professeur à l’Université de Paris-Sud Orsay, l’information chirale : on ne crée pas un excès d’énantiomère sans utiliser un agent chiral !

La catalyse asymétrique est la méthode la plus efficace : elle consiste à utiliser un catalyseur chiral. Ceci a été l’occasion d’attribuer le Prix Nobel de Chimie en 2001 à Knowles, Noyori et Sharpless. De nombreuses synthèses industrielles ont été réalisées.

Ainsi la synthèse industrielle de la Paradisone®, molécule parfumée avec une note florale de jasmin créée par la société Firmenich et utilisée depuis les années 2000 dans la fabrication de parfums tels que l’Eau Sauvage® de Dior, résulte d’une hydrogénation catalytique d’une double liaison C=C réalisée par un catalyseur chiral au phosphore.

Dans l’industrie pharmaceutique, une des étapes de la synthèse de la molécule esoméprazole, un anti-ulcère fabriqué par la firme AstraZeneca, consiste en une sulfoxydation en présence d’un catalyseur chiral au titane. C’est le quatrième médicament le plus vendu en chiffre d’affaire dans le monde ! [1]

Mais le catalyseur chiral peut être une enzyme extraite d’un organisme vivant. Ainsi la synthèse de la molécule de rosuvastatine (Crestor®), qui a une activité anticholestérol, est produite par AstraZeneca : la stéréochimie de la chaîne latérale est contrôlée par biocatalyse avec une enzyme de type aldolase. La biocatalyse se substitue maintenant peu à peu à la catalyse de synthèse chimique : ainsi la déacylation de la pénicilline G est assurée par voie biotechnologique par l’enzyme pen-acylase en solution aqueuse en une seule étape au lieu des cinq étapes par la voie chimique ! [3]

On peut citer comme dernier exemple la réduction énantiosélective de la fonction cétone en alcool secondaire via une enzyme (Daucus carota) réalisée simplement en ajoutant dans le mélange réactionnel des petits morceaux de carotte !

Pour approfondir et illustrer ce sujet :

[1] Chiralité et synthèse asymétrique en chimie thérapeutique de Henri B. Kagan et Michel Tabart, L'Actualité chimique n° 393-394 (février-mars 2015) pp. 31-38

[2] Un racémique peut-il être optiquement actif ? de Romain Gautier, L'Actualité chimique n° 414 (janvier 2017) p 39

[3] La chimie du végétal et les nouveaux synthons accessibles par les biotechnologies de Pierre Colonna, L'Actualité Chimique n° 375-376 (juin-juillet-août 2013) page 56-64

 

Auteur(s) : Jean-Pierre Foulon
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