Mediachimie | Que faire des pales d’éoliennes ?

Date de publication : Mercredi 24 Novembre 2021
Rubrique(s) : Éditorial

Alors que la stratégie gouvernementale de la transition énergétique se base en partie sur l’énergie éolienne, nombre d’experts pointent la difficulté d’atteindre les objectifs fixés pour 2028. En effet il existe en France en 2021 8000 éoliennes sur 1400 parcs, qui ont fourni 8% de la production électrique en 2020 pour une puissance installée de 18 GW (1). Les objectifs de la feuille de route sont d’arriver à 34 GW pour l’éolien terrestre soit donc de doubler le nombre d’éoliennes, et de 5 GW pour l’offshore. Les puissances individuelles de chaque éolienne sont passées en plus de 20 ans de 1,5 MW à 5 MW voire 7 MW pour l’éolien en mer. Comme la puissance est proportionnelle à la surface du cercle décrit par les pales, celles-ci sont passées de 20 m à près de 160 m de longueur grâce au progrès de la chimie des matériaux composites (2).

Une note du ministère de la Transition écologique rappelle que pour atteindre les objectifs il sera nécessaire de s’assurer de la rentabilité des installations, de leur maintenance, de leur intégration paysagiste et enfin de leur recyclage. Au moment où de plus en plus de Français s’inquiètent ou s’opposent à de nouveaux champs terrestres d’éoliennes et les pêcheurs aux implantations en mer, il importe de se pencher sur le démontage et recyclage des installations (3).

La durée de vie d’une éolienne est de 20 à 30 ans et c’est depuis les années 80 à 90 que l’implantation des parcs s’est faite en Europe. Après plus de 20 ans de bons et loyaux services les machines peuvent être démantelées ou remplacées par d’autres plus modernes. On estime en France à 1500 le nombre d’installations à démonter d’ici 2025 et la PPE (Programmation Pluriannuelle de l’Énergie) précise que le recyclage des principaux composants sera obligatoire dès 2023. En fait près de 75 à 80% de la masse de l’installation peut être recyclée, le béton du socle et l’acier des mâts, la cellule et même le cuivre et les terres rares du rotor sont valorisables. Sur le site lui-même, les excavations des fondations, la remise en état du terrain sont prévues dans la convention privée.

Mais que faire des pales ?

Les premières générations d’éoliennes arrivent en fin de vie et le président de WindEurope estime que d’ici 2023 14000 pales d’éoliennes seront mises hors service et leur recyclage devient une priorité absolue. Ce n’est pas facile car elles sont constituées de matériaux composites comportant des fibres de verre ou plus récemment de fibres de carbone assemblées avec des résines époxy ou de polyester (4). Et jusqu’à présent notamment aux États-Unis elles terminent en enfouissement.

Plusieurs voies sont explorées :

Mécaniques, pour les pales renforcées en fibres de verre

  • le broyage : la pale est découpée en morceau puis dans un broyeur à couteau transformée en poudre ou granulés et brulés en cimenterie par exemple ou enfouis.
  • les fibres de verre courtes peuvent être utilisées comme renfort dans le béton dans le mobilier urbain ou enrobés routiers. Mais une fois séparées les fibres perdent une partie de leurs propriétés mécaniques.

Chimiques, pour les pales renforcées en fibres de carbone

La fibre de carbone (5) change les données économiques, car bien que de plus en plus utilisée elle reste cependant coûteuse et sa récupération même complexe a un coût élevé. Cela justifie une opération de recyclage. On peut alors trouver plusieurs procédés :

  • la solvolyse à haute pression et à 200°-300°c par l’eau supercritique (6), celle-ci devient un solvant qui dissous les composés organiques comme les résines thermodurcissables des pales et permet de séparer les fibres de carbone de la matrice qui peuvent être récupérées.
  • la pyrolyse entre 400° et 700°C en milieu semi confiné on « distille » la résine en oléfines, huiles et goudrons et on récupère la fibre de carbone qui n’a pas été oxydée.
  • l’écoconception par l’utilisation d’une résine thermoplastique de type polyacrylate comme Elium℗ d’Arkema (7). Lors de la fabrication de la pale la résine liquide est déposée dans le moule sur les tissus et fibres de carbone, on y ajoute le catalyseur de polymérisation qui se fait à température ambiante et en quelques dizaines de minutes. L’avantage est d’utiliser les mêmes outils de conception que pour le thermodurcissable mais sans dépense d’énergie et la réparabilité à froid en cas de dommage est assurée. En fin de vie deux solutions : un procédé de broyage et d’ajouts aux granulés de polymères compatibles comme le PMMA ou l’ABS mené par la plateforme Canoe et l’ICMCB conduit à des nouveaux objets composites ; seconde solution, par chauffage des fragments du composite broyé, on peut aussi dépolymériser le thermoplastique et récupérer le monomère séparé des fibres, des colles et peintures (8).

Si d’ici 2030 on estime à plus de 35000 tonnes de pales issues du démantèlement en Europe et en France à un flux de 1500 t en 2029 nous avons en innovation chimique du pain sur la planche ! D’autant qu’il n’y a pas encore de vraies filières d’économie circulaire (9) pour les matériaux composites non seulement pour les pales d’éoliennes mais aussi pour l’industrie nautique - les coques de bateaux -, aérienne - les corps des avions - et automobile où ils envahissent le marché.

Jean-Claude Bernier
Novembre 2021

Pour en savoir plus
(1) Les énergies renouvelables (vidéo du CEA série « Les Incollables »)
(2) Les chimistes dans l’aventure des nouveaux matériaux (série Les chimistes dans…, mediachimie.org)
(3) Vitesse de déploiement et acceptabilité des nouvelles technologies dans le domaine des énergies, Grégory De Temmerman, Colloque Chimie et énergies nouvelles (février 2021)
(4) Matériaux composites à matrice polymères, d'après la conférence de Patrice Hamelin, La chimie et l’habitat, EDP Sciences (2011)
(5) Les matériaux dans le sport (r)évolutionnaires ! Patrice Bray, Odile Garreau et Jean-Claude Bernier (série Chimie et … en fiches, Médiachimie.org), d’après l’article de Y. Rémond et J.-F . Caron, in La chimie et le sport, EDP Sciences (2011)
(6) Les fluides supercritiques à votre service, S. Sarrade et K. Benaissi, L'Actualité Chimique n°371-372 (2013) p. 72
(7) Les matériaux de la transition énergétique : les attentes et les défis, J.-P. Moulin, Colloque Chimie et énergies nouvelles (février 2021)
(8) Le prix Pierre Potier des lycéens 2020 (Vidéo YouTube)
(9) Les chimistes dans l’économie circulaire (série Les chimistes dans…, mediachimie.org)

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