Des Nobels de chimie pour la chimie click !

Date de publication : Lundi 10 Octobre 2022
Rubrique(s) : Éditorial

L’américain Barry Sharpless (pour la seconde fois après ses travaux sur la catalyse en particulier de réactions stéréospécifiques d’époxydation, couronnés par le Prix Nobel en 2001 !), le danois Morten Meldal et l’américaine Carolyn Bertozzi ont reçu le Prix Nobel de Chimie le 5 octobre 2022 pour « le développement de la chimie click et de la chimie bio-orthogonale » selon le communiqué de l’Académie Royale de Suède.

Qu’entend-on par chimie click ?

Il s’agit d’un concept simple envisagé par B. Sharpless au début des années 2000 : faire réagir deux molécules pour créer une liaison robuste, comme une ceinture de sécurité fait avec un « clic », pour reprendre la formulation du comité Nobel ; par exemple des réactions de cycloaddition mettant en jeu des molécules dipolaires 1-3 (les charges positives et négatives sont réparties sur trois atomes adjacents).

Parallèlement M. Meldal découvrait par hasard une réaction de cyclisation entre un alcyne (molécule à triple liaison carbone-carbone) avec une molécule dipolaire spécifique l’azoture (molécule à trois atomes d’azote) (i).Il généralisa alors en fonctionnalisant deux molécules l’une avez une extrémité azoture et l’autre avec une extrémité alcyne conduisant à des produits de cycloadditions variés. La réaction nécessite l’emploi d’un catalyseur à base de cuivre. Le rendement est quantitatif si on rigidifie l’alcyne dans une structure cyclique (cyclo-octyne) (ii).

Mais l’élément cuivre n’est pas très compatible avec des réactions dans les milieux biologiques in vivo et c’est là que C. Berzotti proposa en 2003 de fixer sur une molécule polymère de polysaccharide la partie azoture ce qui conduit à la réaction de cyclisation sans nécessité d’employer le catalyseur au cuivre !

Ce sont des réactions quantitatives (100% de rendement), rapides, très sélectives et surtout sans sous-produit ce qui correspond bien aux douze commandements de la chimie verte ! Elles sont souvent réalisées dans l’eau (donc pas de problème de toxicité ici !) et à température ambiante ou jusqu’à 37°C (température des êtres humains bien sûr !).

Qu’entend-on par chimie bio-orthogonale ?

C’est Carolyn Berzotti qui a introduit ce concept en 2003 et il faut comprendre par là qu’il s’agit de l’ensemble des réactions conduisant à la formation ou la rupture de liaisons au sein des milieux biologiques sans interagir (c’est le sens particulier du mot orthogonal ici !) avec les fonctions chimiques présentes dans des milieux complexes : intracellulaire, le sang ou même jusqu’à l’organisme tout entier. C. Bertozzi avec son équipe a généralisé la réaction entre des azotures et des alcynes greffés sur toutes les molécules type sucres d’un organisme vivant tels que les modèles du poisson-zèbre ou la souris en ajoutant sur les molécules des groupes fluorescents permettant de suivre l’évolution réactionnelle.

Cependant peu de réactions synthétiques sont vraiment bio-orthogonales et peuvent être réalisées dans un animal. Les réactions les plus courantes sont justement les cycloadditions entre les azotures et les cyclo-octynes !

La chimie bio-orthogonale peut alors conduire par ces réactions click à i) fonctionnaliser des matériaux tels que les NTC (nanotubes de carbone) ou des polymères pour créer des propriétés adhésives par exemple ii) des nouvelles stratégies thérapeutiques en construisant des médicaments in vivo et en contrôlant leur vitesse de libération dans des organes malades bien ciblés telles que des cellules cancéreuses.

Jean-Pierre Foulon
8 octobre 2022

 

(i) L’azoture a pour formule globale N3- et pour représentation

   (Wikimedia, domain public)

(ii) Cyclo-octyne

    (Wikimedia, domain public)
 

Illustrations et schémas disponibles sur http://nobelprize.org/
© Johan Jarnestad/The Royal Swedish Academy of Sciences

 

 

 

Pour en savoir plus
(1) Deux articles du numéro spécial de chemiobiologie de l’Actualité Chimique n° 468 de décembre 2021 :

(2) Reprogrammation de la réactivité du fer dans le cancer,  R. Rodriguez, article et conférence, colloque Chimie et Nouvelles thérapies du (13 novembre 2019)

 

Illustrations :

Portraits Carolyn R. Bertozzi, Morten Meldal, K. Barry Marshall © Nobel Prize Outreach. Ill. Niklas Elmehed. 

Autres illustrations © Johan Jarnestad/The Royal Swedish Academy of Sciences