Mediachimie | L’isolation thermique mise en cause à Londres

Date de publication : Mercredi 05 Juillet 2017
Rubrique(s) : Éditorial
Grenfell Tower burning, pictured at 04:43 BST, 14 June 2017

Les images tragiques de l’incendie de la tour Grenfell à Londres dans la nuit du 13 au 14 juin ont ému et horrifié nombre de téléspectateurs. En tant que chimistes nous avons été interpellés par l’observation des flammes qui se propageaient très rapidement en façade de cette tour et des dégagements de fumées inhabituels issus du bardage.

Il semblerait que ce soit l’isolation thermique par l’extérieur (ITE) du bâtiment qui soit en cause bien qu’elle soit l’une des meilleures méthodes d’isolation (1). En effet les travaux de rénovation thermique de la tour réalisés par le bailleur londonien ont consisté à fixer en façades des panneaux faits de deux plaques d’aluminium pré-laquées thermocollées de part et d’autre d’une âme de quelques centimètres d’épaisseur de matière isolante comme le polyéthylène (PE) (2). Ces panneaux bien rigides offrent plusieurs avantages : esthétiques, faible poids, résistance à la corrosion et aux intempéries et bien sûr coefficient d’isolation thermique excellent (3).

Ces panneaux qui constituent le bardage des façades de la tour Grenfell mis en place en 2015 sont de type Reynobond® fabriqués par Arconic une société américaine filiale d’ALCOA, un géant de l’aluminium, et située à Merxheim dans le Haut-Rhin en France. Cette société livre aux entreprises de construction plusieurs types de « sandwiches » (4) :

  • une entrée de gamme où l’âme est constituée de polyéthylène expansé (PE) entre les deux plaques d’aluminium, qui est recommandée par le constructeur pour les immeubles de faible hauteur ;
  • des produits plus sophistiqués comportant des versions dites FR (Fire Retardant) comportant des retardateurs de flammes (5) qui peuvent être des hydroxydes métalliques ou des dérivés halogénés ;
  • des produits plus sophistiqués ignifugés avec des polymères autres que le PE (polyéthylène) ou PS (polystyrène) comme le polyisocyanurate et ignifugé, qui ont de meilleures résistances au feu pour des immeubles de plus grande hauteur.

Alors que s’est-il passé ? Lors du chantier de rénovation, l’entreprise londonienne a-t-elle utilisé un produit entrée de gamme au lieu du Reynobond® FR ? La présence d’une lame d’air entre le panneau extérieur et l’isolant polymère en façade a-t-elle joué le rôle d’une cheminée accélérant la combustion ? Si les isolants comme le polyisocyanurate ou ceux avec un retardateur de flamme ont des temps de résistance à l’incendie supérieurs à ceux du polystyrène expansé, il n’en reste pas moins que la laine de roche compressée est préférable dans cette application particulière. En effet les essais de tenue au feu menés au CNPP (Centre national de prévention et de protection) de Vernon soulignent que le matériau a tendance à générer des fumées nocives notamment de l’acide cyanhydrique HCN et du monoxyde de carbone CO. De plus, dans ce type d’incendie où la température peut atteindre près de 1000°C, les plaques d’aluminium dont la température de fusion est de 660°C s’effondrent (6).

L’isolation de l’habitat et surtout des tours exige un cahier de charges très strict qui doit prendre en compte toutes les caractéristiques chimiques, thermiques et mécaniques des matériaux (7), sinon des incendies meurtriers peuvent encore se reproduire.

Jean-Claude Bernier
Juillet 2017

Quelques ressources pour en savoir plus :

(1) L’isolation dans l’habitat : la chimie pour ne pas gaspiller de calories !
(2) Le polyéthylène (produit du jour de la SCF)
(3) La chimie au service de l’efficacité énergétique : comment concevoir un habitat performant ?
(4) Matériaux composites à matrices polymères
(5) Le textile, un matériau multifonctionnel
(6) Sciences et techniques séparatives pour scènes de crimes complexes. Application à la détection des accélérateurs d’incendie
(7) Vivre en économisant cette « chère » énergie