- Événements
mediachimie

Colloque Chimie et Agriculture durable - mercredi 10 novembre 2021

Le cycle des Colloques “Chimie &…” s'enrichit d'un nouvel opus : Chimie et agriculture durable : un partenariat en constante évolution scientifiqueMercredi 10 novembre 2021 Maison de la Chimie, 28 bis rue Saint-Dominique,
...

Le cycle des Colloques “Chimie &…” s'enrichit d'un nouvel opus :

Chimie et agriculture durable : un partenariat en constante évolution scientifique
Mercredi 10 novembre 2021

Maison de la Chimie, 28 bis rue Saint-Dominique, 75007 Paris

 

Les relations actuelles entre Agriculture, Chimie et attentes de la Société sont loin d’être simples, comme l’illustrent les prises de positions publiques récentes de certains. Pourtant, des relations sereines entre ces trois acteurs sont indispensables, ainsi que ce fut longtemps le cas. Par exemple, la synergie entre l’agronomie scientifique et la chimie a permis au 20e siècle la découverte des fondements de l’alimentation des plantes et de la lutte contre les bio-agressions, si utiles à la production agricole et aux consommateurs.

Au 21e siècle, face aux besoins planétaires en termes d’alimentation et d’environnement, l’urgence est de développer une Agriculture raisonnée qui limite son impact sur les sols, l’eau et l’air, qui préserve la biodiversité et qui consomme le minimum d’énergie envisageable. Pour produire mieux et plus, il faut développer la recherche et l’innovation technologique. La Chimie a sa place dans cette stratégie avec la conception de nouveaux produits en étroite liaison avec la biologie et l’écologie, et en fonction d’évaluations complètes et intégrées de leurs effets.

Le citoyen et le consommateur souhaitent que les innovations de la chimie contribuent à une amélioration de l’alimentation proposée et de la protection des plantes. Ces enjeux majeurs reposent sur une coopération transdisciplinaire accrue. Des exemples de cette coopération vous seront présentés par des experts scientifiques, universitaires ou industriels, dans les principaux thèmes actuels de la recherche agronomique et agro écologique.

Ce colloque est ouvert à un large public avec une attention particulière aux lycéens et à leurs enseignants. Le niveau des interventions se veut accessible à tous pour permettre un large débat.

Bernard BIGOT
Président de la Fondation internationale de la Maison de la Chimie
et Directeur Général de l’Organisation internationale ITER
 

En savoir plus

Programme du colloque (PDF)

- Éditorial
mediachimie

Allons-nous voler à l’hydrogène ? L’évolution du transport aérien

Le plan de relance avec les milliards d’euros consacrés aux carburants propres, dont l’hydrogène, enflamme les médias mais aussi la recherche et l’industrie (1). Confrontée aux critiques l’accusant de pollution,
...

Le plan de relance avec les milliards d’euros consacrés aux carburants propres, dont l’hydrogène, enflamme les médias mais aussi la recherche et l’industrie (1).

Confrontée aux critiques l’accusant de pollution, l’aviation commerciale devant la menace de boycott scandinave et de suppression de lignes intérieures françaises se devait de réagir. En fait, dès 2017, bien avant les recommandations de la CCC (Convention Citoyenne pour le Climat), un engagement de remplacement progressif du kérosène par des carburants bas carbone avait été signé entre le ministère de la Transition écologique, de l’Économie et le secrétaire d’État aux transports avec cinq groupes : Air France, Airbus, Safran, Total et Suez environnement. Il prévoyait une substitution programmée d’ici 2050 du kérosène par des biocarburants pour les transports aériens. Airbus vient aussi de lancer son projet de lancement de l’avion ZEROe (pour zéro émission) avec ADP et Air Liquide et d’autres partenaires européens et envisage très sérieusement pour 2035 un avion propulsé à l’hydrogène.

Pourtant dans le transport aérien, l’hydrogène avait mauvaise réputation depuis qu’en mai 1937 le zeppelin LZ 129 Hindenburg, après une traversée atlantique, s’était embrasé sur la base de Lakehurst près de New York faisant 34 morts et 20 blessés. Cette catastrophe mit fin à l’aventure aéronautique des dirigeables géants gonflés à l’hydrogène gaz léger mais très inflammable.

Les biocarburants pour l’aviation

La feuille de route pour le transport aérien implique une augmentation des biocarburants (2) mélangés au kérosène d’ici 2030 pour atteindre une réduction des émissions de 50% en 2050. Cette marche « pré-hydrogène » a déjà profité des recherches de l’IFPEN (IFP Énergies nouvelles) et de Total. Pour la France on se rappelle la reconversion de la raffinerie de La Mède condamnée à la fermeture et transformée en bioraffinerie avec un investissement de plus de 275 millions d’euros devant produire des agrocarburants avec le procédé HVO (Hydrotreated Vegetable Oil), un procédé français. Il avait en 2019 provoqué quelques remous de la part d’écologistes avec le projet de traiter de forts tonnages d’huile de palme (3). Cela n’a pas découragé le pétrochimiste qui a annoncé en 2020 la transformation de la raffinerie de Grandpuits (77) en investissant 500 millions d’euros dans une plateforme « zéro pétrole » afin de fournir 400 000 t/an de biocarburants majoritairement destinés au secteur aérien, à partir de graisses animales, huiles de cuisson usagées et végétales recueillies régionalement.

En juin 2021 un champion de la voltige aérienne a effectué entre Sarrebruck et Reims un vol acrobatique avec son avion à hélice et moteur thermique fonctionnant avec une essence renouvelable à 97% produite par le français Global Bioenergies et l’allemand Swift Fuel. Ce carburant utilise une méthode bien éprouvée par la PME française : on convertit par fermentation à l’aide d’une bactérie modifiée des résidus de betterave, d’amidon, de paille et de bois en isobutène qui par réaction avec l’hydrogène donne l’iso-octane. Il est l’un des constituants majeurs de « l’avgas », diminutif de « aviation gasoline », utilisé par les appareils à hélice. Pour Global Bioenergies ce débouché du bio-isobutène (4) vers les carburants d’aviation pourrait être un marché porteur comme l’est celui du cosmétique avec L’Oréal qui vient de lancer une gamme de maquillage à 90% d’origine naturelle.

L’hydrogène pour l’aviation

Pour l’hydrogène la copie à remplir est plus dure. On se rappellera utilement les contenus énergétiques des carburants : 1 kg de kérosène équivaut à 12 kWh et 1 kg d’hydrogène à 33 kWh, c’est donc à première vue un excellent vecteur énergétique. Mais, il y a un mais, comme il est très léger il ne fait que 3,5 Wh par litre et il faut le liquéfier à -250°C pour obtenir 2,8 kWh/litre, soit 4 fois moins qu’un litre de kérosène. Il faut donc des réservoirs quatre fois plus volumineux de type cryogénique si on l’utilise liquide ou composite haute pression si on l’utilise comprimé à 700 bars. D’ores et déjà Airbus annonce dès 2023 la création de deux centres de développement Zéro émission à Nantes en France et à Brême en Allemagne. Pourquoi Nantes ? Parce que l’usine nantaise a déjà la maitrise des caissons métalliques centraux de voilure des Airbus qui contiennent le carburant, depuis l’A320. Le technocentre de Nantes, lié à l’IRT (Institut de recherche technologique) Jules Verne pourra apporter ses compétences dans le domaine d’intégration des structures métalliques dans l’appareil et les essais cryogéniques sur les réservoirs d’hydrogène liquide. C’est un verrou complexe, car ces composants doivent être capables de résister aux cycles thermiques et de pression que subissent les avions en vol tout en conservant le carburant à -250°C. Ce défi est aussi celui de la distribution du précieux fluide auquel se sont attaqués Air Liquide et ADP avec Airbus (5).

Quelles sont les infrastructures nécessaires sur les deux aéroports français Roissy et Orly ? Pour ravitailler les avions soit on construit des unités d’électrolyse dans l’enceinte ou un lieu proche de l’enceinte soit on l’amène par pipeline en liaison directe avec un site industriel voisin. Le problème en 2021 c’est qu’il existe peu, de par le monde, d’électrolyseurs d’eau de puissance capables de délivrer plusieurs milliers de tonnes d’hydrogène par jour. Sachant qu’il faut environ 50 kWh pour produire 1 kg H2 il faudrait des électrolyseurs de 100 MW capables de délivrer environ 40 000 kg d’hydrogène par jour, sachant qu’un Airbus A350 consomme environ 48 t de kérosène pour la traversée transatlantique de 7000 km. Pour ce vol il faudrait environ 200 t d’hydrogène même avec de nouveaux moteurs Safran économisant plus de 10% de carburants, il faut donc multiplier les ressources d’hydrogène. On voit bien à ces chiffres que ce vecteur énergétique pourra être réservé aux courts et moyens courriers, compte tenu des dimensions possibles des réservoirs.

Autre défi que se posent les partenaires : hydrogène vert (6) ou hydrogène bas carbone ?

Il y a actuellement deux solutions bas carbone opérationnelles. Air liquide dispose de la technologie Cryocap™ (7) qui permet de capter le CO2 issu du steam-reforming (reformage à la vapeur d’eau du gaz méthane). C’est un « hydrogène dit bleu » ! Par ailleurs l’électrolyse de l’eau avec de l’électricité nucléaire est aussi un procédé bas carbone. On appelle « jaune » cet hydrogène !

Les verrous technologiques sont importants ; il faut pouvoir faire le plein en quelques dizaines de minutes compte tenu des rotations des avions, dans des conditions de sécurité et des conditions économiques qui permettront à l’aviation commerciale de survivre.

La feuille de route est rude mais l’objectif de voler en n’émettant que de l’eau et de l’azote est excitant non ?

Jean-Claude Bernier et Françoise Brénon

Pour en savoir plus :
(1) L’hydrogène au secours de l’économie européenne, Jean-Claude Bernier (editorial, Mediachimie.org)
(2) La chimie une solution pour l’avion de demain, Arnaud Charles, Noël Baffier et Jean-Claude Bernier (Chimie et ... en fiches - cycle 4, Mediachimie.org)
(3) La pétrochimie se met au vert, Jean-Claude Bernier et Françoise Brénon (éditorial, Mediachimie.org)
(4) Vers les biocarburants de 2e génération : l'exemple de l'isobutène biosourcé, Pierre Labarbe (Chimie et ...en fiches - Lycée, Mediachimmie.org).
(5) La propulsion des fusées et des futurs avions chez Air Liquide !, conférence et article de Pierre Crespi, Colloque Chimie, aéronautique et espace, 8 novembre 2017
(6) Qu’est-ce que l’hydrogène vert ? Françoise Brénon (Question du mois, Mediachimie.org)
(7) Ce procédé de fabrication de l’hydrogène consomme toutefois un hydrocarbure tel que le méthane selon le bilan CH4 + 2 H2O →4 H2 + CO2 mais le captage du dioxyde de carbone empêche son relargage dans l’atmosphère. Cryocap™ H2: solution cryogénique de captage de CO₂ (site Air Liquide).

 

Illustration : Airbus A320-271N, Wikimedia par Pedro Aragão, Licence CC BY-SA 3.0, Lien

- Question du mois
mediachimie

Nettoyer l’argenterie par « une recette de grand-mère » : comment ça marche ?

On trouve toutes sortes de recettes dites « de grand-mère » sur Internet pour nettoyer son argenterie. Dans ces dites recettes il est même précisé « sans utiliser de produit chimique » !!! Est-ce vrai ? D’où provient le
...

On trouve toutes sortes de recettes dites « de grand-mère » sur Internet pour nettoyer son argenterie. Dans ces dites recettes il est même précisé « sans utiliser de produit chimique » !!! Est-ce vrai ?

D’où provient le noircissement de l’argent ?

Les aliments contiennent naturellement des sulfures comme l’albumine du blanc d’œuf, la cystéine présente dans les protéines, des sulfures organiques dans les choux, les oignons, certaines boissons…

Dans l’air il peut y avoir des traces de sulfure d’hydrogène (H2S, reconnaissable à son odeur « d’œuf pourri » !) et de sulfure de diméthyle (H3C-S-CH3) qui est le plus abondant des composés biologiques contenant du soufre émis dans l'atmosphère.
C’est ainsi la présence de ces sulfures qui sont majoritairement responsables de la formation de dépôts noirâtres à la surface d’un objet en argent. L’argent a été oxydé par le dioxygène de l’air et en présence de ces sulfures s’est recouvert de sulfure d’argent Ag2S, noir, très stable
(1).

« Faire l’argenterie » consiste donc à éliminer ce sulfure d’argent.

Une recette : « Nettoyer son argenterie dans un bain de sel ».

Élucidons cette « recette de grand-mère » dont le titre interpelle le chimiste ! En effet ce titre est trompeur ! Ce n’est pas le sel qui nettoie l’argenterie.

Regardons de plus près la recette. Prendre une feuille d’aluminium. La disposer dans une cuvette en plastique (éviter un autre métal). Mettre une poignée de gros sel dans une casserole d’eau que l’on porte à ébullition. Puis verser cette eau salée chaude dans la cuvette. Introduire délicatement (sans se brûler) l’objet en argent à nettoyer et le poser au contact de la feuille d’aluminium. Laisser agir plusieurs minutes à 1 heure selon l’état d’oxydation de l’argent. Il est précisé que si l’objet en argent est très noir, on peut l’envelopper avec la feuille d’aluminium pour plus d’efficacité. Il est aussi dit que l’on peut ajouter du bicarbonate. Rincez puis séchez avec un chiffon très doux.

Notons que cette recette fonctionne bien.

Alors quels rôles jouent ces différents ingrédients ?

Le composé essentiel à la réussite de l’opération est ici l’aluminium. C’est un métal très réducteur. Il attaque le sulfure d’argent qui était un état oxydé de l’argent. L’argent est régénéré. Une partie de l’aluminium s’oxyde en ions Al3+. Compte tenu du pH de la solution ces ions précipitent sous forme d’hydroxyde d’aluminium, à la surface de l’aluminium qui se ternit.

La réaction (2) mise en jeu est

3 Ag2S + 2 Al +6 H2O → 6 Ag + 2 Al(OH)3 + 3H2S

On est en présence d’une pile (3), la pièce en argent étant au contact de la feuille d’aluminium. Si l’on enveloppe la pièce en argent par l’aluminium le contact entre les 2 métaux est meilleur facilitant ainsi les échanges d’électrons entre l’aluminium et le sulfure d’argent déposé sur l’objet en argent.

Quel est le rôle du sel ? Le sel est du chlorure de sodium (NaCl) qui se dissout sous forme d’ions sodium (Na+) et chlorure (Cl-). Il favorise les transports des ions (4) en solution mais n’intervient pas dans le bilan chimique.

La chaleur a pour but d’accélérer la réaction.

H2S : si vous avez déjà fait l’expérience, vous avez constaté l’émanation d’une mauvaise odeur. Elle est due à la formation du sulfure d’hydrogène produit durant la réaction et dont le dégazage est favorisé par la chaleur.
L’ajout éventuel du bicarbonate de sodium permet de stabiliser le pH vers 8,3 ce qui limite le dégazage de H2S.

Précautions

  • Prenez soin de ne pas traiter de la même façon un bijou en argent avec des pierres fines incrustées. Ce mode opératoire ne concerne que des objets et bijoux en argent massif ou des couverts argentés (5).
  • D’autres recettes proposent d’ajouter du vinaigre et non du bicarbonate. C’est à éviter car cela favorise la formation de H2S.
  • Dans tous les cas aérer la pièce lors de ces manipulations.

Autres méthodes

  • Frotter avec du carbonate de calcium ou avec une pâte de bicarbonate et de gros sel à confectionner soi-même. Il s’agit alors seulement de frotter et d’abraser la surface pour éliminer les traces de sulfures d’argent. Cela ne peut convenir qu’à des objets peu noircis et ne permet pas d’éliminer les traces restantes de sulfure d’argent piégés dans les micropores de la surface de l’objet.
    Outre la faible efficacité, les risques sont de rayer l’argent qui est un métal assez mou et qui gardera les traces de ces rayures bien que les grains de bicarbonate et de gros sel soient estimés comme pas trop durs. De manière générale il vaut mieux éviter de frotter les objets en argent.
     
  • Frotter avec une brosse à dent trempée préalablement dans du jus de citron : toujours abraser avec risque de rayures et de toute façon le citron n’est pas un acide capable de dissoudre Ag2S.
     
  • Les professionnels de la restauration des objets d’art, de la bijouterie et des restaurants utilisant des couverts en argent pour leurs clients sont amenés à entretenir très souvent l’argenterie. Ils utilisent des produits à action très rapide dans lesquels ils les trempent. Le principe actif est alors la thio-urée qui réagit sur le sulfure d’argent l’éliminant ainsi de la surface de l’argent (6). Un rinçage soigneux termine l’opération. Il est indispensable de manipuler ces produits avec des gants et de porter des lunettes afin d’éviter tout contact avec la peau et les yeux.

Françoise Brénon et l’équipe question du mois

 

 

(1) En présence de sulfure d’hydrogène et d’oxygène de l’air, le sulfure d’argent noir, très stable, se forme selon

4 Ag + 2 H2S + O2 →2 Ag2S + 2 H2O

(2) Cette réaction est très favorable car sa constante d’équilibre vaut 10140 >>1

Les données nécessaires à ce calcul, E° (Ag+ / Ag) = 0,80 V ; E° (Al3+ / Al) = - 1,66 V ; pKs (Ag2S) = 49,2 ; pKs (Al(OH)3) = 33 ;
H2S : pKa,1 = 7,05, pKa,2 = 12,9 ; pKe = 14, sont issues de  Les réactions chimiques en solution de G. Charlot (Masson).

(3) L’aluminium est le pôle négatif, c’est l’anode où se passe l’oxydation :

Al + 3 H2O → Al(OH)3 + 3 H+ + 3e-

Le pôle positif est constitué du sulfure d’argent déposé sur l’argent. Il s’y passe la réduction :

Ag2S + 2 H+ + 2e- → 2Ag + H2S

(4) Le sel dissout joue ici le rôle de l’électrolyte de la pile.

(5) Les couverts dit « en argent » sont rarement en argent massif. Ils sont en général en cuivre ou alliage de cuivre sur lequel a été déposé une fine couche d’argent.

(6) La thio-urée, notée de façon simplifiée Tu, a pour formule H2N-CS-NH2.

Si le mode opératoire est utilisé depuis le milieu du 20e siècle, la réaction mise en jeu suscite encore des questions. D’après les publications les plus récentes il est proposé 3 types d’interprétation :

  • Soit une complexation (écrite ici en milieu acide) mettant en jeu la formation d’un complexe mononucléaire de Ag(I) selon
    Ag2S + 2H+ + 2n Tu → 2 AgTun+ + H2S, n pouvant aller de 1 à 4.
  • Soit la formation d’un complexe binucléaire de l’Ag(I) selon
    Ag2S + 2H+ + n Tu → Ag2Tun2+ + H2S,
    n allant de de 1 à 6 avec une forte présomption pour la forme majoritaire Ag2Tu42+.
  • Soit enfin la formation d’un composé éliminant Ag2S de la surface de l’argent selon
    Ag2S + 2 CS(NH2)2 → 2 Ag-S-S-C(NH2)2

 

Sources :

  • Métallurgie de l’argent § 6.2.1. in Les Techniques de l’Ingénieur (2006) et Silver and Acid-thiourea Silver Dips: Rinsing and Aging Monitored by Electrochemistry, L.Selwyn et W. R. McKinnon, Studies in Conservation (2021) 66:2, 98-112
  • Potentiometric study of silver complexes with thiourea in acid media, P. Lukinskas et al. , Journal of Coordination Chemistry (2008) 61:16, 2528-2535
  • Reaction of Thiourea With Silver Sulfide Tarnish Layers On Silver Surfaces, Ariga Allehyari (Californie State University, 2020)
     
- Éditorial
mediachimie

Un aveugle récupère la vue grâce à une algue

Les chercheurs de l’Institut de la vision (1) avec le professeur Jean Alain Sahel, l’Institut d’ophtalmologie de Bâle et le concours d’une start-up GenSight Biologics viennent de réussir récemment une performance clinique
...

Les chercheurs de l’Institut de la vision (1) avec le professeur Jean Alain Sahel, l’Institut d’ophtalmologie de Bâle et le concours d’une start-up GenSight Biologics viennent de réussir récemment une performance clinique sur un patient aveugle. Depuis plusieurs années ils ont développé la thérapie « optogénétique » afin de redonner la vue à des patients devenus aveugles.

Cette approche thérapeutique nous avait déjà été signalée et décrite en 2017 lors du colloque « La chimie et les sens » à la Maison de la Chimie par le docteur Serge Picaud de l’INSERM (2). Cette incroyable innovation repose sur l’utilisation du système photosensible d’une algue unicellulaire qui est capable de se déplacer vers une source de lumière. Le principe de base est dû à une protéine qui sous la perception de la lumière ouvre un canal ionique dans la cellule et produit donc un courant qui agit sur le déplacement de l’algue (3). Les chercheurs, par biochimie, ont réussi à extraire le code génétique de cette protéine de la membrane des algues, à l’aide d’un vecteur viral de type virus adéno-associé (AAV) classiquement utilisé en thérapie génique. Ce vecteur est injecté dans l’œil, il diffuse dans la rétine et pénètre les neurones résiduels. Il a été montré que cette protéine photosensible est alors exprimée dans les cellules ganglionnaires de la rétine qui peuvent ainsi envoyer des signaux aux neurones du cerveau en fonction de l’intensité lumineuse reçue. Après des essais menés sur des souris puis sur des primates, les premiers essais cliniques de phases I et II en concentration progressive et essais de toxicologie et de rejets possibles immunitaires sont assez positifs. Ils ont cependant montré qu’il fallait des intensités lumineuses très élevées afin d’obtenir un stimulus conséquent chez les patients. D’où la nécessité de recourir à des lunettes spéciales qu’ont mises au point deux start-up spécialisées. Ces lunettes sont dotées de micro-caméras qui captent les changements d’intensité lumineuse et les retransmettent à l’œil au moyen d’une sorte de vidéoprojecteur, en images virtuelles monochromes, projetées à forte intensité sur les cellules ganglionnaires de la rétine qui peuvent ainsi envoyer un stimulus correct au cerveau.

C’est donc tout récemment en 2021 qu’un patient ayant perdu la vue par la mort des cellules photoréceptrices de la rétine, conséquence d’une rétinopathie pigmentaire, a retrouvé partiellement la vue au cours de cet essai clinique. Cette maladie génétique dégénérative de l’œil se caractérise par une perte progressive de la vision. Les chercheurs pensent aussi que cette approche par protéines photosensibles peut s’appliquer à d’autres pathologies de la rétine dont la dégénérescence maculaire qui se lie à l’âge de plus en plus élevé de nos concitoyens.

Il est remarquable que ce qui avait été annoncé en 2017 par une conférence en guise d’interrogation à la Maison de la chimie : « Faire revoir un aveugle avec le système photosensible d’une algue : bientôt une réalité ? » (2) soit vraiment devenu une réalité, 4 ans après, à partir d’une source naturelle (4) grâce aux biochimistes, ophtalmologues et star-up français et suisses.

Jean-Claude Bernier
Mai 2021

Pour en savoir plus
(1) La rétine en silicium (vidéo Les idées Plein la Tech)
(2) Faire revoir un aveugle avec le système photosensible d’une algue : bientôt une réalité ? conférence et article de Serge Picaud, Colloque La chimie et les sens, 22 février 2017
(3) Zoom sur la valorisation des algues Jean-Pierre Foulon
(4) Nature et chimie : des alliées pour accéder à de nouveaux médicaments conférence et article de Janine Cossy, Colloque Chimie et nouvelles thérapies, 13 novembre 2019
 

- Éditorial
mediachimie

Les chimistes de Napoléon

En mai 2021 la commémoration du bicentenaire de la mort de Napoléon 1er a suscité de nombreux articles et livres qui ont parfois créé la polémique sur les qualités et défauts de l’empereur français. Peu ont rappelé
...

En mai 2021 la commémoration du bicentenaire de la mort de Napoléon 1er a suscité de nombreux articles et livres qui ont parfois créé la polémique sur les qualités et défauts de l’empereur français. Peu ont rappelé combien la science et ses applications avaient été l’objet d’attention particulière de la part du souverain. Car dès sa formation il montre un penchant marqué pour les mathématiques et les sciences physiques qu’il gardera au cours de sa carrière.

Général commandant de la campagne d’Italie il écrit : « Le peuple français ajoute plus de prix à l’acquisition d’un savant mathématicien qu’à celle de la ville la plus riche ou la plus populaire ». Surprenante déclaration d’un général en chef de l’armée d’Italie qui de plus s’est fait accompagner par Monge et Berthollet pour aussi séduire à sa table des savants italiens comme Volta spécialiste des courants électriques et de l’électrochimie (1).

À son retour il veut aussi connaître la communauté scientifique et avec l’aide de ces deux mêmes mathématicien et chimiste se fait élire à l’Institut en décembre 1797. Il s’y comporte comme un membre ordinaire mais suscite un intérêt croissant qu’il s’empresse de communiquer à la nation par les journaux.

C’est ainsi que se bâtit la curieuse expédition d’Égypte qui fait s’embarquer 32000 hommes en mai 1798 à Toulon mais aussi la Commission des sciences et des arts avec plus d’une centaine de scientifiques issus de l’Institut et de l’École polytechnique créés respectivement en 1795 et 1794. C’est encore Monge et Berthollet aidés par Joseph Fourier qui animeront les recherches et explorations jusqu’au retour de Bonaparte et le rapatriement de la Commission en 1803. La rédaction d’un ouvrage monumental se poursuivra jusqu’en 1809 avec une masse incroyable de résultats historiques, géographiques et scientifiques.

Après le 18 brumaire le premier consul crée en 1801 la Société d’encouragement à l’industrie nationale qui rassemble les élites savantes autour de projets industriels. Il confiera ainsi à des scientifiques de hautes fonctions politiques. C’est ainsi que le chimiste Antoine François Fourcroy sera directeur de l’Instruction publique et le chimiste Jean Antoine Chaptal sera ministre de l’Intérieur.

Mais qui sont donc ces chimistes qui doivent en partie à Bonaparte puis à Napoléon leur réussite ?

C’est tout d’abord Claude Louis Berthollet (2), fils de notaire, né à Talloires (duché de Savoie appartenant alors au royaume de Sardaigne), qui effectue des études de médecine à Turin. À Paris il devient médecin du Régent, le duc d’Orléans, qui met à sa disposition son laboratoire du Palais Royal. En 1780 il polémique avec Lavoisier sur le rôle de l’oxygène mais reconnait vite son erreur et publie avec lui la célèbre Méthode de nomenclature chimique en 1787 qui marque les débuts de la chimie moderne. Sa grande découverte en 1789 est le blanchiment des fibres de lin par des solvants chlorés qui donne un grand essor à la culture et au textile du lin en supprimant le long blanchiment (2) sur pré. Il est nommé professeur de chimie à l’École polytechnique et participe avec plusieurs collègues à l’expédition d’Égypte où il se lie d’amitié avec Bonaparte. En 1801 il publie son ouvrage Recherche sur les lois de l’affinité où l’on trouve l’analyse de nombreux corps de compositions jusqu’alors inconnues. Chargé d’honneurs et sénateur comblé il fonde la Société d’Arcueil et le laboratoire où se retrouveront de nombreux chimistes pour y mener de nouvelles expériences jusqu’en 1822.

Antoine François Fourcroy (3) s’est vu confier la chaire de chimie au « Jardin du Roi » en 1784. Fin politicien et bon orateur il siège à la Convention et survivra aux diverses vagues de la Révolution en se chargeant déjà de la réforme de l’instruction publique. Il intègre l’Institut et en sera le président de la section chimie en 1797. Après le 18 brumaire Bonaparte le nomme conseiller d’Etat. Préoccupé par l’état sanitaire déplorable, il crée les écoles de santé et rédigera les textes fondateurs, souvent retravaillés par Napoléon, de l’Université impériale chargée de gérer et contrôler l’ensemble des établissements d’enseignements de l’Empire et créée par décret en 1806.

Louis Nicolas Vauquelin (4) venu d’une famille pauvre normande monte à Paris où il tombe malade et erre dans les rues jusqu’à ce qu’un pharmacien Cheradame le recueille et l’instruit. Celui-ci, émerveillé par son intelligence le présente à un ami de la famille, A.F. Fourcroy. Celui-ci le prend dans son laboratoire et le fait connaître dans le milieu scientifique. Nommé professeur en frimaire an IV, admis à l’Institut il participe à la rédaction des Annales de chimie, puis avec ses collègues chimistes part chercher les tonneaux de salpêtre par toute la France pour fournir des explosifs aux armées de la patrie en danger. Pour obtenir le poste de professeur à la faculté de médecine il passe vite le doctorat en médecine. Par ses travaux il découvre la strychnine avec Pelletier et Caventou et dans ses travaux sur les plantes isole plusieurs acides aminés l’asparagine, des pectines, la nicotine, l’urée urinaire. En chimie minérale il découvre l’élément chrome et un nouvel élément, le glucinium qui sera prendra plus tard le nom de béryllium.

Joseph Louis Gay-Lussac (5), fils d’un juge à Pont-de-Noblat en Haute Vienne. Ce n’est qu’après la mort de Robespierre qu’il vient à Paris où il apprend l’anglais et les mathématiques. Admis à l’École polytechnique en 1797 à 19 ans, il suit les cours de chimie de Fourcroy, Vauquelin, Chaptal et Berthollet. Rien d’étonnant à ce qu’il devienne l’assistant de Berthollet et participe aux travaux sur le traitement des fibres de lin par les composés chlorés (6) dans le laboratoire d’Arcueil. Accueilli à l’Institut en 1806 il devient professeur de chimie à Polytechnique puis au Muséum d’histoire naturelle et à la faculté des sciences de Paris. Ses travaux sur la chimie et la thermodynamique des gaz font autorité comme ses travaux sur le magnétisme qui lui donnent l’occasion de battre des records d’altitude en ballon. C’est avec Thenard qu’il isole le potassium et découvre le bore. Mais il a aussi beaucoup de collaborations avec l’industrie de l’acide sulfurique et du verre puisqu’il présidera le conseil d’administration des glaces de Saint-Gobain (7).

Jean Antoine Chaptal (8). Voilà encore un chimiste qui a débuté par des études de médecine à Montpellier en 1777. Mais, passionné il se rend à Paris pour étudier la chimie. Son oncle l’aide à construire des ateliers où il améliore la production d’acide chlorhydrique. Sa fabrique se diversifie et prend de l’essor, ses produits sont connus dans toute l’Europe. C’est revenu à Montpellier dans la chaire de chimie qu’il se penche sur la formule de Lavoisier de transformation du sucre en alcool. Il publie sa doctrine en 1799 sur la vinification du vin. Son traité sur « la chaptalisation » du vin en 1807 révolutionne l’œnologie (9). À Paris, professeur de chimie végétale à Polytechnique, membre de l’Académie des sciences il poursuit ses activités industrielles et politiques puisqu’en janvier 1801 il est nommé ministre de l’Intérieur et ce sera lui qui élaborera la loi qui institue préfets, sous-préfets et arrondissements. Il démissionnera en 1804 pour être nommé sénateur. Outre ses écrits sur la vinification on lui doit la fabrication artificielle de l’alun, du salpêtre et d’un type de ciment.

Armand Jean François Seguin. Collaborateur de Lavoisier et cobaye humain pour ses essais sur la respiration, très bon expérimentateur, il fit fortune en inventant une méthode rapide de tannage des cuirs à base d’acide sulfurique et de tannins divers. Fournisseur de cuir pour les armées de l’Empire il installa une grande manufacture sur l’île de Sèvres sur la Seine qui traitait plus de 100 000 peaux par an. Sa fortune lui permit d’acheter plusieurs châteaux, mais les affaires périclitant, des spéculations aventureuses l’obligent à vendre une bonne partie de ses immeubles et à transformer sa manufacture en un haras pour chevaux de course. Il réservait ses communications scientifiques sur l’opium ou le quinquina à l’Académie dont il était correspondant. Son île sera industrialisée bien plus tard en 1925 par Renault et s’appellera bien sûr l’île Seguin.

Curieux destins pour ces chimistes qui surent survivre aux changements radicaux de régimes, de la royauté à la Restauration en passant par la Révolution, le Consulat et l’Empire. Au cours de ces changements sociétaux, ils ont cependant jeté les bases de la chimie moderne et initié les débuts d’une industrie nationale. Faut-il y voir le sens de l’investigation, de la patience, de l’observation et du pragmatisme des chimistes, pour surnager aux vagues parfois sanguinaires des révolutionnaires et se glisser dans un ordre nouveau qui fera leur fortune, mais dictatorial ?

Jean-Claude Bernier et Françoise Brénon
Mai 2021

Pour en savoir plus
(1) La pile électrique : tout a commencé avec des grenouilles
(2) Berthollet (1748-1822) et ses œuvres
(3) Antoine François de Fourcroy (1755-1808), promoteur de la loi de germinal an XI
(4) Conférence de M. le Professeur Delépine : les œuvres chimiques de Vauquelin
(5) Louis Joseph Gay-Lussac (1778–1850)
(6) Berthollet, le pharmacien Curaudau et l’identification du chlore
(7) Comment faire des vitrages avec du sable ? La réaction de fusion du verre
(8) Chaptal (1758–1822)
(9) De la vigne au verre : tout un art ?
 

- Éditorial
mediachimie

Des bioraffineries durables et rentables ?

Deux programmes pour verdir l’Europe Connaissez-vous le CBE ou Circular Bio-based Europe qui succède depuis février au BBI JU ou Bio-based Industries Joint Undertaking ? Non pas vraiment ? Eh bien ce sont deux programmes
...

Deux programmes pour verdir l’Europe 

Connaissez-vous le CBE ou Circular Bio-based Europe qui succède depuis février au BBI JU ou Bio-based Industries Joint Undertaking ? Non pas vraiment ? Eh bien ce sont deux programmes européens.

Le premier, créé en 2014, a été basé sur une collaboration public–privé entre la commission et le consortium des bioindustries composé de plus de 100 entreprises dont plusieurs dizaines de la chimie. Sous la forme d’un « Public Private Partnership »il a été doté de 2,7 Mrd€ dont 1 Mrd issu de Bruxelles et 1,7 Mrd venant des industriels.

Son successeur jusqu’en 2027 devrait aussi mobiliser 2 Mrd€. Les réponses aux appels d’offres sont sélectionnées par un groupe mêlant les représentants des États et le comité scientifique. Ces dispositions ont permis de créer onze bioraffineries (1) en Europe dont trois en France, en réduisant les risques des investissements dans ces industries biologiques et en les connectant avec le marché pour créer une bioéconomie durable et compétitive en Europe. Elles sont dénommées « flagships » ou « bioraffineries phares ».

Voyons les résultats pour la France qui prend la première place de ce programme puisque trois projets y sont aboutis.

RESOLUTE – Un biosolvant non toxique à partir des déchets ligno-cellulosiques

C’est un projet mené par la société Circa spécialisée dans la fabrication des solvants organiques biosourcés (2). C’est la production à grande échelle d’un nouveau solvant non toxique à partir de résidus forestiers pour répondre à la demande de l’industrie des pâtes et papiers de valoriser ses déchets et de diversifier ses activités.

Circa avec l’université de York et d’autres partenaires dont AgroParisTech a mis au point depuis plusieurs années un procédé de fabrication de la levoglucosénone (LGO) intermédiaire pour les polymères spéciaux, des parfums et des actifs pharmaceutiques.

Mais le principal débouché commercial est le cyrène obtenu par hydrogénation du LGO (voir figure) solvant aprotique dipolaire et chiral qui va remplacer avantageusement le NMP (N-méthyl-2-pyrrolidone) et le DMF (N,N-dimethylformamide) qui sont sous pression réglementaire à cause de leur toxicité. Après avoir reçu l’approbation de l’ECHA (3) pour son biosolvant et investi plusieurs millions d’euros pour des pilotes produisant 100 tonnes de cyrène par an, une unité industrielle est en cours de construction sur le site chimique de Carling Saint-Avold pour produire environ 1000 tonnes fin 2022.

Suite à des travaux universitaires du CSIC de Madrid, le cyrène s’est révélé avoir les propriétés chimiques et physiques idéales pour l’exfoliation du graphite et les dispersions du graphène. C’est un nouveau débouché high-tech qui s’ouvre alors pour la commercialisation des encres pour l’électronique et les revêtements conducteurs.

AFTERBIOCHEM – Comment fabriquer des acides à partir des pulpes de betterave

C’est un deuxième « flagship » porté par la société Afyren spécialisée dans l’ingénierie en biologie. Elle a investi depuis 2016 dans un procédé qui convertit les déchets agroindustriels de betterave issus de l’industrie sucrière (4) en « building blocks » par fermentation anaérobie, puis dans une deuxième étape à les transformer en acides carboxyliques R-COOH. Grâce au programme européen BBI JU et la contribution de Bpifrance le projet industriel s’implante lui aussi sur la plateforme attractive Chemesis de Saint-Avold qui dispose de services partagés entre les entreprises chimiques du site. C’est un investissement de plus de 60 millions d’euros et la création de 60 emplois qui permettront à Afyren de produire dès 2022 16.000 tonnes d’acides acétique (5), propanoïque, butanoïque (butyrique) et pentanoïque (valérique)… aux applications multiples en agroalimentaire, lubrifiants, cosmétiques, plastifiants et pharmaceutique.

FARMŸING – synthétiser des protéines à partir de déchets organiques

Le troisième « flagship » français est porté par la société Ÿnsect spécialisée dans la production de protéines pour l’alimentation animale (6). C’est sans doute le plus original bien que le terme de bioraffinerie ne soit pas adéquat. C’est probablement la plus grande ferme horizontale d’Europe qui s’implante à Poulainville près d’Amiens. Sa production bien maitrisée par Ynsect et protégée par une trentaine de brevets consiste à « industrialiser » la larve de Tenebrio molitor connue sous la dénomination du ver de farine qui consomme pour grossir toutes sortes de matières organiques, graisses, végétaux, déchets ménagers… et qui est une source de nutriments naturels pour de nombreux animaux, poissons, volailles, porcins, chiens et chats…

Cofinancée par BBI JU, la région Hauts-de-France et divers fonds d’investissement, cette ferme qui va s’élever sur 40 000 m2 et 35 mètres de hauteur sera économe en eau et en énergie et devrait dès 2022 produire 1500 tonnes de protéines par mois. Cette unité, écoresponsable et durable économiquement, peut éviter une pêche supplémentaire de poissons sauvages, l’importation de soja et la diminution d’entrants azotés pour les produits et plantations destinées à l’alimentation animale.

Pour sourire, signalons un autre débouché : déjà plusieurs firmes commercialisent aussi pour l’apéro (7) ces vers Tenebrio molitor cuisinés et à croquer, d’une saveur comté-pointe de muscade rappelant l’amande et la noix de cajou riches en protéines et oméga 3 et 6 ! À votre santé !

Une nécessaire adaptation des bioraffineries au marché concurrentiel

Pour rester sérieux, il est clair que ces « bioraffineries » vont commercialiser des produits à forte valeur ajoutée dont les prix à la tonne vont permettre une rentabilité qui assurera leur durabilité sur le marché.
Cela contraste avec les difficultés que rencontrent les bioraffineries de la Mède ou de Grandpuits d’une part pour assurer un approvisionnement en graisse animale, huile de palme ou de cuisson usagée et d’autre part pour commercialiser des carburants que l’on peut directement incorporer dans le kérosène. En effet, le prix à la tonne, trois à quatre fois celui du kérosène classique, et les récentes fermetures de vols intérieurs vont rendre difficile l’essor commercial sans mesures d’assistance, preuve à l’appui que la bioingénierie en chimie a son créneau dans les produits et intermédiaires chimiques de valeur.

Jean-Claude Bernier
Avril 2021

Pour en savoir plus
(1) Introduction aux bioraffineries et La bioraffinerie de Bazancourt-Pomacle, L'Actualité chimique n° 375-376 (2013) pp. 46-48 et. 49-55
(2) Les solvants biosourcés : opportunités et limitations, P. Marion et F. Jérôme, L’Actualité chimique n° 427-428 (2018) pp. 91-94
(3) L’évaluation des substances chimiques dans le cadre de la mise en œuvre de REACH, conférence et article de C. Gourlay-Francé, Colloque Chimie et expertise - santé et environnement (2015)
(4) Zoom sur le saccharose : de la betterave au sucre, L. Amann, Mediachimie
(5) La chimie du vinaigre,  R. Guelin, dossier pédagogique Mediachimie /Nathan
(6) La science et la technologie de l’alimentation vues par la chimie du bouillon, H. This, Colloque La chimie et l’alimentation (2010)
(7) Au menu de nos cousins : diversité, perception gustative et chimie des aliments des primates, S.Krief et Cl.-M. Hladik, Colloque La chimie et l’alimentation (2010)


 

- Éditorial
mediachimie

Enfin un masque invisible

La chimie n’arrête pas d’innover pour le bien de nos concitoyens en cette période de pandémie où les gestes barrières et le port du masque sont essentiels. Le manque de visibilité des visages apporté par les masques
...

La chimie n’arrête pas d’innover pour le bien de nos concitoyens en cette période de pandémie où les gestes barrières et le port du masque sont essentiels. Le manque de visibilité des visages apporté par les masques classiques en polyéthylène (1) est sur le point d’être contourné. Le professeur Vandensoep et son équipe de l’institut de Gand–Wevelgem, après plus de 12 mois de recherche, viennent enfin de publier des résultats sur un masque totalement transparent quasi invisible.

Après plusieurs essais sur des masques en polyéthylène multicouches directement issus de l’emballage alimentaire (2) on s’est aperçu que les couches filtraient bien l’oxygène mais pas l’azote et le gaz carbonique rejetés par les voies respiratoires, ce qui a failli entraîner des accidents heureusement sans grande gravité chez les volontaires testés. Ces essais malheureux ont cependant été très instructifs et ont conduit à l’élaboration de plusieurs prototypes.

Le masque est composé d’une mince feuille de polycarbonate percée de milliers de nano-trous et revêtue à l’extérieur d’une couche de polymères possédant une chaine perfluorée qui assure la « déperlance » (3) du masque. Ainsi l’air inspiré et les gaz expirés peuvent circuler mais les micro-gouttes des aérosols extérieurs, véhicules du virus, sont arrêtées et regroupées en macro-gouttes, tout en conservant la transparence du masque. Sa dénomination commerciale se ferait sous la marque Carat.

Le débit d’inspiration et d’expiration doit cependant faire face à une perte de charge due aux dimensions de nano-trous, c’est alors que l’équipe du professeur Vandensoep a eu l’idée de collaborer avec celle du professeur Trugludu de l’Université libre de Roubaix, spécialisée dans l’optique et notamment dans les micro-lasers. Ils ont alors augmenté les diamètres de micro-trous afin de diminuer la perte de charge et placé au-dessus des oreilles des micro-lasers (4) alimentés par des cellules photoélectriques disposées sur un serre-tête du porteur du masque qui balayent la partie avant du masque et font éclater toutes les gouttes des aérosols meurtriers. Sa dénomination commerciale est prévue sous le nom de Carré, compte tenu de sa forme plus anguleuse.

C’est alors, vu la complexité et surtout le coût de ce dernier masque, que l’idée de faire appel à des polymères autoréparables est venue à l’équipe, en utilisant des polymères à liaisons covalentes réversibles associant un réseau de type silicone et un autre réseau supramoléculaire (5). La mince feuille de polycarbonate est alors revêtue de cette couche autocicatrisante. Les trous de cette dernière pouvant être obturée par la simple chaleur de l’air expirée. L’équipe a alors donné à ce prototype le nom de « dArpone d» qui rappelle la base silicone, il demande encore à être testée pour la réversibilité des cycles.

Nul doute que d’ici peu les masques chirurgicaux difficiles à porter seront remplacés par ces masques qui permettront de mieux visualiser les visages et contribuer à la vie sociale. Souhaitons rapidement la fabrication des masques Carat, Carré et Arpone pour le bien-être et la sécurité de nos concitoyens.

Jean-Claude Bernier
1er avril 2021

Pour en savoir plus
(1) Oui la chimie avance masquée
(2) Chimie et maîtrise de la lumière
(3) Les textiles et les vêtements pour le sport
(4) La chimie à la lumière du laser : un intérêt réciproque
(5) Matériaux et chimie supramoléculaire (vidéo)
 

- Éditorial
mediachimie

De la fragilité des réseaux électriques

Les vagues de froidFévrier 2021 a vu une météo très changeante et des vagues de froid vif en Europe du Nord et sur le continent américain. Des chutes importantes de température, accompagnées de chutes de neige abondantes,
...

Les vagues de froid

Février 2021 a vu une météo très changeante et des vagues de froid vif en Europe du Nord et sur le continent américain. Des chutes importantes de température, accompagnées de chutes de neige abondantes, ont sévi en Scandinavie, au Canada et sur la côte Est des États-Unis. Plus surprenant un anticyclone arctique est descendu en Amérique au-delà de la Nouvelle-Angleterre et jusqu’au Texas. Des températures polaires de -19°C à -9°C et même -41°C dans le Minnesota ont été relevées alors même que neige et verglas paralysaient la circulation. Six états US ont déclaré l’état d’urgence grand froid et plus de 3 millions de foyers au Texas ont été privés d’électricité durant plus de 48 h (1) ainsi que d’eau courante pour plusieurs semaines, l’eau ayant gelé dans les canalisations.

En Europe, la Scandinavie a aussi été frappée d’une vague de froid qui a un peu débordé sur la France et le nord-est de l’Allemagne. La vertueuse Suède qui a remplacé ses centrales thermiques et nucléaires par des filières renouvelables (2) a vu tomber leur production électrique de 25% à 9%, les éoliennes étant gelées et les panneaux photovoltaïques enneigés. Pour échapper au black-out elle a remis en route la centrale au fioul et a eu recours à de l’électricité venue d’Allemagne, de Pologne et de Lituanie, las issue de centrales à charbon ! Les Suédois et Suédoises ont été invités par le gouvernement à réduire leur consommation, ce à quoi ils et elles ont répliqué par « #dammsugarupproret », soit « la révolte des aspirateurs ».

Les causes

On peut s’étonner que dans un État aussi riche en sources d’énergie qu’est le Texas, un black-out généralisé puisse arriver. Les hommes politiques ont été très interpellés à la suite de ces incidents qui ont tout de même fait plus d’une dizaine de morts. Certains ont pointé le pourcentage trop élevé de sources d’énergie intermittentes. La société privée de distribution ERCOT a fait l’objet de nombreuses critiques soulignant ses faibles investissements sur les lignes et le grand défaut du manque d’interconnexions avec les sources d’énergies d’autres États et au réseau national (3).

C’est là la grande différence avec l’Europe. Pour la France, une vague de froid fin 1978 avait provoqué une panne d’électricité générale le 19 décembre où les trois quarts du pays avaient été privés de courant durant une dizaine d’heures, alors que commençaient à produire les premières centrales nucléaires et que l’interconnexion des boucles de distribution était encore incomplète.

La leçon à cette date fut bien comprise. Il fut décidé d’accélérer le programme nucléaire et de parfaire une interconnexion européenne qui autorise les échanges de puissance électrique entre pays permettant de pallier des incidents locaux ou des conditions climatiques géographiques particulières. Il y a donc en Europe un marché d’échange du MWh qui, lors de la vague de février, est brutalement monté à 200 € au lieu de 30 €.

Les solutions

Au-delà de la toile d’araignée des interconnexions de grandes lignes de courant, il y a une réflexion sur notre avenir énergétique dans la perspective de la transition écologique. L’intermittent éolien et solaire n’est viable que s’il est soutenu par une source d’énergie constante (4) et modulable facilement suivant la demande et si possible non polluante. À ce sujet connaître la valeur en émission CO2 du KWh est cruciale (voir tableau ci-dessous).

Filièrenucléairehydrauliquegazfioulcharbon
G CO2/kWh664187301060

 

Pour les producteurs et régulateurs de réseau c’est un vrai casse-tête car comment ajuster en temps réel demande et production et comment faire face à des conditions extrêmes - froid intense, neige et glace et anticyclone permanent - sans vent durant plusieurs jours (5) ? Les centrales thermiques à gaz ou fioul peuvent répondre assez vite mais comme elles ne fonctionnent que quelques jours par an, leur kWh est cher et peu d‘investisseurs sont enclins à s’y intéresser. De plus leur bilan carbone n’est pas bon. En France l’hydraulique peut répondre assez vite à ces hausses de demande. Pour le nucléaire, actuellement le CEA et EDF planchent sur un procédé de variation rapide de 20% à 80% de la puissance d’un réacteur en moins d’une heure (6). Par ailleurs la recherche et quelques réalisations de SMR (petits réacteurs modulaires) vont permettre de diversifier les applications nucléaires de puissance comprises entre 100 et 300 MW et répondre à ces types de demandes (7). Le projet français « Nuward » vient de bénéficier financièrement du plan de relance. Il regroupe le CEA, EDF, TechnicAtome et Naval Group. Avec deux ilots de 170 MW et une seule salle de commande, il sera le plus compact du marché dans une cuve de 4 m de diamètre et de 13,5 m de hauteur dans un bâtiment semi enterré associé à un système de refroidissement passif (sans pompes) garantissant une sureté et une protection de qualité. Modèle le plus compact issu de notre expérience de la propulsion navale, il pourrait être commercialisé en 2035 avec une chaine de fabrication modulaire et standardisée permettant des coûts réduits. Il ne faut pas tarder, car selon l’OCDE/AEN le marché des SMR à cet horizon peut être de 20 GW. Déjà la Russie a installé un SMR sur barge flottante en Sibérie et aux États-Unis la société NuScale prévoit d’installer un premier module en Utah en 2023.

Sur le papier nos gouvernants et l’opinion publique pensent qu’il est simple d’élaborer une transformation énergétique radicale de la société, sur le terrain c’est une autre affaire… (8)

Jean-Claude Bernier
Mars 2021

Pour en savoir plus :
(1) Noël aux tisons ? editorial Jean-Claude Bernier
(2) Une électricité 100% renouvelable : rêve ou réalité ? fiche Chimie et… en fiches
(3) Réseaux de transport de l’électricité et transition énergétique, article et conférence de S. Henry (colloque Chimie et enjeux énergétiques, 2012)
(4) Le challenge de l’électricité verte, collection Chimie et Junior
(5) La complexité du réseau et l’électricité verte, article et conférence de Y. Bréchet (colloque Chimie et enjeux climatiques, 2015)
(6) Équipe de recherche (vidéo du CEA)
(7) Le nucléaire de fission dans le futur. Complémentarité avec les renouvelables, conférence de C. Behar (colloque Chimie et énergies nouvelles, 2021)
(8) Vitesse de déploiement et acceptabilité des nouvelles technologies dans le domaine des énergies, conférence de G. de Temmerman (colloque Chimie et énergies nouvelles, 2021)

 

Image d'illustration :  K. et B. Emerson - Flickr
licence Creative Commons Attribution 2.0 Générique.