Le vin est obtenu à partir de jus de raisins issus des vendanges et contient des sucres qui, par fermentation réalisée par des levures, produisent de l’alcool. Le « vin sans alcool » officiellement appelé « boisson à base de vin désalcoolisé » est un type de vin fabriqué de manière à ne contenir que de très faibles taux d’alcool. Il ne faut pas le confondre avec le jus de raisin qui est une boisson non fermentée ! Dans L’Union européenne la législation fixe à 7% (i) le taux maximum d’alcool pour avoir ce label. Pour réduire le taux d’alcool, on peut d’abord utiliser des cépages contenant moins de sucre, comme le gewürztraminer ou le muscat pour les raisins blancs, et la syrah ou le merlot pour les vins rouges. On peut aussi utiliser des levures conduisant à des vins moins riches en alcool. Enfin, on peut aussi enlever une partie de l’alcool du vin, et pour cela trois grandes méthodes sont actuellement utilisées.
La distillation sous pression réduite
Pour faire simple, la distillation est basée sur le fait que l’alcool est plus volatil que l’eau et s'élimine préférentiellement lors du chauffage. La pression réduite provoque une diminution de la température d’ébullition, ce qui évite de trop chauffer le vin, ce qui altérerait les propriétés organoleptiques. Le premier brevet de vin désalcoolisé fut déposé en 1908 par Carl Jung en Allemagne sur ce principe. Aujourd’hui, on utilise des colonnes en « acier inox » à garnissage contenant des éléments métalliques disposés en vrac. La pression de l’ordre de 220 mm Hg (0,3 bar environ) permet de ne pas dépasser la température d’ébullition de 30°C (au lieu de 78°C sous pression atmosphérique) ce qui permet d’obtenir un vin ne dépassant pas 7% d’alcool. Si l’on veut abaisser le taux à des valeurs plus basses, il suffit de diminuer la valeur de la pression. La méthode est économique et écologique (peu d’eau de refroidissement utilisée).
La technique de l’osmose inverse
Schématiquement, elle permet de séparer, à travers une membrane spécifique de microfiltration sous une pression supérieure cette fois à la pression atmosphérique, l’alcool et l’eau des autres composés du vin. L’osmoseur est en « acier inox » et les membranes utilisées sont enroulées en spirale, ce qui permet d’atteindre des débits de 1000 L/h. On obtient à l’issue de cette filtration l’eau et l’alcool, et la partie non filtrée contient les molécules dites organoleptiques. Pour diminuer le taux d’alcool à la valeur souhaitée, on réalise ensuite, comme précédemment, une distillation du mélange eau-alcool pour éliminer l’alcool (voir figure 1). À la fin on ajoute les autres composés qui n’ont pas été filtrées par osmose. Cette technologie est plus douce que la précédente et sert de protocole de référence pour les études médicinales des vins désalcoolisés. Elle est réservée plutôt aux vins blancs.
Figure 1 : Couplage OI ou NF avec soit la distillation soit un contacteur à membrane. (OI = osmose inverse ; NF = NanoFiltration).
Source : https://lavigneetlevinwordpresscom.wordpress.com/partie-ii/
La technique à cônes rotatifs
Elle utilise le principe de distillation sous pression réduite réalisée cette fois dans des colonnes en « acier inox » avec des ailettes fixées alternativement sur la paroi et sur l’arbre de rotation. La rotation entraîne la formation d’un film continu de liquide tout le long de la colonne. Le temps de séjour du liquide dans la colonne est de 20 secondes, ce qui permet à des colonnes industrielles d’avoir un débit de 100 L/h. Cette technologie est très efficace et permet de désalcooliser un vin jusqu’à une teneur de 0,02 % en alcool (voir figure 2) .
Figure 2 : Description succincte du procédé utilisant une colonne à cônes rotatifs.
Le liquide progresse, cône par cône, du haut vers le bas de la colonne en s’appauvrissant en alcool.
Schéma construit à partir de la page dédiée de la société Flavourtech(ii).
En conclusion, la consommation mondiale du vin sans alcool devient à la mode, elle augmente de 10 % par an et le chiffre d’affaires a dépassé les 5 milliards de dollars en 2024. Les vins « bio » sans alcool pourront aussi être autorisés par l’Europe sans doute à partir de 2025.
Pour en savoir plus sur les règles relatives et l'étiquetage des vins désalcoolisés on peut consulter le site du ministère de l’Économie et des Finances(iii).
Jean-Pierre Foulon
(i) Il s’agit d’un pourcentage volumique. Ainsi dans 100 mL d’un vin à 7% d’alcool il y 7 mL d’alcool.
(ii) https://flavourtech.com/products/spinning-cone-column/
(iii) Désalcoolisation des vins – quelles sont les règles relatives à l’élaboration et à l’étiquetage des produits ? sur le site du ministère de l’Économie et des Finances.
Crédit illustration : NartGraphic / Adobe Stock
Les internationaux de tennis de France ont commencé et la petite balle jaune (1) va subir des frappes par des raquettes de plus en plus performantes et des rebondissements sur la terre battue, symbole incontournable de Roland-Garros.
La balle jaune
Rappelons que c'est une petite sphère de 57 grammes et de 6,5 centimètres de diamètre qui, lors des 4 millièmes de seconde de contact avec le tamis, se transforme en une galette de 2 centimètres d'épaisseur. Il faut donc qu'elle ait une fameuse élasticité. C'est pourquoi le cœur de la balle de tennis est constitué de deux hémisphères de caoutchouc naturel (2) d'épaisseur de 2 à 6 millimètres, vulcanisé avec du soufre et moulés à chaud avec des durcisseurs. Une fois ces deux coques collées par un adhésif élastomère, elles sont contrecollées par des bandes de feutre à base de fibres de coton, laine et nylon (3) et traitées pour être rendues hydrophobes. Ce feutre est de couleur jaune fluo, la couleur optique la mieux visible à l'œil nu et à la télévision.
Une balle de compétition homologuée, lâchée d'une hauteur de 2,54 m (100 inches), doit rebondir à une hauteur comprise entre 135 et 147 cm. Pour donner plus de dureté et plus de rebond, les fabricants mettent de l'air ou de l'azote sous pression à l'intérieur de la balle. L'enveloppe n'étant pas totalement étanche, les balles sont changées tous les neuf jeux par précaution dans les grands tournois.
Plus de 60 000 balles sont utilisées durant le tournoi de Roland-Garros. Détail quasi écologique, une société britannique HearO recycle les balles du tournoi de Wimbledon, destinées à la poubelle, en enceintes connectées Bluetooth équipées d'un haut-parleur. Parfois agrémentées de la signature d'un grand champion, elles vont sûrement devenir « collector ».
La raquette
En tennis la raquette est constituée d'un cadre sur lequel sont tendues des cordes souvent en nylon avec une tension du cordage(i), exprimée en kilogrammes, qui monte en fonction du classement du joueur ! Si pour nous elle est d'une dizaine de kilogrammes, pour de grands joueurs comme Nadal ou Djokovic elle peut atteindre 20 à 30 kg ! C'est dire que le cadre doit être particulièrement solide. Il y a longtemps qu'on a abandonné le bois et les cordes en boyau. Maintenant, le cadre est en matériau composite (4) associant une résine polyester et des fibres de carbone. La conception est très soignée car la raquette ne doit pas vibrer au bras du joueur qui serait alors victime rapidement d'un « tennis elbow ».
On modélise une raquette idéale via une image numérique sur ordinateur en prenant en compte les caractéristiques physiques, centre de gravité, poids, tenue du manche… qui vont être cruciales au moment de l'impact de la balle sur le tamis. La miniaturisation des capteurs électroniques permet à certaines raquettes d'entraînement de transmettre la force appliquée, le lift, l'amorti, le smash sur ordinateur ou sur smartphone. Mieux encore pour l'entraînement, un compétiteur inattendu s'invite sur les courts : mis au point par T-Apex, une société américaine, le robot lanceur Tenniix, d'une capacité de 100 balles, est capable de suivre un adversaire à un rythme dément. Doté d'intelligence artificielle, il peut tourner à 360° avec des tirs croisés ou du même côté, faire des lobs jusqu'à plus de 8 mètres, des engagements à 120 km/h, alors que la force transmise à la raquette par des professionnels peut propulser la balle à des vitesses qui dépassent parfois 200 km/h. On peut lui adjoindre un système d'écoute qui lui permet de savoir où est son adversaire. Si de cette façon on peut se passer d'un « sparring partner(ii) », on ne fera pas l'économie d'un ramasseur de balles !
Le sol du terrain
La couleur ocre des terrains de Roland-Garros est caractéristique des tournois méditerranéens. À Paris, le terrain des courts est composé de couches successives : d'abord une couche de cailloux de 30 cm parsemée de drains pour l'élimination de l'eau, recouverte d'une couche de mâchefer (silicates mixtes Ca/Fe) de 7 à 8 cm, puis d'une couche de calcaire broyé (CaCO3) de 7 cm et enfin une couche de brique pilée rouge de 2 mm en surface.
Cette surface extrêmement sophistiquée est dite lente par rapport au gazon ou aux revêtements plastiques. Elle permet des échanges plus longs avec des lifts, des slices ou des amortis et demande une bonne maîtrise des glissades sur terre battue.
L'entretien des sols est primordial : le matin, débâchage et balayage ; entre chaque set, passage d'un filet et balayage ; et à la fin des matchs, filet, balayage et arrosage. Lors des pluies, le bâchage du court est nécessaire. Au total, c'est près de 100 personnes qui sont dévolues à l'entretien des courts durant les 3 semaines du tournoi.
Le toit
Pour éviter les pauses intempestives lors d'averses ou de pluies où les joueurs et le public sont contraints de s'arrêter et d'attendre, après le court principal Philippe-Chatrier, c'est le court Suzanne-Lenglen qui a été couvert en 2024. En hommage à cette championne élégante qui jouait dans les années 30 avec une jupe plissée blanche, l'architecte Dominique Perrault a voulu un toit rétractable en toile blanche plissée qui se déploie sur toute la longueur du court. Il a fallu des travaux gigantesques qui se sont étalés sur 3 ans avec une base de 4 massifs de béton reposant sur 70 micropieux. La charpente culmine à 16,5 mètres et le poids total de la structure-support en acier est de 1.200 tonnes. 76 moteurs électriques déploient en moins de 15 minutes les 19 modules de toile tendus en forme de V pour couvrir une surface d'environ 4.200 m2. La toile blanche en PTFE (polytétrafluoroéthylène) (5) allie à une bonne transmission lumineuse, une bonne protection aux intempéries, une bonne résistance au froid et à la chaleur, une excellente robustesse et lui permet de résister aux pliements et repliements répétés.
Alors, bon tournoi ! Vibrez bien lors des matchs, encouragez les joueurs et les joueuses, soit sur les gradins si vous êtes à Paris, soit devant l'écran, suivez la balle jaune et rappelez-vous bien que dans l'air, sur la raquette, sur le sol, elle promène toujours un peu de chimie.
Jean-Claude Bernier et Françoise Brénon
29 mai 2025
(i) La tension de cordage correspond au poids nécessaire pour tendre la corde de part et d’autre du cadre de la raquette. La tension de cordage s’exprime dans le monde du tennis en kg.
(ii) sparring partner = partenaire d'entraînement
Pour en savoir plus
(1) La petite balle jaune, J.-C. Bernier, éditorial (Mediachimie.org)
(2) L’élasticité du caoutchouc, G. Weill, BUP n°639 (1981) p. 321-327
(3) La grande aventure des polyamides, J.-C. Bernier et R. A. Jacquesy, L’Actualité Chimique n° 360-361 (février-mars 2012) p. 11-12
(4) 4.a. Les matériaux dans le sport, (r)évolutionnaires ! P. Bray, O. Garreau et J.-C. Bernier, Chimie et… en fiches (collège) (Mediachimie.org)
4.b. Les matériaux composites dans le sport, Y. Rémond et JF. Caron, La chimie et le sport, EDP Sciences (2011) p. 195
4.c. Le rôle des matériaux composites dans les performances sportives, Y. Rémond, Colloque Chimie et Sports en cette Année Olympique et Paralympique (février 2024)
4.d. Les matériaux de la performance C. Agouridas, J.-C. Bernier, D. Olivier et P. Rigny, La chimie dans le sport, collection Chimie et... Junior, EDP Sciences (2014)
(5) Polytétrafluoroéthylène/ PTFE, Produits du jour de la Société Chimique de France
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La première révolution industrielle a commencé en Grande-Bretagne au XVIIIe siècle. L’ingénieur Gabriel Jars voyage à travers l’Europe afin de rechercher les innovations des procédés métallurgiques. Il lie théorie et pratique en rédigeant des comptes rendus et en mettant en œuvre ces techniques au Creusot dans une usine qui existe toujours.
Vidéo du mois : Gabriel Jars et la métallurgie
La manipulation et le stockage des substances chimiques répondent à des règles strictes et pour cela il est essentiel de les caractériser.
En fonction des propriétés physico-chimiques et des propriétés toxicologiques et éco-toxicologiques, les substances sont classées et étiquetées suivant des critères et symboles définis au niveau européen par le règlement CLP (Classification, Labelling, Packaging ou Classification, étiquetage et emballage) en cohérence avec le Système Général Harmonisé (SHG) reconnu internationalement. […]
Accédez au Zoom sur le classement des substances chimiques en fonction des dangers associés
Crédit illustration : Image par Denny Franzkowiak / Pixabay
Il y a quelques années, de nombreuses critiques relatives aux déplacements en avion avaient même appelé au boycott des déplacements aériens. Ces critiques n’étaient pas dénuées de fondement puisque par passager et par kilomètre en avion l’émission était de 140 g de CO2 à comparer aux 3,2 g par TGV. Cela avait amené des États à souhaiter supprimer un certain nombre de vols domestiques lorsque la liaison par rail était tout aussi rapide. Face à ces mesures, paradoxalement, les experts de l’aéronautique prévoyaient au contraire une augmentation du trafic mondial confirmé lors de l’après-COVID avec des chiffres sans appel de 8 milliards de passagers attendus en 2040 contre 4,4 milliards en 2019, et l’arrivée de 40 000 avions neufs dont plus de 18 000 pour remplacer les appareils en fin de vie.
Au niveau mondial, le secteur aérien contribue à quelque 3% des émissions de CO2 (1). Dans un élan louable avant 2020, les 193 États de l’Organisation de l’Aviation Civile Internationale (OACI), se donnaient comme objectif 0% d’émission en 2050. En 2023, cette même organisation était d’accord pour réduire de 5% les émissions d’ici 2030, en recourant au remplacement du kérosène issu du pétrole par des carburants durables appelés SAF (pour Sustainable Aviation Fuels). Pour sa part, dans la foulée, la Commission européenne dans sa directive « ReFuelEU Aviation » souhaitait que les compagnies de transport aérien incorporent des quantités croissantes de SAF dans le kérosène, 2% en 2024 et 6% en 2030. Bémol en 2025 : l’A4E, association regroupant les principales compagnies aériennes européennes, a tenu le 27 mars à Bruxelles une conférence de presse pour contester ces objectifs européens d’incorporation et dénoncer le calendrier irréaliste compte tenu des faibles quantités de SAF disponibles et de leur prix 3 à 4 fois plus cher que le kérosène. Est-ce un nouveau coup de boutoir contre les règles environnementales européennes face à la concurrence internationale ? Essayons d’y voir clair et quelles sont les pistes d’économie ?
Le poids
Faire voler un plus lourd que l’air ce n’est pas facile, il faut de l’énergie pour le faire décoller et voler sur de longs parcours. Quelques dizaines de kilogrammes en moins permettent d’économiser des litres de carburant. Le remplacement progressif de l’aluminium et des métaux (2) par les matériaux composites en polyesters et fibres de carbone comme dans l’A350 d’Airbus où ces matériaux représentent plus de 50% du poids permet d’économiser environ 20% de la consommation (3). Le remplacement du métal des structures des 156 sièges par un alliage de magnésium sur un A319 permet de gagner plus de 500 kilogrammes. EasyJet a fait repeindre une partie de sa flotte avec une peinture ultra légère ne nécessitant plus de nombreuses couches et permettant l’économie de 1300 tonnes de carburant. Cette même compagnie EasyJet a aussi une politique tarifaire pour les bagages et qui consiste à faire payer plus au-delà d’un certain poids et taille. « Voyager léger », c’est le slogan.
Plus sérieux, la fabrication additive des pièces complexes en composite et le remplacement des polymères thermodurcissables par des thermoplastiques recyclables et surtout permettant de souder ces pièces en évitant l’usage de rivets en métal est un progrès. Le couplage de ces nouvelles méthodes de fabrication permettrait encore une réduction supplémentaire de 6% de la consommation.
Les moteurs
On est assez loin pour l’aviation civile du moteur à pistons et à hélice. L’essentiel des flottes long courrier est équipée de turboréacteurs dont les dimensions ont progressé avec leur puissance. Le leader de la construction de ces moteurs est un franco-américain GE Aviation/Safran qui équipe la plupart des nouveaux avions de ligne Airbus et Boeing (4). Ces moteurs comprennent une soufflante qui comprime l’air à l’avant d’une turbine de combustion avec des pales tournant à très haute température (1200°C) en alliages spéciaux et bientôt en CMC (composites céramiques). Les moteurs CFM 56 des Boeing 747 ont été remplacés par les moteurs LEAP pour l’A320 et Boeing737 permettant d’économiser 25% de carburant. Le dernier, le CFM Rise qui sera opérationnel en 2030, comporte déjà de nombreuses pièces fabriquées en 3D, des pales de soufflantes en composites carbone et des aubes de turbines en céramiques composites. Il sera révolutionnaire dans la mesure où les pales de la soufflante ne seront plus carénées et apparaîtront comme des hélices en avant du turboréacteur. Il devrait permettre un meilleur rendement capable d’économiser encore 20% de plus.
Si sur un gros 747, on estimait par passager la consommation à 3 L/100 km sur un A320 à environ 2,8 L/100 km et sur un A350 à 2,5 L/100 km dans les futurs avions avec le nouveau moteur CFM Rise on devrait être aux environs de 2 L/100 km dépendant bien sûr de la taille de l’avion et du nombre de passagers. Safran Electrical & Power vient en février d’obtenir la certification par l’EASA de son moteur électrique ENGINeUS 100 qui est un concentré d’innovation avec l’électronique de puissance qui contrôle son fonctionnement. Autre atout, sa compacité : il affiche une puissance de 125 kW avec un rapport poids puissance de 5 kW/kg. Il est produit à Niort (79) et au Royaume-Uni à un rythme qui sera de 1000 unités par an et s’adapte bien à l’aviation légère 100% électrique pour 1 à 3 passagers, aux avions hybrides pour 19 passagers, etc. (5) Déjà plus de huit compagnies ont passé commande.
Les carburants alternatifs
Les carburants d’aviation durable (Sustainable Aviation Fuel, SAF) neutres en carbone, peuvent être produits suivant 4 grands procédés chimiques (6) :
- les procédés oléochimiques de transformation des huiles végétales, animales, usagées ou non, par hydrogénation (HEFA)
- les procédés biochimiques transformant le sucre en éthanol (ATJ)
- les procédés thermochimiques par gazéification des déchets organiques et Fischer-Tropsch (FT)
- les procédés synthétiques à partir de CO2 et hydrogène (Fischer-Tropsch ou méthanol)
Dans tous les cas les SAF doivent être certifiés par les organismes internationaux de normalisation ASTM pour une utilisation sûre dans le domaine aérien et par l’OACI.
Pour l’instant, en 2025 en France, la voie Fischer-Tropsch est étudiée par Elyse Energy à partir de déchets lignocellulosiques du bois et hydrogénation, la voie ATJ à partir du sucre et de cellulose par Futurol et Global Energy permet d’obtenir un SAF qui a été testé en mars par Safran Aircraft. Seul le procédé HEFA est arrivé au stade industriel notamment en Europe par les sociétés Neste et TotalEnergies. Avant que la bioraffinerie de Grand-Puits soit mise en service en 2025, TotalEnergies jongle sur plusieurs sites, avec la raffinerie de La Mède (13) où arrivent les graisses animales et huiles usagées. Elles y sont prétraitées puis hydrogénées grâce à l’hydrogène venant de l’unité de reformage voisine, puis passent dans l’unité d’isomérisation. Pour séparer le carburant pour l’aviation, il manque un étage de distillation à la Mède, donc le HVO part en Normandie à Oudalle (76) pour obtenir le SAF propre qui est ensuite envoyé à Bordeaux (33), d’où partent les citernes alimentant les aéroports. Ce SAF n'est pas encore complétement neutre en carbone car il y a encore 25% d’huiles végétales de colza et l’hydrogène n’est pas « vert » ! Justement l’hydrogène, me direz-vous ? (7) Pour l’instant le kilogramme d’hydrogène vert vaut à peu près 12 fois le prix du litre de kérosène et Airbus vient d’annoncer qu’il retarde la mise au point de son avion à l’hydrogène ZEROe, devant l’incertitude des infrastructures d’alimentation de ce carburant aux aéroports, c’est montrer que la propulsion aérienne à l’hydrogène n’est pas encore mûre.
Conclusion
Les compagnies aériennes ont raison de dire que les objectifs de réduction des émissions ne seront pas tenus en 2050. Au-delà des annonces et des vols de démonstration, plus médiatiques qu’efficaces, les obstacles sont multiples. Même avec un taux d’incorporation des SAF de 6% en 2030, la production sera largement insuffisante, le procédé d’hydrogénation toujours nécessaire n’est pour l’instant pas nourri d’hydrogène issu de l’électrolyse de l’eau et d’électricité durable. Malgré les efforts d’Airbus et de Boeing, les nouveaux appareils sont livrés au compte-gouttes, empêchant les compagnies d’utiliser les dernières innovations économes en carburant et laissant vieillir leurs flottes. Contrairement à d’autres secteurs de la transition énergétique, l’aviation ne bénéficie pas de subventions mais au contraire de nouvelles taxes frappent le transport aérien.
Devant les doutes sur les ressources et la collecte des millions de tonnes de déchets lipidiques et de biomasse, les investissements dans les filières de HVO (Hydrotreated Vegetable Oil) hésitent et l’engagement d’achat des compagnies aériennes manque. Devant ce cercle vicieux, des experts thermodynamiciens soulignent de plus que la collecte, le prétraitement, l’électrolyse de l’eau, la demande d’énergie pour le raffinage, sont loin d’être négligeables et qu’il conviendrait de faire le bilan carbone de ces SAF. Alors que faire ? Avant de prendre l’avion, faites donc un régime pour maigrir, prenez un petit baluchon très léger, assurez-vous de l’âge récent de l’appareil, sinon prenez le TGV, bien sûr pour New-York ça prendra du temps !
Jean-Claude Bernier
Avril 2025
Pour en savoir plus
(1) Hydrogène, optimisation énergétique et sobriété : l’avenir de l’aviation, P. Labarbe, Fiche Chimie et… en fiches lycées (Mediachimie.org)
(2) Dernières avancées dans les alliages d’aluminium pour applications aéronautiques, T. Warner, colloque Chimie, aéronautique et espace, Fondation de la Maison de la Chimie (novembre 2017)
(3) Les nouveaux matériaux composites pour l’aéronautique, V. Aerts, colloque Chimie, aéronautique et espace, Fondation de la Maison de la Chimie (novembre 2017)
(4) La combustion et les défis de la propulsion aéronautique et spatiale, S. Candel, Colloque Chimie et transports, Fondation de la Maison de la Chimie (avril 2013)
(5) La chimie s’envoie en l’air, J.-C. Bernier, L’Actualité chimique n° 424 (décembre 2017)
(6) La chimie, une solution pour l’avion de demain ?, A. Charles, N. Baffier et J.-C. Bernier, fiche Chimie et… en fiches cycle 4 (Mediachimie.org)
(7) Allons-nous voler à l’hydrogène ? L’évolution du transport aérien, J.-C. Bernier et F. Brénon, éditorial juillet 2021 (Mediachimie.org)
Crédit illustration : Niklas Jeromin / Pexels, libre d'utilisation
L’impression 3D encore appelée couramment Fabrication Additive (FA) a quitté le domaine du prototypage dans les années 1980 pour gagner le domaine industriel et même le domaine ludique après les années 2000. Elle consiste à réaliser des pièces en 3 dimensions par ajouts successifs de couches de matières principalement des polymères ou des métaux. Elle s’oppose donc à la fabrication soustractive dont le principe est de retirer de la matière à une pièce préalablement moulée (1).
Elle présente de multiples avantages : elle repousse les limites de la technologie en réalisant des formes complexes jusqu’ici irréalisables par moulage ou forgeage, elle permet d’optimiser la quantité de matière première et donc de réduire les coûts et elle permet aussi de réduire les déchets.
Quels sont les procédés de Fabrications Additives ?
Le principe repose sur celui des imprimantes à jet d’encre que l’on retrouve dans tous les bureaux, sauf qu’ici on ne projette plus d’encre chargée en noir de carbone mais un polymère fondu ou une poudre métallique. De même, la buse de projection ne se promène plus de droite à gauche au-dessus du papier (2D), mais elle est animée d’un mouvement vertical au-dessus d’un plateau qui bouge horizontalement (3D).
- FDM (Fused Deposition Modelling) est le procédé le plus connu. L’imprimante est alimentée par un filament de moins d’un millimètre de diamètre d’un thermoplastique qui passe dans une buse chauffée à environ 150° à 250°C. Commandés par un logiciel qui contient les données géométriques de l’objet à fabriquer, les mouvements du plateau et de la buse construisent l’objet couche après couche. Des bobines de fils de PLA (acide polylactique) biodégradable, d’ABS (acrylonitrile butadiène styrène) ou de PET (polyéthylène téréphtalate basse et haute densité) sont maintenant disponibles très couramment chez les industriels des polymères et en 2009 l’expiration des brevets FDM popularise cette technique et lui donne un fort développement.
- Autres types de procédés dérivés du FDM :
- FTI (Film Transfer Imaging) utilise un photopolymère ; après dépôt on illumine avec des lampes infrarouges ou un laser UV pour durcir les couches de résine (SLA StéreoLithography Apparatus) ;
- MJM (Modelage à Jets Multiples) dispose de plusieurs buses et des arrivées de mélanges pour avoir des couches de polypropylène et d’acrylates ;
- SLS (Selective Laser Sintering) quitte le domaine des polymères pour la métallurgie. Des couches successives de poudres de métal (aluminium, acier, titane…) sont déposées et sont frittées par un laser IR de puissance (2). Avec les brevets sur le SLS qui ont expiré en 2014, nombre d’entreprises se sont lancées avec des ateliers entiers d’imprimantes à la fabrication de pièces complexes en petites séries pour l’automobile, l’aéronautique et le spatial.
- Autres types dérivés du SLS :
- le SLM (Selective Laser Melting) : on fait fondre à haute température le fil métallique et on dépose des couches de métal fondu.
- le WAAM (Wire Arc Additive Manufacturing) est un peu une déviation de la soudure à l’arc, puisque le fil est une électrode mise en fusion par arc électrique et le métal fondu est déposé couche après couche. Ce procédé s’est fortement développé depuis 2020.
- le MBJ (Metal Binder Jetting), une nouvelle variante, consiste à projeter des gouttes de liants sur un lit de poudre métallique pour l’agglomérer, puis à passer la pièce dans un four de frittage ; le liant est alors brûlé et la pièce consolidée. L’avantage est que l’impression se fait à température ordinaire, et que l’on peut en faire des centaines en même temps : c’est la voie conduisant aux grandes séries.
Les applications
Les applications sont nombreuses.
Beaucoup de petites pièces d’électroménager sont fabriquées en plastique (polyéthylène, rilsan, nylon). Une fois le logiciel d’impression configuré, les imprimantes alimentées par des bobines de résines fonctionnent toutes seules ; la main d’œuvre est réduite ainsi que les coûts de fabrication. Dans les années 2000, la baisse des prix sur les imprimantes grand public de 200 € à 600 € et la possibilité de mutualiser des scanners 3D et des logiciels d’impression gratuits ont multiplié les « fab lab » dans les établissements d’enseignement ou les maisons de la culture. Après quelques années d’emballement, la FA s’est plutôt développée dans l’industrie et le « hobby » est devenu un épiphénomène.
En métallurgie et en matériaux composites, de nombreuses industries l’utilisent soit en sous-traitant à des ateliers spécialisés en FA, soit en interne pour des pièces complexes comme les hélices creuses pour les bâtiments de Naval Group fabriquées par WAAM ; ceci permet de réduire les stocks et les délais d’approvisionnement. Autre exemple : Constellium, le leader français sur l’aluminium commercialise une poudre d’aluminium Aheadd® CP1 étudiée spécialement pour les pièces des bolides de F1.
Dans le sport (3), pour la chaussure tout terrain de rugby et de football « Shark ONE », la semelle, les renforts et la forme ont été imprimés en 3D en PA11 (polyamide 11 ou rilsan) et Pebax® (constitué de blocs de polyamide et de polyéther), des matières éco-responsables de la société Arkema.
En défense, l’armée américaine a développé des mini-usines qui se déplacent sur le terrain avec des imprimantes 3D pour la fabrication de pièces cassées ou manquantes dans l’armement des armées sur le front. En Ukraine, des drones civils ont été modifiés pour porter des charges et de l’armement.
On se rappelle qu’au milieu des années 2000 un logiciel et les données 3D ont été mis sur le Net par un étudiant américain permettant de fabriquer un révolver presque en totalité en plastique et tirant de vraies balles. En 2025, les spécialistes de la lutte anti-terroriste nous mettent en garde sur la facilité et la disponibilité de telles fabrications sur la toile ou sur les réseaux sociaux à des fins criminelles.
Dans le domaine médical, l’extrapolation du prototypage rapide utilisé depuis plus de 30 ans a été un réel progrès pour l’odontologie et la chirurgie. À l’aide des images de l’IRM, on peut fabriquer des prothèses sur mesure et précises, même complexes (mâchoires, articulations de hanches, genoux…) assez rapidement et parfois en temps réel.
On est près de la science-fiction quand on parle d’impression d’organes humains.
Une société lyonnaise s’appuyant sur des découvertes du CNRS imprime de la peau (4). On prépare d’abord la bio-encre avec des cellules de peau, de la gélatine, un peu d’alginate et de fibrinogène. On passe ensuite à l’impression sur un support en atmosphère stérile puis dans un incubateur durant 21 jours. On imprime ensuite le derme par-dessus avec la même encre. Cette peau imprimée peut servir aux essais des firmes biopharmaceutiques pour les crèmes et cosmétiques, évitant les tests sur animaux.
La construction n’est pas en reste. La fabrication additive permet de construire des bâtiments. Un très beau projet réalisé en 2024 sur les composites résine–bois regroupant deux industriels de la charpente et de la FA, en collaboration avec l’École du Bois d’Épinal et l’École d’Architecture de Nancy ,vise à réaliser la première machine de « stratoconception » de 20 à 30 mètres pour des halls ou salles de sports.
Quels défis pour la FA ?
L’impression plastique continue à se développer mais elle doit tenir compte du recyclage des fils polymères dans une démarche d’économie circulaire menée par les chimistes. Les procédés de la FA sont ceux qui ont le moins d’impacts sur l’environnement, moins de matière, pas de déchets. Mais lors de la conception des logiciels d’impression, les algorithmes de l’intelligence artificielle peuvent optimiser les structures des pièces à fabriquer, en vue de performances spécifiques. Cette nouvelle application de l’IA commence à diffuser.
Le dernier défi à relever concerne la formation et le recrutement car on demande de plus en plus de compétences (5) dans ce domaine où chimie, polymères et matériaux sont les mots-clés pour cette industrie 4.0. Des salons sont consacrés à l’impression 3D où des acteurs du secteur présentent leurs réalisations et recrutent, comme le salon 3D Print à Lyon, par exemple.
Jean-Claude Bernier et l’équipe Question du mois
Pour en savoir plus
(1) La 3D, troisième révolution industrielle ?, J.-Cl. Bernier L'Actualité Chimique (juillet 2015)
(2) Le Laser en contexte industriel : une palette d’applications étonnantes, T. Engel, Colloque Chimie et lumière, Fondation de la Maison de la Chimie (février 2020)
(3) Le rôle des matériaux composites dans les performances sportives, Y. Rémond, Colloque Chimie et Sports en cette Année Olympique et Paralympique, Fondation de la Maison de la Chimie (février 2024)
(4) L’impression fait peau neuve, J. Leyes et B.Robert, Grand Prix Jeunes Journalistes de la Chimie 2018 (vidéo et article)
(5) Voir l’Espace Métiers de Mediachimie
Crédit illustration : capture vidéo L’impression fait peau neuve, J. Leyes et B.Robert, Grand Prix Jeunes Journalistes de la Chimie 2018
Vidéo du mois : Eva Ekeblad et la pomme de terre
Le 10 juillet 1724, en Suède, nait Eva de La Gardie, plus connue sous le nom de son époux Eva Ekeblad. Elle côtoie les paysans, cherche un moyen de lutter contre les famines et propose de généraliser la culture de la pomme de terre. Cette dernière a été introduite en Suède en 1658 par le naturaliste Olof Rudbeck (1630-1702) dans le jardin botanique d’Uppsala.
Mediachimie a créé pour vous des vidéos passionnantes et riches d’informations sur des anecdotes historiques relatives à la chimie. Retrouvez chaque mois une nouvelle vidéo.
Le 25 mars dernier, le jury du Grand Prix des Jeunes Journalistes de la Chimie (GPJJC) s'est réuni et a procédé à la sélection des 4 binômes de l’édition 2025 du concours, parmi un total de 17 dossiers de candidature.
Les 4 dossiers retenus sont :
- La Paléoprotéomique. Maël BREHONNET - Athéna SALHI-IJBA - Institut de Journalisme de Bordeaux Aquitaine
- Les parfums de synthèse. Élisa LENGLART-LECONTE - Élisa MARUENDA - École de Journalisme de Grenoble - ELISAS_EJDG
- Remplacer le sucre : l’édulcorant idéal existe-t-il ? Emma BARETS - Adèle LEBRUN - Institut pratique du journalisme (IPJ) de Dauphine PSL
- Détruire les PFAS grâce à la chimie. Arthur BAUDIN - Noé MEGEL - Institut français de presse (IFP-Panthéon-Assas)
La prochaine étape sera la rencontre avec le jury le 9 avril prochain à la Fondation, puis deux mois d’investigations pour produire un article et une vidéo.
Rendez-vous en juin pour visionner et lire les productions et surtout connaître le binôme vainqueur du GPJJC 2025 (remise des grands prix le 26 juin à la Fondation de la Maison de la chimie).
Pour information, ci-dessous les membres du Jury :
Françoise BELLANGER
Chaine L’esprit Sorcier TV
Vincent BORDENAVE
Le Figaro - Sciences et Médecine
Carole CHATELAIN
Journaliste Scientifique
Alain COINE
Ancien Délégué Général d’Universcience Partenaires
Bernard MEUNIER
Directeur de recherche émérite au CNRS,
Membre et ex-Président de l’Académie des sciences et membre de l’Académie Nationale de Pharmacie
Danièle OLIVIER
Présidente du Jury
Vice-Présidente de la Fondation de la Maison de la Chimie
Jean-Marc SIGOT
Journaliste scientifique, réalisateur, auteur Chaine L’esprit Sorcier TV
Yann VERDO
Les Echos - Chef de rubrique Science
Philippe WALTER
Vice-Président Fondation de la Maison de la Chimie
Membre de l’Académie des Sciences
Tout d’abord qu’est-ce que le tartre ? Tartre et calcaire sont synonymes et tous les deux constitués de carbonate de calcium de formule chimique CaCO3, c’est-à-dire formés à partir des ions calcium Ca2+ et des ions carbonates CO32-.
Le carbonate de calcium est très présent dans la nature, dans les terrains dit calcaires : Bassin parisien, Nord, Alpes, Jura, Champagne crayeuse..., comme le montre la figure 1.
L’eau qui pénètre dans ces sols dissout une partie des sels présents et s’enrichit ainsi en sels minéraux avant d’atteindre les nappes phréatiques d’où elle sera pompée puis traitée et rendue potable.
Figure 1 (i)
On définit la « dureté » de l'eau, paramètre qui mesure la quantité d’ions calcium et magnésium, présents dans l'eau. Elle s’exprime en degré TH (°f), pour Titre Hydrotimétrique français.
1 degré TH(°f ) = 4 mg de Ca2+ ou 2,4 mg de Mg2+ par litre d’eau.
On attribue les adjectifs « douce » ou « dure » aux eaux selon la valeur de ce TH.
Échelle (ii)
Notons que dans un terrain calcaire, l’eau s’est enrichie simultanément en ions calcium et carbonate.
Influence du pH sur les ions carbonates
Les ions carbonates participent à des équilibres acido-basiques, comme le montre la figure 2.
Le dioxyde de carbone CO2 est un acide faible et se transforme pour pH supérieur à 6,35 en ion hydrogénocarbonate (aussi appelé ion bicarbonate). Celui-ci se transforme en ion carbonate pour pH supérieur à 10,3.
L’eau du robinet a un pH compris entre 7,2 et 7,6. Il en est de même des eaux en bouteille non gazeuses. A ce pH, l’eau dure contient donc des ions calcium et des ions majoritairement sous forme d'hydrogénocarbonate et non de carbonate (cf. figure 2).
L’équilibre des espèces carbonatées dans l’eau
En réalité les trois espèces coexistent et sont toujours en équilibre dans l’eau, selon :
Dire que le bicarbonate est majoritaire c’est dire que les ions CO32- et le dioxyde de carbone CO2 sont très minoritaires mais présents.
Au final l’eau dure contient donc des ions calcium et des ions hydrogénocarbonates, qui restent dissous.
Que se passe-t-il quand on chauffe l’eau ?
Le chauffage de l’eau va favoriser le dégazage de CO2 dont la solubilité dans l’eau diminue si la température augmente. Cela va provoquer naturellement un déplacement de l’équilibre précédent vers la droite pour reformer du CO2. Mais il se forme donc simultanément des ions carbonate. Or les ions carbonates et les ions calcium ont une affinité l’un pour l’autre et vont précipiter sous forme de carbonate de calcium. La réaction qui a lieu est la suivante :
Le tartre s’est formé !
C’est la raison pour laquelle vous observez un dépôt de calcaire tout particulièrement sur les résistances de chauffe-eau, de lave-linge, de lave-vaisselle, dans les cafetières, dans les fers à repasser… Cela engendre des dépenses d’énergie supplémentaires, limite l’efficacité des savons et détergents, le linge est rêche…
Comment peut-on éviter ou éliminer ces dépôts ?
Comme nous l’avons vu (figure 2), les ions carbonates sont des bases donc l’action d’un acide va détruire le calcaire. C’est le rôle des détartrants ou du vinaigre que vous pouvez utiliser. La réaction qui a lieu est
CaCO3 + 2 H+ → Ca2+ + CO2 (gaz) + H2O
Evidemment on ne peut pas mettre un détartrant directement au cours d’un cycle de lave-linge ou de lave-vaisselle. Dans ce cas on peut adoucir l’eau en remplaçant les ions calcium par les ions sodium, c’est le rôle du « sel régénérant », constitué de chlorure de sodium pur (NaCl). On peut aussi ajouter à la lessive un composé qui réagit sur les ions calcium (on parle de séquestration ou de complexation) les empêchant de précipiter avec les ions carbonates(iii).
Pour limiter l’entartrage des résistances de chauffe-eau, on peut adoucir l’eau en amont de l’installation.
Consommation d’une eau dure
Boire une eau dure ne pose aucun problème de santé. Bien au contraire : n’oublions pas que l’ion calcium a une grande importance physiologique (os, dents) et qu’il participe au fonctionnement de la cellule et à la contraction musculaire. L’ion magnésium participe à de très nombreux processus biologiques, au bon fonctionnement du système nerveux et son apport est exclusivement nutritionnel.
On prendra soin de ne pas boire l’eau adoucie riche en ions sodium, car une consommation en excès de ces ions peut entraîner de l'hypertension artérielle.
Françoise Brénon
(i) Source https://la-meilleure-centrale-vapeur.fr/le-calcaire/
(ii) Source https://fr.wikipedia.org/wiki/Duret%C3%A9_de_l%27eau
(iii) ce sont souvent des tensioactifs anioniques de type carboxylate : RCOO- à longues chaine carbonée (R). Cela peut aussi être des hexamétaphosphates de sodium (Na6P6O18).
Crédit illustration : Résistance chauffe-eau, F. Brénon.
La gomme xanthane est connue du grand public comme additif alimentaire présent dans de très nombreuses préparations culinaires industrielles, pour ses propriétés épaississantes, stabilisantes et d’amélioration de la texture. Elle a aussi beaucoup d’autres applications.
C’est un polysaccharide, biopolymère synthétisé naturellement par la bactérie Xanthomonas campestris, non pathogène pour l'homme. Cette bactérie est responsable de maladies pour certains végétaux, comme le chou : la substance qu'elle synthétise obture les pores des feuilles. L’étude des propriétés remarquables de cette substance a conduit à produire la gomme xanthane, utilisée depuis 1960 […]
Accédez au Zoom sur la gomme xanthane
Crédit illustration : AB-7272 / Adobe Stock
Après une première vidéo sur la chimie du chocolat et de ses arômes, voici maintenant une vidéo sur les mystères de la mousse au chocolat.
À travers cette vidéo de Blablareau au labo, coproduite avec Mediachimie et la Fondation de la Maison de la Chimie, découvrez comment obtenir une mousse gouteuse, ferme et stable.
Avec le renouveau de l’énergie nucléaire (1), de nombreux pays construisent de nouvelles centrales nucléaires. D’après l’AIEA plus de 44 centrales nucléaires sont en construction et plus de 70 projets de SMR sont en cours, la France qui vient de mettre en service un EPR2 à Flamanville se doit d’être présente dans la course.
Les réactions nucléaires
La réaction nucléaire de fission consiste à casser le noyau d’un élément lourd fissile à l’aide de la capture d’un neutron : par exemple, avec l’uranium 235 (2)
0n1 + 92U235 = 38Sr94 + 54Xe139 + 3 0n1 + Energie
L’énergie dégagée est considérable, par fission, 1 gramme d’U235 libère 70 fois plus d’énergie qu’un kilo de fuel. Les 3 neutrons libérés vont aller casser à nouveau 3 noyaux d’uranium. On s’arrange par ralentissement des neutrons à ce que le nombre moyen de fissions caractérisé par un facteur de multiplication k soit nettement inférieur à 3 et très proche de 1 pour que la réaction s’entretienne. C’est typiquement une réaction nucléaire avec des neutrons lents (RNL) pour les ralentir on utilise l’eau, soit bouillante, soit sous pression.
Dans un réacteur à neutrons rapides qu’on ne ralentit pas, on observe une probabilité plus grande de capture par d’autres éléments lourds non fissiles comme l’uranium 238 U238 : n + U238 = Pu239 + 3n.
Cette réaction se produit déjà un peu dans les réacteurs thermiques (RNL) mais on peut la favoriser dans les réacteurs sans ralentisseur, où par exemple on remplace l’eau par le sodium liquide. Ces réacteurs à neutrons rapides (RNR) vont générer et utiliser avec plus de chances comme élément fissile le plutonium (Pu) et d’autres produits de fission (3).
Les réserves d’uranium
En France, 56 réacteurs fournissent chaque année environ 400 TWh d’électricité en utilisant 1250 tonnes de combustible contenant 50 tonnes d’U235 enrichi à 4%. Au cours de la fission 20 tonnes de plutonium sont créées, dont une partie est séparée dans l’usine de retraitement de La Hague et recyclée dans le combustible MOX. Finalement seuls 0,5% des 9000 tonnes de d’uranium naturel (Unat) importé (50/9000) sont utilisés, c’est un vrai gaspillage (4).
Dans un réacteur à eau pressurisée (EPR) ou bouillante (EBR) on consomme annuellement environ 23 tonnes d’uranium naturel par TWh soit pour la France environ 9000 tonnes de Unat. Dans le monde, 60 000 t Unat sont consommées pour produire par l’électricité nucléaire 260 TWh. Comme nous allons vers une consommation d’énergie électrique en constante augmentation, les prévisions de l’AIEA conduisent à presque doubler les installations existantes pour une production de 60 000 TWh exigeant plus d’un million de tonnes d’Unat correspondant à la totalité des ressources mondiales d’uranium. Cette situation met en lumière un risque de pénurie dès la fin de ce siècle avec ses risques géopolitiques et économiques considérables. Les producteurs d’énergie n’investiront dans de nouveaux EPR que s’ils ont la certitude de pouvoir l’alimenter en uranium durant 60 à 80 ans (5).
Les RNR et la surgénération
Devant ce problème physicochimique et économique, la surgénération apporte la solution d’un cycle nucléaire durable. Comment est-ce possible ? Les neutrons rapides ont la propriété de pouvoir être absorbés par un noyau fertile U238 et de le transformer en noyau fissile Pu239 qui à son tour va donner des neutrons rapides. Ceux-ci vont à nouveau transformer d’autres noyaux d’U238 et donner d’autres isotopes du plutonium (239, 240, 241…). On a donc une réaction qui produit sa propre matière fissile et surtout à partir de l’uranium 238 qui constitue 99,3% de l’uranium naturel et qui n’était pas exploités dans les RNL ! Le nombre de neutrons émis par fission de Pu239 est plus important que pour U235 et si la valeur moyenne est supérieure à 2 on peut espérer produire plus de Pu que celui consommé. Dans un réacteur à neutrons rapides contrôlé, on peut soit entretenir la réaction avec sa propre matière fissile, soit en produire plus pour démarrer d’autres RNR. Et en France, on dispose d’une usine de traitement et de séparation pour récupérer le plutonium. De plus les neutrons rapides ont la capacité de transmuter les isotopes des actinides mineurs présents dans le combustible usé (Np237, Pu 238-242, Am 241, Cm244), et donc de supprimer les déchets nucléaires à vie longue et de diminuer la durée du stockage de 10 000 ans à 300 ans (6).
Une vision d’avenir
La France dispose d’un véritable trésor : d’abord 400 000 tonnes d’uranium 238 appauvri et 60 tonnes de plutonium déjà séparés par l’usine de la Hague (7). Cela permettrait d’ores et déjà de démarrer une petite dizaine de RNR et de disposer de réserves énergétiques pour fournir durant plus de 1000 ans les besoins en électricité de l’Hexagone. Les experts traduisent en termes énergétiques les 400 000 tonnes d’uranium 238 qui peuvent devenir fissiles dans les RNR à 900 milliards de tonnes d’équivalent pétrole, soit les réserves mondiales de « l’or noir ».
La France a d’autres atouts car elle dispose d’une expérience sur la filière la plus mature, RNR/ sodium, où le fluide caloporteur est le sodium fondu. Dès 1967 le réacteur Rapsodie à Cadarache, suivi en 1973 du réacteur Phénix, expérimental qui sera arrêté en 2009, a fourni des données très utiles sur la circulation du sodium et les perfectionnements en matière de sûreté. Puis, en 1976, une collaboration européenne a conduit à un réacteur de puissance (1200 MWe) Superphénix qui sera arrêté pour des raisons électorales en 1997. Enfin, en 2006, un nouveau prototype au sodium, ASTRID, qui intègre les nouvelles avancées en matière de sûreté et d’optimisation des coûts est lancé par le CEA, puis malheureusement abandonné en 2019 pour des raisons budgétaires et à nouveau politique (8).
C’est dommage, car plusieurs RNR sous forme de prototypes ou de réacteurs d’études fonctionnent en Chine et en Russie, l’Inde démarre un RNR de 500 MWe et heureusement, une collaboration Japon-Framatome-Orano vise un démonstrateur pour 2040 en France.
Les scientifiques et élus de l’OPECST (Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques) soulignent que la relance d’un programme nucléaire de RNR est une mission de l’État. On peut regretter d’avoir par plusieurs fois arrêté son développement alors que nous étions, par le CEA, leader en ce domaine. L’indépendance énergétique de la France et de l’Europe exige une décision rapide et un investissement massif comme le souhaitent les Académies des sciences et des technologies avec une feuille de route de 2040 à 2100 conduisant à un démonstrateur en 2040 et des réalisations industrielles dès 2060. Vous, les jeunes, profitez de ce nouvel élan, Orano, Framatome, EDF, le CEA renouvellent leurs ingénieurs et techniciens et rajeunissent leurs cadres. La chimie nucléaire vous attend (9).
Schéma simplifié du processus simultané de régénération et de réaction de fission en chaine. Source image : site Sfen.org
Jean-Claude Bernier
Février 2025
Pour en savoir plus
(1) Le nucléaire devenu « vert » ?, J.-C. Bernier, éditorial, Mediachimie.org
(2) Équation d’une réaction nucléaire, Lucien Ransinangue, dossier pédagogique réalisé par les Éditions Nathan en partenariat avec La Fondation de la Maison de la Chimie et Mediachimie
(3) Le cycle de vie du nucléaire, B. Boulis, Clefs CEA, 61 (2013)
(4) De l’uranium à l’énergie nucléaire, vidéo du CEA
(5) On va manquer d’uranium, J.-C. Bernier, L’Actualité chimique (mai 2013)
(6) Le nucléaire dans le futur et la transition énergétique / complémentarité, C. Behar, Colloque Chimie et énergie nouvelles, Maison de la Chimie, 10 février 2021
(7) La chimie et sa R&D dans l’industrie nucléaire, F. Drain, Colloque Chimie et enjeux énergétiques, Fondation de la Maison de la chimie, 14 novembre 2012
(8) ASTRID, démonstrateur technologique du nucléaire de 4e génération, F. Gauché, Clefs CEA, 61 (2013)
(9) Les chimistes dans : le monde de l’énergie nucléaire, série Les chimistes dans… Mediachimie.org
Crédit illustration : Sfen, reproduit avec l'autorisation de la Sfen, de la page Quelle est la différence entre un neutron lent et un neutron rapide ? site sfen.org
Vidéo du mois : Hippolyte Mège et la margarine
Utilisé pour l'alimentation humaine, le beurre, au milieu du XIXe siècle, était rare, donc cher et se conservait mal. Trouver un produit de même valeur nutritive, ne présentant pas ces inconvénients, était nécessaire pour la marine ou les armées. Cette prise de conscience conduisit Napoléon III à lancer un concours, dont le lauréat fut, en 1869, le pharmacien Hippolyte Mège, l’inventeur de la margarine.
Mediachimie a créé pour vous des vidéos passionnantes et riches d’informations sur des anecdotes historiques relatives à la chimie. Retrouvez chaque mois une nouvelle vidéo.
Les vidéos et résumés des conférences du colloque Chimie, recyclage et économie circulaire du 12 février 2025 sont disponibles sur Mediachimie et sur Youtube ainsi que sur Viméo/Fondation de la Maison de la chimie.
Au cours des années 2021 et 2022 des épisodes de grêle ont dévasté de nombreuses régions françaises et ont causé des dégâts considérables conduisant beaucoup de villages à des déclarations de catastrophes naturelles.
Comment se forme la grêle ?
La grêle se forme essentiellement dans de gros nuages humides appelés cumulonimbus dont l’épaisseur peut dépasser 10 km. Lors d’un orage l’été, la température du sol est souvent supérieure à 30 °C et des vents violents surviennent pouvant atteindre des vitesses de 150 km/h. Les gouttelettes d’eau sont entrainées rapidement par des courants ascendants et se refroidissent. En effet la pression atmosphérique baissant avec l’altitude, la température de l’atmosphère diminue quand l’altitude augmente : on parle dans ce cas de « détente adiabatique ». Les gouttelettes se refroidissent rapidement à des températures inférieures à 0 °C mais n’ont pas le temps de geler ; on dit qu’elles sont en « surfusion ». Ce n’est que dans la partie supérieure du nuage que la congélation a lieu sous forme de « noyau de glace » appelés grêlons. La zone orageuse est habituellement très localisée allant de 100 m3 au début de la formation de la grêle mais peut atteindre jusqu’à parfois 1 km3 !
Comment grossissent les grêlons ?
Les gouttelettes d’eau au contact des grêlons s’agglomèrent et grossissent. Les grêlons continuent à monter dans le nuage. Lorsque le courant ascendant ne compense plus le poids du grêlon, ce dernier commence à redescendre avec une vitesse limite constante tout en continuant de grossir. La structure des grêlons est donc constituée de couches successives de glace ce qui leur donne un aspect translucide. Lors de cette chute le grêlon peut sortir du nuage et peut alors commencer à se sublimer (il passe directement de l’état solide à l’état gazeux). Ceci explique que le grêlon dans l’atmosphère est plus gros que celui qui arrive au sol.
Le diamètre des grêlons dépend de leur vitesse de chute et peut varier de 1 cm (v = 35 km/h) à 20 cm (v = 120 km/h). La masse des grêlons peut prendre des valeurs très élevées parfois jusqu’à 1 kg !
Comment peut-on lutter contre les averses de grêle ?
Pour diminuer les risques de grêle on a pensé d’abord à ensemencer des nuages par des substances hygroscopiques. En effet l’augmentation du nombre des noyaux de congélation diminue alors la taille des grêlons. Ainsi a-t-on un moment utilisé des cristaux d’iodure d’argent (AgI) à raison de 10 µg/m3 mais cela s’est révélé potentiellement toxique à l’échelle du nanogramme sur les voies respiratoires de l’organisme. L’emploi du chlorure de calcium (CaCl2) a donné des résultats peu reproductifs, tout comme l’usage des canons anti-grêle par désagrégation des grêlons à l’aide d’ondes de choc ! La protection des vergers par l’emploi de filets contre la grêle reste encore le moyen le plus répandu et le plus efficace.
Étant constitué de glace, un grêlon présente une réflectivité (énergie réfléchie) très faible aux ondes radar utilisés en aéronautique, ce qui rend difficile la distinction entre des petits grêlons et des gouttes d’eau. Cependant un signal radar très fort peut révéler la présence de gros grêlons qui peuvent être responsables de la détérioration des turboréacteurs ou des matériaux d’isolation utilisés dans les travaux de couverture et d’isolation des bâtiments. Seuls des relevés par des observateurs et des passionnés de météorologie fournissent des informations sur la localisation de ces phénomènes. La Mission des Risques Naturels de l’ANELFA et le Bureau d’Etudes Kéraunos récoltent des données des sinistres occasionnés par la grêle qui permettent d’établir ainsi des cartes de la fréquence de ces événements météorologiques par commune et par saison.
Note : La formation de la grêle est très différente de celle de la neige ! Cette dernière a lieu dans des nuages à faibles mouvements, à des températures au sol inférieures à 0 °C, donnant des petits cristaux de glace qu’on appelle flocons.
Jean-Pierre Foulon
Voir aussi Contre la sécheresse faut-il ensemencer les nuages ?, éditorial de mai 2023 de J.-Cl. Bernier (Mediachimie.org)
Crédit illustration : soupstock / Adobe Stock
Vous qui n’avez pas la possibilité de venir à la Fondation de la Maison de la Chimie le 12 février 2025, vous pouvez assister en direct au Colloque Chimie et Alimentation
sur Mediachimie ou sur Youtube
La diffusion en direct est disponible sur cette page.
La captation des conférences sera par la suite disponible en ligne et leur mise à disposition sera indiquée sur la page d'accueil de Mediachimie.
Retrouvez une sélection de ressources sur l'alimentation et la chimie pour découvrir et comprendre pourquoi l'alimentation est un enjeu majeur et quel rôle y occupe la chimie.
Vous pouvez aussi tester vos connaissances sur le sujet avec ce quiz.
Pont de Claix
La plateforme chimique de Pont-de-Claix, dans l’Isère, plus que centenaire, est en pleine désorganisation. Sa plus grande unité, Vencorex, spécialisée dans la production d’isocyanates pour les peintures et vernis (1), qui emploie plus de 450 personnes, a été placée en redressement judiciaire et vient de subir une grève ainsi un blocage du site de plus de deux mois.
Malgré une sortie de crise début janvier, l’incertitude quant à une solution de reprise pérenne persiste. On craint un effet domino car sur le site de Pont-de-Claix et celui proche de Jarrie, avec Air Liquide, Arkema, Seqens, Solvay, présents sur ce site, règne une synergie pour la mise en commun de l’énergie, de la chaleur, des fluides gaz et vapeur et du traitement des déchets. Des relations entre producteurs et clients s’y sont instaurées. C’est un modèle dans lequel la chimie est essentielle au fonctionnement des industries diverses : Air Liquide produit le CO pour fabriquer en bout de chaîne les peintures, Ventorex purifie le sel pour fournir à l’industrie des plastiques et du médicament du chlore-soude et du chlorure de méthyle, Arkema utilise le sel pour faire des chlorates et perchlorates pour les fusées d’Arianespace (2). C’est toute une industrie en aval qui risque de pâtir de cette crise, le chlore pour Framatome qui purifie le zirconium de l’industrie nucléaire, le chlore pour d’autres plateformes à Marseille ou Lacq. Les salariés d’Arkema se sont à leur tour mis en grève en décembre en raison de l’incertitude de la poursuite de l’activité H2O2, Cl2, chlorates et perchlorates qui pourrait entraîner un nouveau plan social.
C’est évidemment la concurrence asiatique qui mine la compétitivité de Ventorex. Son concurrent direct, le groupe chinois Wanhua, lui propose une reprise non crédible. Les produits chinois arrivent en Europe 30 % moins coûteux. La chimie française avec un prix de l’énergie et du gaz deux à trois fois plus élevé qu’aux États-Unis ou en Chine ne peut plus faire face à la concurrence malgré un savoir-faire de spécialités et un ensemble d’infrastructures quasiment unique souligne le Medef Isère. On voit combien sont nécessaires ces plateformes chimiques iséroises ; sans elles plus de peintures, plus de médicaments, plus de fusées Ariane, plus d’électricité nucléaire et… plus de souveraineté nationale.
France Chimie
C’est aussi ce que souligne France Chimie (3) qui rappelle que la chimie est un acteur majeur de l’économie française avec une balance commerciale encore positive et essentielle pour les autres industries. France Chimie estime qu’au moins 15 000 emplois directs seraient menacés depuis 2024. Le taux d’utilisation des capacités des sites de la chimie de base reste en dessous de 75 % depuis deux ans, situation insoutenable, provoquée par une demande européenne en berne, des charges réglementaires et des coûts de l’énergie suicidaires par comparaison à d’autres régions du monde, les États-Unis , la Chine ou le Moyen-Orient. À cet écart de compétitivité s’ajoute des investissements industriels menés aux États-Unis avec les subventions en milliards de dollars de L’Inflation Reduction Act (IRA) et des pratiques commerciales plus proches du dumping pratiquées par la Chine. Heureusement la chimie de spécialités notamment les parfums, les cosmétiques et les médicaments souffre moins que dans d’autres pays européens. Dans nos industries chimiques le nombre d’apprentis ne faiblit pas et nos ingénieurs chimistes se placent très bien. Cependant, France Chimie, avec plus de 1000 entreprises et fédérations européennes de la chimie, a signé « la déclaration pour un pacte industriel européen » demandant à Bruxelles :
- un accès à une énergie compétitive (4)
- restaurer et accélérer les investissements et l’innovation
- simplifier et diminuer les sur réglementations du pacte vert
- accompagner l’évolution des métiers et des compétences (5).
Une crise industrielle européenne
Cette crise économique n’est pas réservée à La France. Si Vencorex comme Exxon Mobil à Port-Jérôme en Normandie, qui projette d’arrêter son vapocraqueur, sont cités comme exemples, en Allemagne BASF lance un plan d’économie de plus de 2 milliards d’euros. L’entreprise ferme une dizaine d’installations et prévoit la suppression de 2600 postes, y compris dans son site historique de Ludwigshafen (6). La campagne électorale en cours n’épargne pas Volkswagen qui veut fermer trois usines entrainant plusieurs dizaines de milliers de postes supprimés. Cela illustre la crainte des constructeurs européens d’automobiles qui risquent de payer plus de 15 milliards euros d’amende si les taux de CO2 des flottes commercialisées dépassent la limite imposée par le plan vert de Bruxelles.
L’atonie des ventes de véhicules électriques européens submergés par la vague chinoise plus compétitive a rendu véhéments les patrons de l’automobile auprès de Mme von der Leyen. S’y ajoute pour les batteries la ruine du groupe suédois Northvolt qui voulait devenir le géant européen des batteries et qui se retrouve en quasi-faillite avec 15 milliards € de dette. ACC avec ses coactionnaires TotalEnergies, Stellantis et Mercedes-Benz démarre la fabrication de batteries à Douvrin dans le Nord (7) mais gèle les projets de gigafactories en Italie et en Allemagne. En effet, si les batteries Li-NMC sont les plus utilisées, les fabricants chinois tentent d’imposer la batterie LFP (lithium-fer-phosphate) plus économique et imposent aux Européens une réflexion sur la stratégie chimique à prendre en compte. En métallurgie, face à l’acier chinois et bientôt américain, ArcelorMittal a suspendu son investissement de 1,7 milliard pour la production d’acier par DRI et la réduction par l’hydrogène à Dunkerque, devant le prix de l’hydrogène vert. On aurait pu se réjouir fin 2024 lorsque Plastics Europe a annoncé que la production européenne de plastique avait diminué de 8,3 % à 54 millions de tonnes, mais hélas la production issue du recyclage (8) a aussi diminué de 7 %, car les autres pays du monde ont augmenté la production directe de polymères. L’Europe est donc devenue pour la première fois importatrice de résines. Elle doit faire face à une hausse brutale des importations de résines beaucoup moins chères en provenance de régions où les normes environnementales sont moins strictes, comme en Asie qui représente 54 % de la production mondiale.
La réaction de l’Europe
La Commission européenne est devenue sensible à ces crises et aux revendications de l’industrie et des États. Elle lance une feuille de route qui devrait être officielle fin février. Le mot d’ordre est « compétitivité, compétitivité, compétitivité » ! Déjà un dialogue stratégique est entrepris avec les constructeurs automobiles et les équipementiers. Pour les marchés publics, elle propose une préférence européenne. Elle prône la simplification de ses réglementations et des procédures qui accompagnaient le pacte vert en détricotant les 2300 obligations de la CSRD et de la taxonomie. Il semble que l’arrivée de D. Trump outre-Atlantique ait provoqué une réflexion géopolitique de la Commission européenne, Mme von der Leyen, prudente, parle de « choc de simplification », mais pas encore de détricotage des normes. Tout le monde attend des actes et des mesures financières telles que celles d’un IRA européen, pour que selon le libéral Donald Tusk (Premier ministre polonais) : « l’Europe ne peut pas perdre la compétition mondiale et devenir un continent d’idées naïves. » Heureusement en France nous avons une recherche universitaire, CNRS…, et industrielle de grande qualité. Des pépites naissent qui veulent mettre fin au monopole extérieur (chinois). Citons Tokai Cobex Savoie qui a transformé une ancienne usine Carbone Savoie, qui produisait les blocs graphite pour la production d’aluminium, en une fabrique de poudre micronique de graphite ultra pur pour les électrodes des batteries, graphite qui est à 99 % issu de Chine. Dans ce même domaine des batteries, deux entreprises se lancent dans une technologie disruptive celle des batteries tout solide : Blue Solutions à Quimper qui fournit déjà certains bus et le chimiste Syensqo qui, à Aubervilliers et à La Rochelle où une usine pilote a été inaugurée, mise sur les électrolytes sulfures tout solide. Ces défis de la chimie font penser au slogan lancé en France après le choc pétrolier de 1973, que l'on peut reprendre 50 ans après : « En France on n’a pas de dollars mais on a des idées ! »
Jean-Claude Bernier
Janvier 2025
Pour en savoir plus
(1) En quoi la chimie intervient dans la création de peintures, encres et vernis ? Mediachimie.org
(2) La chimie et l’espace, J. Louet, Colloque Chimie, aéronautique et espace, 8 novembre 2017, Fondation de la Maison de la chimie
(3) La chimie s’inquiète pour l’avenir, J.-C. Bernier, Mediachimie.org
Vitesse de déploiement et acceptabilité des nouvelles technologies dans le domaine de l’énergie, G. de Temmerman, Colloque Chimie et énergie nouvelles, 10 février 2021, colloque Fondation de la Maison de la chimie
Métiers de la chimie – Le Havre et ses environs, dossier Mediachimie.org
Plus de gaz plus d’engrais, éditorial, , J.-C. Bernier, Mediachimie.org
Avancées et perspectives dans le domaine du stockage électrochimique de l’énergie (batteries), D. Larcher, Colloque Chimie et énergie nouvelles, 10 février 2021, colloque Fondation de la Maison de la chimie
(8) Recyclage des plastiques …vers une économie circulaire, E. Cheret, Colloque Chimie, Recyclage et Economie circulaire, 8 novembre 2023, colloque Fondation de la Maison de la chimie
Crédit illustration : Usine chimique, Lacq, France, Bernard Blanc/flickr, licence CC BY-NC-SA 2.0