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Mots-clés : béton, ciment, chaux, dioxyde de carbone, pouzzolane, Portland, laitiers

Le béton est le matériau de construction le plus utilisé dans le monde (dix milliards de tonnes !) en raison de son faible coût de production (un peu plus de 100 euros/m3). C’est un mélange de sable, de graviers (granulats) et de ciment, ce dernier assurant la cohésion de l’ensemble (liant). La fabrication d’un béton requiert pour sa mise en œuvre une formulation définie qui varie en fonction de la taille du sable et des graviers, voici une formulation typique du béton : granulats (51%), sable (34%), ciment (10%) et eau (5%) [1].

Les mortiers sont des mélanges uniquement de sable, de ciment et d’eau et se distinguent donc des bétons par l’absence de granulats ! [2]

Le ciment est connu depuis l’Antiquité : les romains ont construit le pont de Sommières dans le Gard depuis plus de 2000 ans !

On distingue trois types de ciments [3].

Le caementum romain ou ciment de pouzzolane était obtenu en chauffant dans un four de la craie (calcaire CaCO3), qui à 600°C se décompose en chaux (CaO) avec formation de gaz carbonique (CO2). La chaux est mélangée à de l’eau et des cendres (provenant initialement du volcan de Pouzzoles près de Naples !). La formulation fut perdue au cours des siècles… et c’est l’ingénieur français Vicat qui la retrouve par analyse des constructions romaines mais qui hélas ne dépose pas de brevet [4a]. Au cours de ce processus il se forme une réaction entre la chaux hydratée et la silice des cendres pour former un gel dit de tobermorite constitué majoritairement de trihydrate de silice tricalcique de formule (CaO)3 (SiO2)2 (H2O)3 [4b].

Actuellement les ciments pouzzolanes nouvelles générations sont appelés ciments aux cendres volantes ; ils contiennent des particules fines de silice et d’alumine mais peu de chaux. Ces cendres sont issues des produits non brûlés de la combustion du charbon dans les centrales thermiques que l’on récupère pour ne pas polluer. La production de ces cendres est proche de 800 millions de tonnes par an dans le monde et seulement 15% sont réellement utilisées le reste étant mis en décharge. Comme ce sont des sous-produits de la combustion du carbone, ils sont ainsi retranchés du bilan carbone dans la fabrication des ciments dit décarbonés ! [5]

Le ciment de Portland est obtenu en chauffant de la craie et de l’argile (aluminosilicate hydratée (SiO2)2 Al2O3 H2O) dans un four tournant à 1450°C. Cette température a été rendue possible avec le développement de l’industrie du charbon au XIXe siècle dans le Pays de Galles, avec un brevet déposé en 1824 par Aspdin pour obtenir un ciment gris-blanc (comme le calcaire de l’Ile de Portland !) Le ciment de Portland est plus résistant que le ciment de Pouzzolane. Si ce procédé demande beaucoup d’énergie (850 kcal soit 3500 kJ par 0,5 g de CO2 produit), il est aussi très polluant : 850 kg de CO2 (environ 400 kg pour la décarbonatation et 450 kg pour réaliser la fabrication) sont émis par tonne de ciment produit, ce qui correspond à 5% des émissions anthropiques de CO2 [1] [5].

Les ciments aux laitiers : depuis les années 1970 d’abord en Russie, des ciments ont été fabriqués en utilisant du laitier de haut fourneau qui contient principalement de la silice, de l’alumine et de la chaux. Ce ciment ne réagit pas sensiblement au contact de l’eau mais si on additionne de la soude, alors il se produit une sursaturation avec la silice et l’alumine qui passent en partie en solution entrainant la formation d’un aluminosilicate de sodium (Na AlSiO4) et une gélification de l’ensemble. Ce procédé est intéressant d’un point de vue environnemental car le laitier n’est pas produit pour lui-même mais il est ici valorisé. C’est encore un exemple de ciment décarboné ! [6]

La prise du béton résulte de sa formulation et s’interprète par la réaction fondamentale d’hydrolyse des ions oxydes présents qui sont des bases fortes. La réaction s’accompagne d’un dégagement de chaleur (69 kJ/mol). L’élévation de la température qui en résulte peut donc être très importante lors de l’hydratation d’un ciment et à partir de 70°C, température que l’on peut atteindre en l’absence de précautions au sein des ouvrages importants comme les ponts, il peut se produire des fissures ultérieures dans l’ouvrage en béton. On peut alors, pour y remédier, ajouter du calcaire broyé, composé inerte vis-à-vis de l’eau, ou du laitier à réaction d’hydratation beaucoup moins exothermique.

Dans les ciments Portland actuels on ajoute 5% de sulfate de calcium (gypse) car il a une grande importance sur les propriétés mécaniques : si le taux de sulfatage est trop faible, il y a un refroidissement prématuré du béton qui ne peut alors être mis en place ; si le taux est trop fort la résistance mécanique diminue. Ces mécanismes ont été étudiés par des mesures par calorimétrie isotherme à mesure de flux thermique [7].

D’un point de vue mécanique, le béton au moment du malaxage dans la toupie (bétonnière) reste fluide ; une fois coulé, la prise intervient en quelques heures et 100 heures sont nécessaires pour obtenir son durcissement total. Sa densité est de 2,3 car c’est un matériau poreux. L’eau peut donc y circuler avec un pH très basique de 13.

Ses propriétés mécaniques de compression sont bonnes de l’ordre de 30 MPa. Mais sa résistance à la traction est mauvaise et cela explique que le béton soit souvent associé à de l’acier qui reprend les efforts de traction : c’est le célèbre béton armé ! Le béton précontraint découvert et breveté par Eugène Freyssinet en 1928 fut utilisé en particulier pour sauver la gare maritime du Havre en 1933 qui s’enfonçait dans un sol argileux peu résistant. Des tensions internes dans le béton sont assurées par des câbles tendus au sein du béton : ceux-ci sont mis en tension avant ou après la prise du béton, et cela entraine une compression de l’ouvrage (pont de l’île de Ré par exemple) au repos et permet de résister aux charges d’exploitation et aux modifications climatiques. Tant que les tensions mécaniques subsistent au sein du béton, il n’y a pas de risque d’apparition de fissures. En effet celles-ci pourraient, en raison de la porosité du béton, favoriser la circulation de l’eau en son sein et corroder les « fers du béton » qui ne seraient donc plus passivés ! [8]

De nos jours, plus de 95% des bétons présentent de plus des adjuvants dans leur formulation. Un adjuvant est un produit dont l’incorporation à faible dose dans le béton ou le ciment provoque les modifications des propriétés du mélange, à l’état frais ou durci sans en altérer les caractéristiques mécaniques, physiques ou chimiques. Il y a trois grandes catégories d’adjuvants : ceux qui modifient l’ouvrabilité du béton appelés, plastifiants et superplastifiants, ceux qui modifient la prise (accélérateurs ou retardateurs) et le durcissement (accélérateurs), et enfin ceux qui modifient certaines propriétés du béton comme les entraîneurs d’air, les hydrofuges de masse ou les rétenteurs d’eau [9].

Des bétons de très haute performance atteignent actuellement 150 MPa avec l’ajout en particulier de fibres organiques. On peut alors s’affranchir de l’acier et on obtient des structures très fines et élégantes ressemblant à de la dentelle comme cela se voit au MUCEM de Marseille ! Des bétons luminescents, élaborés en ajoutant des pigments photoluminescents qui absorbent les UV le jour et les restituent la nuit, ont été utilisés pour construire des ponts routiers. Les bétons seront susceptibles de s’autonettoyer en utilisant des nanoparticules de dioxyde de titane (TiO2) qui photocatalysent l’oxydation des mousses et les moisissures qui apparaissent sur les façades ! [10]

    
La structure en six viaducs du pont de l’Ile de Ré - photo : C. Maurer/pixabay.
La structure en dentelles du MUCEM - photo :  J. Rouquerol

Pour approfondir et illustrer ce sujet :

[1] Matériaux de M. Ashby et D. Jones, Editions Dunod (1991) tome 2, page 180

[2] Les mortiers : un peu d’histoire et principales applications actuelles de J. Douce, L’Actualité Chimique n°410 (septembre 2016) p. 63

[3] Le produit du jour: le ciment de J.-C. Bernier (2011), site Société Chimique de France

[4a] Comment a été retrouvé le secret du ciment romain ? de G. Emptoz, site Mediachimie.org
[4b] Vidéo Petites histoires de la chimie - Louis Vicat - Le secret du ciment romain de G. Emptoz, site Mediachimie.org

[5] Les matériaux de structure du développement durable pour l’habitat de A. Ehrlacher et coll. in « La Chimie et l’Habitat, EDP Sciences (2011)  p. 175

[6] Les bétons décarbonés de P. Pichat, L’Actualité Chimique n°373 (avril 2013) p. 51

[7] La calorimétrie et les matériaux de J. Grenet, L’Actualité Chimique dossier calorimétrie n°441 (juin 2019)  p. 49

[8] Définition du béton précontraint par l'Association Freyssinet

[9] Les adjuvants : pour des bétons à l’épreuve des chantiers et du temps (PDF) de P. Guiraud  Construction Moderne - Annuel Ouvrages d’art (2014)

[10] Les bétons de demain de V. L’Hostis, L’Actualité Chimique n°446 (février 2020) p. 59

Auteur(s) : Jean-Pierre Foulon
Niveau de lecture : pour tous
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