Mediachimie | Cette chimie qui a illuminé nos villes

Date de publication : Lundi 20 Janvier 2020
Rubrique(s) : Éditorial

Les marchés de Noël ont déménagé, les décorations et guirlandes de nos rues sur le point d’être démontées se balancent encore, et alors que sonne encore dans nos têtes le tube désenchanté de Gold « Ville de lumière, j’ai besoin de toi ! », peu savent la quantité de découvertes et de travaux qui ont conduit à de telles profusions de beauté visuelle (1).

Oublions les vieilles lampes à filaments aux verres colorés qui se balançaient entre les platanes des places des villages le soir du 14 juillet. La lampe à incandescence inventée par Thomas Edison avec filament de carbone en 1879 puis de tungstène au XXe siècle est maintenant bannie de la vente au profit des ampoules à basse consommation ou mieux encore des LED (Light Emetting Diode) qui ont envahi toutes les décorations lumineuses de Noël.

L’émission de lumière par des diodes semi-conductrices de SiC était connu depuis 1907 mais ce n’est qu’en 1929 qu’un brevet sur le principe d’émission fut déposé et il fallut plus de trente ans pour qu’une première LED donne une émission dans le rouge en 1962 (2).

Le principe des émissions par des semi-conducteurs électroluminescents est assez simple. Ils sont caractérisés par une bande de valence et une bande de conduction séparées par un « gap » d’énergie Eg. Lorsqu’un courant électrique active le semi-conducteur, un déséquilibre se crée entre les deux bandes et les électrons de la bande de conduction se combinent avec les trous créés dans la bande de valence en émettant un photon de fréquence ν tel que hν= Eg liée à la valeur du gap. Les chimistes du solide ont fait leur gamme en partant des semi-conducteurs de type III-V (3) pour obtenir du rouge avec GaAs et AlGaAs, du jaune avec GaAsP, du vert pour GaN. Ce n’est qu’en 1993 que des chercheurs japonais, prix Nobel en 2014 (4), ont obtenu la LED bleu avec la composition InGaN permettant grâce à une émission vers 480 nm de relancer la commercialisation des lecteurs sur support optique des DVD et de relever le défi économique de la lumière blanche pour le grand public. En effet plutôt que la recomposer avec trois LED bleu-rouge-vert on utilise maintenant l’émission d’une LED bleu encapsulée dans un dôme de silicone sur lequel on a une couche mince de luminophore émettant dans le jaune dont la composition est par exemple à base de YAG dopé au cérium (Y3Al5O12 : Ce3+). Les recherches actuelles tendent à diminuer la proportion d’émission bleue qui donne une lumière blanche trop froide pour une lumière plus chaude dans le jaune avec des luminophores (5) dopés à l’europium Eu2+ ou des oxysulfures avec des défauts structuraux pour limiter le recours aux lanthanides.

Les LED sont concurrencées par les OLED (Organic Light Emetting Diode) (6) qui sont constituées d’une couche mince de polymère semi-conducteur entre deux électrodes. Ces semi-conducteurs organiques sont caractérisés par l’alternance de simples liaisons et doubles liaisons carbones dites π-conjuguées. Les orbitales moléculaires ont alors deux niveaux, la plus basse est liante (HOMO), la plus haute antiliante (LUMO) qui s’assimilent aux deux bandes des semi-conducteurs métalliques avec les mêmes processus de recombinaison électrons-trous s’accompagnant d’émission de lumière. Si les OLED ont conquis les écrans plats des télévisions et des smartphones, elles ne sont pas encore concurrentielles pour les décorations lumineuses.

Mais la chimie est encore présente lors des nuits du nouvel an avec les incontournables feux d’artifices qui enflamment le ciel des métropoles (7). Leur principe est lié à la réaction chimique de combustion qui mêle un oxydant (nitrate, perchlorate) et un réducteur (carbone, soufre, magnésium) avec fort dégagement de chaleur et de gaz. Pour colorer les flammes on y ajoute des sels métalliques ; de strontium pour le rouge, sodium pour le jaune, baryum pour le vert, cuivre pour le bleu et poudres de magnésium ou aluminium pour le blanc éclatant. Notons que le tir et les explosions en altitude imposent que ce soient des professionnels qui sont en charge de ces feux et qu’il est toujours déconseillé que de simples amateurs s’y impliquent car leur sécurité est en jeu (8). C’est avec quelques regrets que janvier moins lumineux se déroule. Adieu la chimie des couleurs… À la fin de l’année 2020 !

Jean-Claude Bernier et Catherine Vialle
Janvier 2020

Pour en savoir plus :
(1) Lumière et couleurs (vidéo)
(2) EnLEDissez-vous !
(3) Les radars des avions Rafale (Chimie et… junior)
(4) Un prix Nobel éclairé
(5) Fluorescence (vidéo)
(6) Les diodes électroluminescentes organiques : des sources « plates » de lumière
(7) Les feux d’artifice des frères Proust (Petites histoires de la chimie)
(8) Une enquête explosive (Chimie et… junior)