Malgré le développement des outils numériques, l'usage du papier pour écrire reste omniprésent dans le monde. La production annuelle mondiale de pâte à papier est de 178 Mt et celle de la France est de 1,6 Mt.
L’histoire du papier débute en Chine : Tsaï Loun ministre de l’Agriculture chinoise au IIIe siècle avant notre ère décrit la fabrication du papier à partir de l’écorce de bambou, de lin, de chanvre. Puis c’est le chimiste français Anselme Payen qui isole la cellulose sous forme de fibres blanches en 1838 [1].
Du bois aux pâtes à papier
Le bois est constitué essentiellement de trois polymères biosourcés étroitement imbriqués : la cellulose, les hémicelluloses et la lignine (fig. 1) dans des rapports 2/1/1 environ. La cellulose est un homopolymère linéaire constitué d’enchaînements de monomères de glucose associés par des liaisons éther (C-O-C) β-(1→4). Les hémicelluloses sont des hétéropolymères à chaînes constituées de différents monomères d'oses : glucose, xylose, mannose, arabinose, galactose, rhamnose et acides uroniques, ramifiées et entrelacées.
La lignine est un polymère tridimensionnel amorphe, réticulé de manière aléatoire constitué principalement d’unités phénoliques responsables de la couleur du bois et des pâtes à papier.
Figure 1. Principaux polymères biosourcés présents dans le bois. Crédit : Nathalie Marlin
Il existe deux sortes de pâtes à papier.
- 10 % sont d’origine mécanique et sont obtenues par meulage, une opération de défibrage mécanique. La pâte mécanique contient donc les trois polymères principaux du bois dans les mêmes proportions. Le rendement de production de la pâte mécanique est de 95%.
- 90 % sont d’origine chimique et sont issues du procédé kraft qui consiste en une cuisson de copeaux de bois en présence d’un mélange de soude et de sulfure de sodium réalisée environ à 150 °C pendant 4 à 6 heures. La lignine est dépolymérisée et passe en solution cette solution s’appelle la liqueur noire de par son aspect très foncé. Les fibres de cellulose ainsi libérées par voie chimique sont obtenues avec un rendement de 50%. Le restant de la matière (lignine et une partie des polysaccharides) passe dans la phase liquide : liqueur noire. Cette dernière est traitée de façon à régénérer les ions sulfure ainsi que la soude, puis sa combustion sert à produire l’énergie qui alimente l’usine. La pâte contient majoritairement de la cellulose et une partie des hémicelluloses mais une partie de la lignine, la lignine résiduelle, subsiste, et donne la couleur aux pâtes papetières non blanchies [2].
Blanchiment de la pâte à papier
Le blanchiment de la pâte mécanique consiste à décolorer les groupements chromophores de la lignine.
Pour cela on utilise des oxydants qui cassent certaines liaisons C=C présentes dans les cycles aromatiques de la lignine pour donner des liaisons C=O, ce qui entraine la disparition de la conjugaison des liaisons insaturées et donc de la couleur. La lignine décolorée reste dans la pâte après blanchiment, ceci explique le bon rendement de l’opération. Le principal agent de blanchiment de ces pâtes est l’eau oxygénée (H2O2). Après oxydation on obtient une pâte claire, la blancheur obtenue est suffisante pour produire du papier journal (60% norme ISO).
Le blanchiment de la pâte chimique consiste à retirer la lignine résiduelle de la pâte (4 à 8%) par dépolymérisation.
Le dioxygène et le dioxyde de chlore (ClO2) sont aujourd’hui les oxydants les plus utilisés avec l’eau oxygénée en complément.
L’oxygène est un agent de blanchiment sans impact pour l’environnement. Il est utilisé sous pression en milieu basique mais il est peu sélectif (uniquement 50% de lignine résiduelle est éliminée) de sorte que la cellulose est aussi en partie dégradée pendant l’opération.
Le dioxyde de chlore, classiquement utilisé en milieu acide, a une action sélective sur la lignine. Cette dernière est oxydée et dépolymérisée. Des produits organiques chlorés ayant une toxicité certaine sont produits en parallèle. C’est pourquoi un brevet récent (2018) propose d’utiliser le dioxyde de chlore en milieu alcalin pour réduire la production des produits polluants. Un protecteur de la cellulose doit être ajouté car en milieu basique le dioxyde de chlore est moins sélectif et dépolymérise aussi la cellulose [3].
Les pressions environnementales accélèrent les recherches et des procédés enzymatiques sont à l’étude.
On ajoute parfois, dans la suspension fibreuse de la pâte à papier, des charges minérales comme du dioxyde de titane pour augmenter la blancheur du papier et du carbonate de calcium pour obtenir une surface moins rugueuse afin d’améliorer l’impression.
Presque plus de 60% des papiers et cartons sont recyclés. Après collecte du papier et désencrage, on effectue les mêmes opérations de blanchiment si le papier recyclé exige un niveau de blancheur important.
Par ailleurs la liqueur noire obtenue dans le procédé kraft peut être mieux valorisée. Il existe de nombreuses voies de valorisation, par exemple elle peut être traitée par un procédé thermique en atmosphère inerte afin d’obtenir des matériaux carbonés graphitiques utilisés comme électrodes de supercondensateur ou capables de stocker de l’hydrogène [4].
L'auteur, Jean-Pierre Foulon, tient à remercier vivement Madame Nathalie Marlin, Maitresse de Conférence HDR de l’université Grenoble Alpes, pour son aide et sa relecture bienveillante à cette note pédagogique.
Pour en savoir plus
[1] La chimie et l’industrie papetière, O. Naef, IUPAC 2011 Chimia (2011) 65, 444, DOI: 10.2533/chimia.2011.444
[2] Le blanchiment de la pâte à papier a toujours la fibre de l’innovation... N. Marlin, J. Marcon, G. Mortha, A. Burnet, L’Actualité Chimique (mai-juin 2023) N° 484-485, 45
[3] N. Marlin : communication personnelle
[4] La liqueur noire, R. Backov, J.L. Bobet J. Olchowka, L’Actualité Chimique (mars 2024) N°493, 62
Crédit figure : Nathalie Marlin
Niveau de lecture : intermédiaire
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