Énergie ; une critique acerbe de l’Académie
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Incohérent, irréaliste, niveau indigne d’une production des services de l’État… On n’avait pas l’habitude de voir une publication du ministère de l’Économie, de l’Industrie et de l’Énergie descendue en flammes par les spécialistes de l’énergie de l’Académie des sciences (1). De quoi s’agit-il ? Tout simplement du projet de décret que le gouvernement doit adopter concernant « la programmation pluriannuelle de l’énergie » (PPE3) qui doit engager la France pour les 10 prochaines années jusqu’en 2035 et entrainer des investissements de plusieurs centaines de milliards d’euros.
Que lui reprochent les académiciens ?
Tout d’abord la non prise en compte des remarques et corrections que l’Académie avait soumises en décembre 2024, qui relevait déjà un manque de cohérence sur les valeurs de consommation visées en 2035 : 429, 500 ou 600TWh, laquelle prendre parmi ces divers chiffres ? Des objectifs de production irréalistes et excessifs, en contradiction avec les prévisions qui s’observent non seulement en France, mais dans tous les pays européens avec des besoins qui diminuent depuis 2017.
Si l’Académie soutient une production nucléaire substantielle (300 à 400 TWh) d’énergie bas-carbone à la fois massive et pilotable, elle juge inquiétante voire irresponsable l’augmentation inconsidérée des énergies solaires et éoliennes intermittentes largement multipliées par 3 entre 2023 et 2035 (73 TWh à 270 TWh). Elle souligne de ce fait un excédent d’offre de plus de 100 TWh avec un taux d’électricité non pilotable excessif proche de 40% qui exigerait des capacités de stockage non disponibles y compris en 2035, une priorité sur le réseau de distribution qui entrainera une volatilité des prix considérable avec de périodes de prix très élevés puis négatifs, mortelles pour les couts d’acheminement et de conduite de l’électronucléaire.
Le comité de l’Académie en profite pour rappeler l’avis du Haut-Commissaire à l’Énergie Atomique et du Haut Conseil pour le Climat regrettant aussi que le texte de la PPE ne soit pas accompagné d’une analyse approfondie des coûts et financements des solutions et des divers scénarios recommandés ou alternatifs.
Marc Fontecave, président du comité de prospective en énergie de l’Académie, en profite pour rappeler que la France avec seulement 29% d’énergie intermittente est recordman des exportations (89 TWh), avec un mix électrique qui n’émet que 21,3 g de CO2eq/KWh. À comparer à nos voisins allemands qui avec une part de production solaire et éolienne de 45% affiche une émission de 350 g CO2eq/KWh soit 17 fois plus !
En dehors de la réécriture du texte soumis, l’académie recommande :
- une mise en cohérence des évolutions de la consommation d’énergie
- des capacités pilotables en adéquation avec la puissance appelée
- le renforcement des réseaux électriques
- un effort de recherche technologique sur des moyens de stockage important et peu couteux
- enfin une approche plus réfléchie de la balance production énergie décarbonée et besoins d’électrification.
À titre personnel, je suis sidéré qu’un document de type décret contienne tant d’incohérences et montre aussi peu de réflexions sur les moyens de production énergétique. Sur le site du Ministère de la transition écologique on note que la PPE a fait l’objet d’une consultation nationale avec des dizaines de milliers d’internautes et plus de 7000 contributions ! On ne peut alors que regretter que les contributions de conseils nationaux, de grands experts et de scientifiques spécialistes de l’énergie ne s’y retrouvent pas. J’imagine donc que les 7000 contributions venaient de particuliers peu au courant de la question ou de militants d’une idéologie particulière. C’est un peu comme si on demandait aux jeunes élèves de CP à se prononcer sur la programmation de l’enseignement secondaire. Je n’oublie pas que dans un sondage de 2023 une bonne majorité de Français pensaient que l’électronucléaire émettait énormément de CO2 ! Je pense cependant que les rédacteurs du ministère avaient connaissance des tableaux d’intensité carbone de l’ADEME et du GIEC. Je leur rappelle le tableau ci-dessous qui montre l’inanité de remplacer le nucléaire par l’éolien et le solaire (surtout majoritairement avec des panneaux chinois) qui ont une intensité carbone 2 à 10 fois plus élevée !
J’apprécie qu’une trentaine de scientifiques, et non des moindres, certains ou certaines ayant ou ayant eu des responsabilités considérables, aient souligné la pauvreté sinon les erreurs d’un projet de décret engageant la politique énergétique de la France pour les 10 prochaines années. Il convenait de sonner la charge contre les zozos des cabinets ministériels qui conduisent depuis plus de 20 ans une politique énergétique de gribouille.
Tableau de l’intensité Carbone des différentes sources énergétiques en grammes de CO2eq/KWh
source | nucléaire | hydroélectrique | éolien | solaire | fioul | charbon |
GIEC | 5 | 11 | 13 | 30 | 900 | 980 |
ADEME | 4 | 6 | 15 | 43 (chinois) | 980 | 1080 |
Jean-Claude Bernier
avril 2025
(1) Académie des sciences : avis de l’Académie des sciences sur la version révisée de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE3) 8 avril 2025
Crédit illustration : David Monniaux, Barrage de Monteynard (Isère, France), Wikimedia commons, licence CC BY-SA 2.5