La chimie en flux continu consiste à réaliser les synthèses dans des dispositifs traversés par le milieu réactionnel en écoulement dans lesquels on effectue toutes les réactions et les transformations physicochimiques sans isoler les intermédiaires. Elle diffère de la chimie en mode discontinu classique (batch) qui s’effectue dans un réacteur (ballon) suivie des différentes étapes de la synthèse. La chimie en flux continu permet de contrôler précisément les conditions de réaction pour optimiser les rendements et les sélectivités.
La maîtrise de la température réactionnelle qui nécessite d’égaliser les flux de chaleur et les échanges thermiques est très nettement améliorée ici. On peut ainsi calculer qu’un réacteur tubulaire de diamètre de 5 mm montre une excellente aptitude de transfert thermique 100 fois supérieure à celle d’un réacteur tubulaire de 10 cm de diamètre. Des modèles mathématiques montrent que le transfert de matière est un élément important et joue en particulier sur la sélectivité des réactions [1].
La microfluidique s’intéresse aux écoulements dans des canaux de dimension de l’ordre du micron par analogie au monde du vivant. En effet le réseau de la circulation du sang fait intervenir des capillaires sanguins de cette dimension, tout comme dans les plantes le transport de l’eau vers les feuilles s’effectue sous l’action de forces capillaires qui agissent à ces petites échelles [2].
Le développement de la microfluidique a permis de diminuer les quantités des produits à mélanger et rend plus reproductible les conditions expérimentales en contrôlant finement les vitesses des ajouts des réactifs et le temps de séjour dans le microréacteur (donc le temps de réaction) [3].
À ces dimensions les lois de la mécanique des fluides sont celles des écoulements laminaires (fluide dit newtonien) sans aucune turbulence. Il en résulte que la mise en contact de deux liquides se traduit par un mélange uniquement obtenu par un phénomène lent de diffusion. Il est donc nécessaire de concevoir des méthodes de mélange efficace pour créer de véritables « labos sur puce » [4].
Aussi la microfluidique a bénéficié des travaux de G. Whitesides (Université de Harvard) des années 90 sur la lithographie douce qui permet alors de fabriquer des dispositifs microfluidiques en polymère transparent de longueur variant de 10 à 100 µm. Les dispositifs de base sont alors des micro-mélangeurs, micro-générateurs de gradient de concentration, et micro-diffuseurs [2].
À ces dimensions on peut ainsi utiliser des émulsions pour fabriquer une à une des gouttelettes d’un fluide au sein d’un autre fluide non miscible, à des fréquences d’une dizaine de gouttelettes par seconde, créant des trains de gouttes monodispersées et confinées qui circulent à vitesse constante de l’ordre de 1 mmol/s. La goutte devient alors un véritable réacteur chimique ! [5] qui par exemple sous l’effet d’ultrasons éclate et libère le produit formé. Ainsi la combinaison de microgouttes de perfluorocarbone (PFC) avec des ultrasons (US) permet d’abord de déclencher à distance la vaporisation du PFC et ensuite l’ouverture des microgouttes avec libération de leur contenu. Ainsi on peut utiliser des microgouttes pour contrôler à la fois dans l’espace et dans le temps une réaction chimique par exemple la cycloaddition non catalysée entre un azoture et un alcyne conduisant à des médicaments comme la doxorubine libérée au niveau d’une tumeur cancéreuse (leucémie) [6].
La miniaturisation des réacteurs en flux continu rend la fabrication moins onéreuse des produits à forte valeur ajoutée. Ce type de réacteur permet de réaliser des synthèses de chimie fine impossibles dans un réacteur standard. Ainsi l’emploi de « turbo Grignard » (organomagnésien complexé par LiCl) permet dans des conditions de flux continu de réaliser des échanges halogène-métal à des températures nettement plus élevées (allant jusqu’à 95°C) que dans des réacteurs statiques. Des métallations sélectives avec des « superbases » mixtes de lithium et de zinc sur des hétérocycles azotés sont possibles en flux continu avec des rendements dépassant toujours les 90% alors qu’elles ne sont pas possibles dans des réacteurs classiques ou des ballons réactionnels ! [7]
Par ailleurs cela permet d’atteindre des temps de réaction très courts (de l’ordre de la milliseconde), d’où le nom de chimie éclair, et de réaliser des mélanges efficaces pour effectuer des réactions de chimie organique quasi impossibles par la synthèse conventionnelle. En effet il est important de signaler que la sélectivité organique n’est pas liée à la réaction chimique mais plutôt au système : si cela ne change pas les contrôles cinétiques réactionnels, cela influence le cours de deux réactions dans la façon de mettre en contact les réactifs. Mentionnons ainsi que les ortho, méta et para iodophénones d’alkyles dans des conditions de microfluidique sous l’action d’un organolithien donnent une régiosélectivité totale sur le site électrophile du groupement carbonyle ! [8]
Des synthèses de médicaments sont réalisées dans d’excellentes conditions. Ainsi un anticancéreux comme le tamoxifène (cancer du sein) est synthétisé par synthèse organométallique à plus de 220 grammes par jour correspondant à une production de 20 000 doses [9].
En général des réactions de nitration, réduction et de dimérisation sont réalisables industriellement dans des conditions de « flow chemistry » à des températures et des pressions élevées (150°C, 20 bars) avec une accélération d’un facteur 1000 [10].
Il existe des réacteurs photochimiques microfluidiques très performants. Cela permet de réaliser aussi des synthèses de médicaments : l’odanacatib, utilisé pour traiter l’ostéoporose, est ainsi produite avec un rendement de 1g/h au lieu de 1mg/h dans un réacteur classique (batch). Il en est de même pour la camptothécine dans un réacteur à lit plan en flux continu qui est obtenu par ce procédé avec plus 90% de rendement alors qu’en procédé classique (batch), le rendement n’était que de 50% ! [11] La camptothécine est une molécule cytotoxique mais qui intervient dans la synthèse de médicaments anticancéreux.
Des spectres RMN pour analyse en ligne de réaction en flux continu sont réalisés avec des appareils miniaturisés dans des dispositifs portatifs. Il s’agit alors d’appareils à bas champ de 40 à 80 MHz à des prix attractifs de l’ordre de 50.000 à 100.000 euros. La méthode ne nécessite pas de solvants deutérés, mais il faut travailler en solutions concentrées et des recherches pour résoudre les problèmes de sensibilité et de résolution sont requises. Néanmoins un suivi par cette méthode a déjà été développé par exemple pour la neutralisation oxydante des produits toxiques de type « gaz moutarde » [12].
La microfluidique a permis de faire des progrès importants dans le domaine de la formulation. Citons la réalisation des tests immunologiques. Des crèmes à microgouttelettes en suspension peuvent être préservées jusqu’à l’application sur la peau et ont été récemment industrialisées et commercialisées pour des applications en cosmétologie [13].
Des exemples d’industrialisation existent déjà à grande échelle :
- La production de polysulfones en continu avec un dispositif de cisaillement pour diminuer la viscosité du milieu a permis de s’affranchir de l’utilisation de solvants dans un pilote de production de 10 kg/h pour un temps de séjour d’à peine 1 heure ; l’objectif du développement est de passer à une capacité industrielle de 250 tonnes par an ! [14]
- La microfluidique permet aussi de synthétiser des nanomatériaux en contrôlant mieux leur taille, leur forme et leur réactivité. Ainsi la pyrolyse laser permet en flux continu la production de nanoparticules de silicium utilisée dans des batteries [15]. Des nanocristaux de CaCO3, d’une dizaine de nm et d’une aire massique de 50m2/g peuvent être produits à raison de 10 tonnes par an, ceci après un travail de développement industriel de plus de sept années et sont utilisés par exemple dans des administrations de médicaments ! [16]
En conclusion « faire mieux avec moins : la microfluidique ! » [17].
Pour la chimie en flux, nous sommes passés d’un montage dédié (A) à une unité flexible multi-réactionnelle (B) (comparaison 1992-2019). Source : B) www.vapourtec.com in Chimie et nouvelles thérapies (EDP Sciences 2020) p. 235
Pour approfondir et illustrer ce sujet :
[1] Principes théoriques de la chimie en flux de L. Falk et coll., Techniques de l’Ingénieur, fiche J 8025
[2] Microfluidique (PDF) de O. Choffrut, mémoire 2018-2019 ENS
[3] Vidéo en anglais avec un bref résumé et des dispositifs commerciaux de Vapoutec sur le site de la société Vapourtec
[4] La microfluidique : principes physiques et mise en œuvre d’écoulements continus (PDF) 31/03/2016, de O. Français et coll., ENS Paris Saclay
[5] Comment circulent des gouttes dans un laboratoire sur puce ? article de P. Pannizza et coll., Reflets de la Physique n°36 (octobre 2013) pp. 4-9
[6] Réactions chimiques et mélanges locaux induits par ultrasons : vers une chimiothérapie ciblée de M. Bezagu, Thèse Université Pierre et Marie Curie - Paris VI, 2015, NNT : 2015PA066492, tel-01299791
[7] Chimie organométallique en flux continu de P. Knochel et coll., Techniques de l’Ingénieur, fiche J 8030
[8] Chimie éclair et synthèse microfluidique de J. Legros et coll., Techniques de l’Ingénieur, fiche J 8035
[9] Chemistry in a changing world de S. Ley et coll., L’Actualité chimique n° 393-394 (février-mars 2015) pp. 96-101
[10] Chimie fine et pharmacie, de G. Guillamot, conférence vidéo et article du colloque Chimie et Nouvelles thérapies (2019) pp. 227-240 sur le site Mediachimie.org
[11] La photochimie organique et ses applications industrielles de N. Hoffmann, conférence vidéo et article du colloque Chimie et Lumière (2020) pp. 19-35 sur le site Mediachimie.org
[12] Spectre RMN analyse en ligne de réactions en flux continu de P. Giraudeau et coll., Techniques de l’Ingénieur, fiche J 8015
[13] Microfluidique et Formulation de V. Nardello-Rataj et coll., Techniques de l’Ingénieur, fiche : J 8010
[14] Intensification des procédés d’industrialisation de C. Gourdon, Techniques de l’Ingénieur, fiche J 7002
[15] La pyrolyse laser, une méthode industrielle de production de nanoparticules de J.F. Perrin, conférence vidéo et article du colloque Chimie et Nanomatériaux et Nanotechnologies (2019) pages 227-237 sur le site Mediachimie.org
[16] Synthèse de nanomatériaux en dispositifs microfluidiques de M. Penhoat, Techniques de l’Ingénieur, fiche J 8070
[17] Faire mieux avec moins : la microfluidique de S. Descroix et coll., dans le livre « Étonnante Chimie » (CNRS, Editions 2021)
Les références [1], [7], [8], [12], [13], [14] et [16] sont extraites de l’ouvrage collectif coédité par le CNRS et les Techniques de l’Ingénieur (TI) en 2021. Ce fascicule est disponible et pourra être obtenu gracieusement sur demande en signalant l’origine de cette note de ZOOM et en prenant contact avec les adresses suivantes : julien.legros @ univ-rouen.fr ou maud.buisine @ teching.com.
La part de la chimie dans les révolutions agricoles. De ce survol historique, une évidence s’impose : la chimie est bien la discipline-clef pour appréhender l’évolution de l’agriculture et un des outils nécessaires à sa durabilité.
Source : Une vidéo de la série Chimie et agriculture durable pour tous
Pendant combien de temps encore pourra-t-on prendre l’avion ? Cette question peut sembler provocatrice. Elle touche aux libertés individuelles : les voyages en avion se sont largement démocratisés ces cinquante dernières années. Elle renvoie aussi à de forts enjeux économiques, en particulier en France ,: le trafic aérien génère des revenus élevés dans les aéroports, la filière aéronautique fait vivre de nombreuses entreprises. Pourtant, le dérèglement climatique ne fait (presque) plus débat et la raréfaction des énergies fossiles non plus. Cet article explore les pistes susceptibles de rendre compatibles les enjeux économiques et individuels associés à l’aviation avec les défis climatique et énergétique.
Parties des programmes de physique-chimie et d’enseignement scientifique associées
- Programme d’enseignement de spécialité de physique-chimie de terminale générale : Constitution et transformation de la matière – 3. Prévoir l’état final d’un système, siège de transformation chimique
- Programme d’enseignement scientifique de terminale générale
- Thème 1 – Sciences, climat et société
- Thème 2 – Le futur des énergies
- Programme de physique-chimie et mathématiques de terminale STI2D : Énergie – Énergie chimique ; Matière et matériaux – Oxydoréduction : piles, accumulateurs et piles à combustible
- Programme de physique-chimie et mathématiques de terminale STL : Énergie, conversions et transferts – Énergie électrique ; Transformations de la matière – Réactions d’oxydoréduction
Lorsqu’ils sont découverts, les objets archéologiques sont soumis à de nouvelles conditions physico-chimiques. Il est alors important de connaître la composition de ces objets et les dégradations survenues avant la découverte pour optimiser leur conservation. S’appuyant sur cette analyse, la phase de restauration proprement dite peut alors commencer.
Cet article présente les procédés physiques ou chimiques qui ont permis la restauration d’un chaland datant de l’époque galloromaine, pièce maîtresse du musée Arles antique.
Parties des programmes associées
- Programme de spécialité physique-chimie de terminale générale :
- constitution et transformations de la matière. Partie 4 – Élaborer des stratégies en synthèse organique (Polymères)
- ondes et signaux. Partie 2.B – Décrire la lumière par un flux de photons
- Programme de physique-chimie de seconde : Partie 1.A – Transformation physique
- Programme d’enseignement scientifique de première générale : Partie 1.2 – Des édifices ordonnés : les cristaux
L’électrolyse, une solution pour protéger l’environnement. L’étude des réactions forcées permet de mettre en place des procédés industriels permettant de produire des espèces chimiques (hydrogène, dichlore, soude, etc.), de traiter des métaux comme le cuivre, le fer ou encore de fabriquer des accumulateurs, en accord avec le respect des principes de la chimie verte.
Terminale - STL (Spécialités PCM et SPCL)
Objectifs : Comprendre comment il est possible de faire évoluer un système chimique dans le sens contraire de son sens d’évolution spontané en imposant une tension électrique entre deux électrodes plongeant dans une solution électrolytique.
Appréhender quelques-unes des applications industrielles de l’électrolyse.
Transformation chimique de la matière / réactions d’oxydo-réduction
Notions et contenus : Réaction d’oxydo-réduction ; demi-pile, pile, anode, cathode.
Synthèse chimique / aspect microscopique
Notions et contenus : Électrolyse, électrosynthèse, applications courantes, rendement faradique.
Source : Dossier pédagogique réalisé par les Éditions Nathan en partenariat avec La Fondation de la Maison de la Chimie et Mediachimie
Pourquoi mesurer la radioactivité ? Dans la nature, la plupart des noyaux d’atomes sont stables, c’est-à-dire qu’ils restent indéfiniment identiques à eux-mêmes. Les autres sont instables car ils possèdent trop de protons ou de neutrons ou trop des deux. Pour revenir vers un état stable, ils sont obligés de se transformer. Ils expulsent alors de l’énergie – provenant de la modification du noyau – sous forme de rayonnements : c’est le phénomène de la radioactivité.
Les recherches sur la radioactivité ont contribué à la connaissance de la matière, permis de reconstituer l’histoire de l’Univers et de la Terre et procuré des marqueurs, outils et instruments irremplaçables en biologie, médecine et géologie.
Les propriétés de la radioactivité et les nombreuses applications qui en ont découlé sont de plus en plus présentes dans notre vie quotidienne : la production d’électricité, les diagnostics médicaux, l’astronomie…
Les éléments radioactifs sont également d’excellents chronomètres : la décroissance radioactive et la mesure de l’activité fournissent ainsi des « horloges » destinées à dater des événements plus ou moins anciens. C’est ce dernier point que nous allons étudier dans ce dossier.
Terminale - Spécialité PC
Objectifs : Expliquer le principe de la datation à l’aide de noyaux radioactifs et dater un événement.
Constitution et transformations de la matière
Thème 3 • Prévoir l’état final d’un système, siège d’une transformation chimique.
Partie B • Modéliser l’évolution temporelle d’un système, siège d’une transformation nucléaire.
Notions et contenus : Évolution temporelle d’une population de noyaux radioactifs ; constante radioactive loi de décroissance radioactive ; temps de demi-vie ; activité.
Radioactivité naturelle ; applications à la datation.
Source : Dossier pédagogique réalisé par les Éditions Nathan en partenariat avec La Fondation de la Maison de la Chimie et Mediachimie
Des batteries écologiques et recyclables pour concurrencer le marché chinois : c’est possible grâce à une start-up française. Comment sont-elles conçues ?
Source : Clins d'oeil de la Fondation Internationale de la Maison de la Chimie
Présentation de l’unique autobus à hydrogène fabriqué en France, commercialisé et en service depuis 2019. Ce bus Zéro émission a une autonomie de 350 km, fonctionne avec un moteur électrique de 250 kW alimenté par une pile à hydrogène de 30 kW qui utilise une réserve de 30 kg d'hydrogène.
Source : Clins d'oeil de la Fondation Internationale de la Maison de la Chimie
Un pigment est un matériau insoluble dans le milieu dans lequel il est dispersé alors qu’un colorant y est soluble [1] [2].
Les matières colorantes absorbent la lumière dans un domaine de longueur d’onde compris entre 400 et 750 nm. Les origines de la couleur sont liées aux structures chimiques de ces substances [1a]. Pour les composés organiques il s’agit d’une absorption d’un niveau électronique moléculaire à un autre. Pour les composés minéraux ce sont souvent des cations de métaux de transition d’un solide qui sont responsables de l’absorption mais il faut tenir compte de leur environnement anionique (transitions entre les niveaux électroniques des complexes cation/anion ainsi formés). C’est ainsi que l’ion cobalt (II) passe du bleu de cobalt [Co3(PO4)2] au violet clair [Co3(AsO4)2] ; le violet de cobalt est le seul pigment violet de la palette du peintre ! [1a].
Dans les peintures de la grotte de Chauvet découvertes au début des années 2000 et qui datent de 33000 ans environ, s’il est aisé de comprendre que le noir provient du charbon issu de la calcination des os, d’ivoire ou du bois, il n’est pas évident d’expliquer la présence des nuances d’ocre ! Il a été démontré par analyse de diffraction des rayons X au Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France (C2RMF) que les pigments ocre sont tous des oxydes de fer : l’hématite (Fe2O3) de couleur rouge et la goethite (FeOOH) de couleur jaune. Dans les deux cas c’est le cation Fe3+ qui se trouve au centre d’un octaèdre dont les six sommets sont respectivement six ions oxyde, et trois ions oxyde et trois ions hydroxyde, les absorptions n’ayant pas lieu aux mêmes longueurs d’onde. La cuisson de la goethite permet sa transformation en hématite et c’est vers 300 - 400°C que l’on obtient les ocres orangés [3] [8].
Le bleu égyptien n’est pas un pigment naturel mais obtenu par chauffage aux environs de 1000°C d’un mélange de calcaire, de silice et de composés cuivreux pour conduire à une masse compacte hétérogène de cuprorivaïte (CaO, CuO, 4 SiO2) et de quartz et tridymite (variétés de silice SiO2) : la nuance de bleu varie avec la température de 900 à 1100 °C et le broyage conduit alors à une couleur bleu clair pour des grains de 20 µm [1].
La couleur bleue (bleu outremer) du lapis-lazuli n’est pas due à l’élément cuivre mais au soufre ! En effet des mesures par RPE (1970) ont mis en évidence l’anion radical trisulfure (S3-), dans une cage d’aluminosilicate type zéolithe, qui absorbe vers 600 nm (dans le domaine du rouge) ce qui explique sa couleur bleue (couleurs complémentaires) [1].
Le bleu de Prusse est un pigment minéral de formule Fe4 [Fe(CN)6, 15 H2O]3 qui cristallise dans le système cubique faces centrées. Depuis la découverte à Berlin par Diesbach en 1706 [5a] il était préparé par distillation du sang en présence de sulfate de fer en milieu alcalin (carbonate de potassium). Actuellement il est préparé à partir de deux solutions aqueuses d’hexacyanoferrate (II) de potassium et de nitrate de fer (III). Il est possible de changer la couleur simplement en modifiant les degrés d’oxydation de l’un des cations. Par exemple sous l’action d’une électrolyse la réduction suivante peut se produire :
K4FeIII [FeII(CN)6]4 + 4 K+ + 4 e- → K8 FeII [FeII(CN)6 ]4
La couleur est variable en fonction du potentiel appliqué à la cathode : -0,2 V (incolore), - 0,6 V (cyan) 1,0 V (vert), 1,5 V (jaune) ! Cela pourrait permettre de créer des vitres pouvant changer de couleur sous l’action d’un courant électrique. Des brevets ont été déposés mais sans développement à ce jour [5b].
Le bleu de Prusse intervient dans la composition de cathodes en particulier sous la forme NaxMaNbFe(CN)6 des batteries sodium–ion (Na–ion), où M et N sont des éléments de transition avec x voisin de 1,9 et a et b ≤ 1. La batterie au sodium est moins onéreuse que celle au lithium et offre une solution durable au stockage de l’énergie avec des dizaines de milliers de cycles de décharge/charge, chaque cycle durant quelques minutes ; elle est développée actuellement par la Société Natron Energy en Californie [6].
La mauvéine est un pigment découvert par hasard par Perkin en 1856 à Londres, alors qu’il cherchait une synthèse de la quinine… qui permettait de traiter la malaria ! L’analyse en 2007, a montré qu’il s’agissait ici d’un mélange de quatre molécules organiques de couleur mauve appelées mauvéines A, B1, B2 et C. Ainsi la Reine Victoria en Angleterre et l’Impératrice Eugénie ont porté de somptueuses robes de soie colorées avec de la mauvéine ! [7] [8]
La poudre de pigment n’est pas applicable directement sur un support : pour assurer l’adhésion, les particules doivent être dispersées dans une substance appelée liant.
Dans la peinture à l’eau le liant a été d’abord de l’eau à laquelle on ajoutait de la gomme arabique (molécules de sucres associées solubles dans l’eau) pour obtenir des aquarelles ou des gouaches selon la quantité de gomme ajoutée. Puis, à partir du XVe siècle, on a ajouté à l’eau du jaune d’œuf. Ce dernier renferme 30% de lécithine qui est un phospholipide, molécule contenant des chaînes hydrocarbonées apolaires lipophiles avec des extrémités chargées hydrophiles ; on obtient une émulsion dans laquelle les particules de pigments (composé ioniques) sont alors dispersées sans pouvoir s’associer en agglomérats qui seraient inutilisables pour la peinture. On peut remplacer le jaune d’œuf par de la glycérine [1a].
Dans la peinture à l’huile, le liant est surtout l’huile de lin. Son usage a été introduit par les frères Van Eyck au XVe siècle. L’huile de lin est un mélange de triglycérides, triesters du glycérol et de trois acides gras insaturés (dans ce cas les acides linolénique, linoléique et oléique). La pâte contenant les pigments dispersés dans l’huile est conservée dans des tubes. Étalée sur la toile, la peinture « sèche » : en fait elle donne une réaction de polymérisation en présence de l’oxygène de l’air grâce aux doubles liaisons C=C insaturés pour donner un réseau 3D par réticulation et donc un film résistant et souple [1a].
Mais un grand changement s’est opéré avec les peintures acryliques dans les années 1950. Cette découverte est due à des chimistes de Mexico : le liant est une émulsion d’eau et de résines acryliques (solubles en milieu aqueux en raison des parties protiques ou polaires) issues de la polymérisation de dérivés acryliques monomères de type CH2=CH-CO2H ou CH2=CH-CO2R qui conduisent à des films de très grande élasticité avec un temps de séchage bien plus court. Elles sont moins sensibles au vieillissement [1a].
Le vieillissement de la peinture des tableaux peut correspondre à des phénomènes d’oxydation. Par exemple la couleur jaune utilisée par Van Gogh était du sulfure de cadmium qui s’oxyde à l’air pour donner des taches blanchâtres de sulfate de cadmium selon l’équation : Cd S (jaune) + O2 → Cd SO4 (blanc) [1b].
Ce pigment toxique (car il contient du cadmium) n’est plus autorisé depuis les directives européennes de 1996 ; cela explique l’apparition récente de pigments à base de sulfure de cérium et de de sodium [8].
Mais le vieillissement peut aussi provenir des réactions d’oxydation photochimique : ainsi la laque géranium (par analogie avec la couleur de la fleur !) utilisée par Van Gogh « passe avec la lumière » et se décolore progressivement. Une analyse par microscopie électronique à balayage a montré la présence d’atomes de brome caractéristiques de la molécule d’éosine [9]. L’éosine absorbe dans le vert à 529 nm. On montre de plus par voltamétrie cyclique que le potentiel redox de l’éosine à l’état fondamental est de 0,78 V mais qu’il s’abaisse à – 1,11 V lorsque l’éosine est à l’état excité, ce qui rend donc l’éosine plus sensible à l’oxydation par l’oxygène [10].
La connaissance des pigments utilisés par un peintre à une certaine période de sa vie permet de dater et donc d’authentifier un tableau. Le développement de l’instrumentation - du pinascope (premier petit microscope utilisé pour l’examen scientifique des peintures) du Dr Pérez des années 30 aux méthodes actuelles de microscopie électronique à balayage couplées avec la diffraction et la fluorescence X - a révélé des fraudes et des scandales retentissants [9].
Ainsi Van Meegeren un peintre restaurateur hollandais avait vendu à Hermann Goering un tableau de Vermeer (peintre hollandais du XVIIe siècle) représentant Marie-Madeleine lavant les pieds du Christ et authentifié par des experts de l’époque… Il fut arrêté à la fin de la guerre et pour « se disculper », il a avoué la falsification en repeignant le tableau devant les enquêteurs. Pour améliorer sa technique (pour rendre ses faux encore plus vrais !) il remplaçait l’huile par des résines acryliques… mais s’il veillait à n’acheter que des pigments purs, un marchand de couleurs avait ajouté, en oubliant de le lui signaler, quelques pigments supplémentaires et en particulier du bleu de cobalt synthétisé par Thénard bien après la mort de Vermeer… en 1799 ! [11]
Image d'illustration
Pour approfondir et illustrer ce sujet :
[1a] La chimie crée sa couleur… sur la palette du peintre de B. Valeur, article et conférence-vidéo du colloque La Chimie et l’Art (2009) sur Mediachimie.org
[1b] Matériaux du patrimoine et altération. Analyses par rayonnement synchrotron de K. Janssens, article et conférence-vidéo du colloque La Chimie et l’Art (2009) sur Mediachimie.org
[2] Les pigments et les colorants : on en parle ? de M. Jaber et Ph. Walter, L’Actualité Chimique n°444-445 (octobre-novembre 2019) p. 13
[3] Identifier les pigments et comprendre leurs propriétés à partir de la diffraction des rayons X de Ph. Walter et coll., L’Actualité Chimique n°387-388-389 (juillet-août-septembre 2014) p. 170
[4] Les couleurs à l’époque de Toutânkhamon de B. Valeur, L’Actualité Chimique n°444-445 (octobre-novembre 2019) p. 10
[5a] La première couleur artificielle : le bleu de Prusse de Catherine Marchal anecdocte et vidéo sur Mediachimie.org
[5b] Toutes les couleurs du bleu de Prusse de G. Fornaseri et coll., L’Actualité Chimique n°444-445 (octobre-novembre 2019) p. 21
[6] L’actualité du solaire juillet 2020
[7] Des matériaux, patrimoines de l’humanité ? Préserver et transmettre une part de l’histoire de la chimie de Ph. Walter, article et conférence du colloque Chimie et Alexandrie (2019) sur site mediachimie.org
[8] Comment la synthèse ratée d’un médicament conduit à un colorant industriel : la mauvéine de B. Bodo et G. Emptoz, anecdote et vidéo sur Mediachimie.org
[9] Histoire secrète des chefs d’œuvre (C2RMF) de D. Dubrana, Editions SPE BARTHELEMY (2001), un beau livre !
[10] Les colorants et la lumière pour transformer la matière N. Hoffmann et coll., L’Actualité Chimique n°444-445 (octobre-novembre 2019) p.38-43
[11] L’Art-Chimie de Ph. Walter et F. Cardinali, Éditions Michel de Maule / Fondation de la Maison de la Chimie (2013), un autre beau livre !