Face à l'urgence climatique, les industriels du ciment innovent pour se décarboner. Pour gagner des parts de marché, les ciments alternatifs doivent encore surmonter certaines limites techniques et économiques.
Source : Grand Prix Jeunes Journalistes de la Chimie 2024
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Quels matériaux pour les prothèses des parasportifs ?
Rubrique(s) : Question du mois

Parasport : les origines
La compétition sportive pour les personnes souffrant de handicaps physiques trouve son origine en 1948, lorsque le Dr. Guttmann, neurochirurgien britannique d’origine allemande, décide d'organiser les premiers « Jeux mondiaux des chaises-roulantes et des amputés », pour réinsérer psychologiquement ses patients paraplégiques, vétérans de la Seconde Guerre mondiale.
En 1952, cet événement prend une dimension internationale et, depuis les premiers Jeux paralympiques de 1960 qui se tiennent à Rome, une semaine après les J.O., les suivants se déroulent tous les 4 ans dans la ville choisie pour les Jeux olympiques.
Le handisport nécessite du matériel adapté, aussi bien pour les déplacements (prothèses de membres ou fauteuils roulants), que pour les accessoires spécifiques (sangles, ballons pour non-voyants, protections, etc.).
Les prothèses sont les dispositifs artificiels destinés à remplacer une partie amputée du corps, membre, portion de membre, articulation. Elles existent depuis l’Antiquité ! Jusque dans les années 1980, les athlètes handicapés ne portaient pas de prothèses spécifiques lors des compétitions sportives.
Par la suite, des prothèses spécialement conçues pour les parasports ont été développées. Elles doivent remplir plusieurs fonctions : légèreté, résistance mécanique, biocompatibilité, confort. Les matériaux et les conceptions utilisés dans les prothèses diffèrent selon le type de sport pratiqué.
Elles sont souvent faites sur mesure et privilégient l’efficacité plutôt que l’esthétique.
De quoi sont faites les prothèses des sportifs handicapés ?
Les prothèses des blessés de la Première Guerre mondiale étaient en bois et cuir ! Désormais elles se caractérisent par des matériaux aux propriétés différentes. Les métaux comme le titane, l’aluminium ou l’acier, sont utilisés pour leur résistance et leur légèreté (en réalité ce sont des alliages acier inox, nickel-titane, etc.). Mais de nouveaux matériaux ont fait leur apparition comme la fibre de carbone, le kevlar, la fibre de verre, les matériaux composites, les silicones, etc. et ils ont largement modifié les performances des athlètes handicapés.
Oscar Pistorius, champion paralympique et olympique sur 400 m, utilise des lames en fibre de carbone, jouant le rôle de pied et de mollet. Sa « flex foot » est inspirée de la jambe arrière du guépard, le plus rapide des animaux.
Herr Hugh, grimpeur de très haut niveau dans les années 80, a créé des jambes prothétiques lui permettant d'escalader à nouveau après son accident. Dans son cas, le pied est en titane.
Ces prothèses sont aujourd’hui largement utilisées et résument bien l’apport des matériaux nouveaux.
Exemple d’une prothèse de membre inférieur
Elle comporte 3 éléments : l’emboîture, le manchon, la prothèse (fig. 1).
Figure 1. Flex foot. Source Brevet national des collèges 2020
https://lewebpedagogique.com/technopp/archives/640
1 - L’emboîture relie la prothèse au moignon (membre amputé), elle est la base sur laquelle se fixent les éléments de la prothèse, elle permet l’appui au moignon et transmet l’énergie du corps vers le « membre artificiel ».
Elle peut être réalisée avec un matériau composite (i) appelé « carbone tubulaire ». Ce sont des fibres de carbone (ii) imprégnées de résine acrylique (iii).
D’autres composites sont formés avec du Kevlar (iv), des fibres de verres ou de carbone, tous biocompatibles, qui permettent l’allègement de la prothèse et un meilleur aérodynamisme.
L'emboîture est conçue sur mesure pour éviter tout mouvement du moignon dans l'emboîture.
2 - Le manchon est l’interface entre la peau et l’emboîture, il est destiné à protéger le membre.
Partie souple de la prothèse, il est le plus souvent en silicone (v), matériau choisi pour son élasticité, sa biocompatibilité, sa durabilité et sa capacité à réduire les frottements et les irritations. Des copolymères ou du polyuréthane sont aussi employés.
3 - La prothèse elle-même, pied, genou, jambe, main… ne supporte pas les mêmes efforts selon le sport pratiqué.
Les « lames de course » constituant les prothèses des coureurs à pied sont désormais majoritairement en fibre de carbone.
En fait, les fibres de carbone tissées sont imprégnées de résine époxy et c’est ce matériau composite qui possède un ensemble de propriétés remarquables (cf. tableau comparaison) :
- légèreté due à la très faible densité de 1,8
- résistance 10 fois supérieure à celles de l’acier, ce qui donne une résistance spécifique 50 fois supérieure à celle de l’acier (quotient résistance /densité) (résistance à la compression et la traction, flexibilité)
- tenue en température
- longévité, due à l’inertie chimique (sauf à l’oxydation).
La fibre de carbone contribue au renforcement de nombreux composites. Mais sa production est complexe (vi) et la rend très coûteuse. La réparation et le recyclage des pièces sont problématiques.
Les avancées et les perspectives
Aujourd’hui de nouveaux composants électroniques révolutionnent l’efficacité des prothèses pour compenser le handicap.
Les progrès les plus innovants résident dans les prothèses bioniques (fig. 2) dans lesquelles un (ou plusieurs) composant(s) est géré électroniquement pour reproduire au mieux le fonctionnement humain. (bionique est la contraction de biologique et électronique).
Figure 2. Main bionique https://fr.motorica.org/blog
Des capteurs et des composants, conducteurs ou semi-conducteurs électroniques, captent l’activité (contraction-énergie) des muscles du membre résiduel et la transmettent à la prothèse.
Dans ce domaine, le graphène et les nanotubes de carbone, nouvelles formes (allotropes) du carbone de découverte récente, sont très prometteurs. Le graphène (vii) est constitué d’un feuillet d’atomes de carbone disposés sur un réseau de type nid d’abeille. Sa résistance à la rupture est deux cents fois supérieure à celle de l'acier (tout en étant six fois plus léger).
Un ou plusieurs feuillets peuvent s’enrouler pour former un nanotube de carbone (viii) (fig. 3).
Figure 3. Nanotube de carbone.
Source : Mstroeck. Licence CC BY-SA 3.0, Wikimedia Commons
Flexibles et ultra-résistants, les nanotubes de carbone peuvent, entre autres propriétés, transmettre les courants électriques du corps humain, grâce à leur comportement métallique ou semi-conducteur. Ainsi la présence de nanotubes de graphène a-t-elle permis (1) de fabriquer des mains prothétiques fonctionnelles capables d'interagir avec des écrans tactiles (utile pour les sports électroniques !).
En conclusion, le temps de la jambe de bois du pirate est bien révolu ! L'évolution scientifique et technologique des prothèses permet maintenant aux sportifs handisports de pratiquer leur discipline à haut niveau.
Dans certains cas, les avancées technologiques donnent des capacités accrues aux athlètes handicapés, au point que leurs performances peuvent égaler voire devancer celles des sportifs valides. Par exemple la prothèse permet à l'athlète une restitution d'énergie plutôt constante (et donc moins de fatigue pour l’athlète). La lame de carbone d’un sprinter, selon sa conception ou sa longueur, donne à l’athlète une foulée plus longue et transmet une énergie supérieure à celle des athlètes non amputés. Peut-on alors parler d’« athlètes augmentés par la technologie » ?
Des questions éthiques sur la participation de ces athlètes au côté d’athlètes valides dans les compétitions internationales (2) existent déjà. Toutefois, au cours de l’histoire de l’athlétisme paralympique, seuls quelques athlètes ont atteint les performances des athlètes valides…
Andrée Harari et l’équipe question du mois
(i) Les matériaux composites sont constitués de deux ou plusieurs composants dont les propriétés, différentes mais complémentaires, confèrent au composite des caractéristiques spécifiques.
Dans le cas présent ils présentent, pour l’application recherchée, les avantages suivants :
- résistance : le matériau supporte de nombreux chocs et pressions externes grâce au renfort des fibres de carbone,
- volume et masse plus faibles : allègement parfois considérable du produit final,
- durée de vie : du fait de sa résistance et sa relative inertie chimique, le matériau est durable.
(ii) La fibre de carbone est constituée de fibres extrêmement fines (5 à 10 microns de diamètre) d’atomes de carbone agglomérés en microcristaux. L’alignement des cristaux le long de l’axe de la fibre la rend très résistante. Plusieurs milliers de fibres de carbone sont enroulées ensemble pour faire un fil. Les fibres de carbone étant formées de domaines graphitiques, elles présentent les propriétés électriques du graphite.
Cependant les propriétés sont unidirectionnelles, (anisotropie). Ce n’est pas le cas des métaux qui sont capables de supporter des charges dans n’importe quelle direction (propriété isotrope).
(iii) Une résine acrylique est un polymère thermoplastique ou thermodurcissable obtenu à partir d'acide acrylique (H2C=CHCOOH), ou autres composés apparentés. Ses propriétés utiles sont la résistance mécanique, la biocompatibilité, la transparence.
(iv) Le Kevlar (nom commercial du poly(p-phénylènetéréphtalamide) (PPD-T) est un polymère thermoplastique constitué de noyaux aromatiques séparés par des groupes amide. Les liaisons hydrogène lui confèrent son exceptionnelle résistance spécifique (rapportée à la densité), supérieure à celle de l'acier, mais inférieure à celle des fibres de carbone.
Comme les autres fibres textiles, il ne fait pas partie des matières plastiques (fig. 5).
Structure du kevlar. Licence CC BY-SA 3.0, Wikimedia Commons
(v) Les silicones, ou polysiloxanes, sont des composés inorganiques (il n’y a pas d’atomes de carbone dans la chaîne principale) formés d'une chaîne silicium-oxygène dans laquelle des groupes se fixent sur les atomes de silicium. Le type le plus courant est le polydiméthylsiloxane linéaire (PDMS).
PDMS. licence CC BY-SA 3.0, Wikimedia Commons
Si l'on fait varier les chaînes, les groupes fixés et les liaisons entre chaînes, les silicones fournissent une grande variété de matériaux dont la consistance varie du liquide au plastique dur, en passant par le gel.
(vi) La fibre de carbone est fabriquée à partir des précurseurs comme :
- Les fibres de polyacrylonitrile (fibres de PAN de formule H2C=CH–C≡N). Ces dernières sont oxydées vers 200-300°C pendant une durée allant de 30 minutes à 3 heures et deviennent infusibles. Ces fibres sont ensuite carbonisées sous atmosphère inerte entre 1 000 °C et 1 500 °C pour éliminer les éléments H, N, et O. La graphitisation par un second traitement thermique à haute température (plus de 2 000 °C) améliore la structure des fibres.
- Le brai, goudron issu de distillation de résidus de pétrole ou de houille.
- La cellulose.
(vii) Le graphène est un composé bidimensionnel cristallin, identifié en 2004.
Cette forme de carbone, correspond à un feuillet unique de graphite, de réseau hexagonal, type nid d’abeille. Ses propriétés sont donc bidimensionnelles :
- résistance à la rupture deux cents fois supérieure à celle de l'acier (tout en étant six fois plus léger)
- exceptionnelles conductivités électrique et thermique
- durabilité
Structure du graphène. Domaine public, Wikimedia Commons
(viii) Un nanotube de carbone, observé pour la première fois en 1991 (4) (5), est une structure cristalline composée d'atomes de carbone qui peut être décrite comme un feuillet de graphène enroulé sur lui-même. C’est un tube creux, de diamètre interne d’environ un nanomètre (10-9 m) et d’une longueur de l'ordre de quelques microns.
Les nanotubes peuvent être mono-feuillet ou multi-feuillets. La structure d'un nanotube de carbone multi-feuillets correspond soit à plusieurs feuillets de graphène concentriques, soit à un seul feuillet de graphène enroulé sur lui-même de façon hélicoïdale.
Du point de vue électrique, les nanotubes mono-feuillets ont la particularité remarquable d’être soit métalliques (conducteurs) soit semi-conducteurs. En outre ils ont une excellente rigidité (mesurée par le module de Young), comparable à celle de l'acier et une extrême légèreté.
Références
(1) Nanotubes de graphène, sur le site Motorica (2021)
(2) Le sport augmenté, une révolution en marche à autoriser ?, Journée Transhumansime : de nouveaux droits, Mai 2021, Aix-en-Provence, France, M. Lahaye, V. Perkins, Ch. Charleux, G. Nicolas, V. Andrieu et A. Mahalatchimy, halshs-03406451v2
(3) Electric Field Effect in Atomically Thin Carbon Films K. S. Novoselov, A. K. Geim, S. V. Morozov et al., Science, vol. 306, n° 5696 (2004) p. 666–669
(4) Helical microtubules of graphitic carbon, S. Iijima, Nature, 354 (1991) p. 56-58.
(5) Who should be given the credit for the discovery of carbon nanotubes? M. Monthioux et V. L. Kuznetsov, Carbon, vol. 44, n°9 (2006) p. 1621-1623
Pour aller plus loin
* Les nouvelles prothèses Serge Lécolier, Revue Chimie Paris, n°338-339 (2012) p. 8-11
* Handicap et évolution scientifique et technologique : la prothèse dans le handisport (PDF) Comité Départemental Olympique et Sportif de l'Aisne, aisne.franceolympique.com
* Société Össur, fabricants de produits orthopédiques non invasifs
* Cours de physique du solide : les nanotubes de carbones (pdf) sur le site de l'Institut Rayonnement-Matière de Saclay (Iramis) - CEA
* Cette main bionique peut fonctionner plusieurs années, R. Fouchard, News de science (2023) sur le site des Techniques de l’Ingénieur
* Prothèses bioniques : retrouver les fonctions perdues, article réalisé avec M. Maier, de l'École des neurosciences (unité FR3636), CNRS - Université Paris Descartes, Site de la Fondation pour la Recherche Médicale
Crédit illustration : Championnats du monde d'athlétisme IPC 2013. 200 mètres féminin T44. De gauche à droite : Sophie Kamlish (GB), Marie-Amelie Le Fur (France), Marlou van Rhijn (Netherlands)
Fanny Schertzer, licence CC BY-SA 3.0, Wikimedia Commons
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Les perturbateurs endocriniens
Rubrique(s) : Zoom sur...

L’activité endocrinienne c’est la vie, la perturbation endocrinienne pose un problème.
Le système endocrinien est l'ensemble des glandes (dites « endocrines ») qui libèrent des hormones dans le sang : ovaires chez les femmes, testicules chez les hommes et pour tous, thyroïde et parathyroïdes, hypophyse, hypothalamus, pancréas (ilôts), glandes surrénales [...]
Accédez au Zoom sur les perturbations endocriniens
Crédit illustration : plateforme PEPPER
L’activité endocrinienne c’est la vie, la perturbation endocrinienne pose un problème.
Qu’est ce que le système endocrinien ?
Le système endocrinien est l'ensemble des glandes (dites « endocrines ») qui libèrent des hormones dans le sang : ovaires chez les femmes, testicules chez les hommes et pour tous, thyroïde et parathyroïdes, hypophyse, hypothalamus, pancréas (ilôts), glandes surrénales (fig. 1).
Figure 1. Source (6)
Qu’est-ce qu’un perturbateur endocrinien (PE) ?
D’après l’OMS (2012), un PE est défini comme « une substance ou un mélange de substances qui altère les fonctions du système endocrinien et, de ce fait, induit des effets nocifs sur la santé d’un organisme intact, de ses descendants ou de (sous-)populations ».
De nombreux sites internet sont consacrés à la description des enjeux liés aux PEs , INSERM, INRS, ANSES… (1) (2) (3) (4) (5).
Pour reprendre les principaux points sur le PE, il s’agit d’un produit chimique, naturel ou artificiel, qui peut bloquer, imiter ou perturber une fonction hormonale, ce système émetteur « des signaux hormonaux » qui orchestre les principales fonctions essentielles : métabolisme, immunité, reproduction, cognition, etc.
De nombreuses études ont confirmé que les PEs peuvent avoir une large batterie d’effets sur les humains et sur la faune, diminution des facultés reproductrices, malformations sexuelles, pubertés précoces, certains cancers (sein, ovaires, prostate, testicules), retard de développement cognitif, réponse altérée au stress, obésité, diabète… et aussi affecter la biodiversité.
C’est d’ailleurs dans ce domaine que les premières alertes ont été lancées : diminution de populations d’espèces aviaires, féminisation de poissons, altération de la reproduction des alligators, etc.
La notion de PE a été conceptualisée en 1991 par 21 scientifiques réunis à Wingspread (Wisconsin, USA) à l’initiative de Theo Colborn, zoologiste et épidémiologiste américaine. Il était déjà connu que des substances avaient telle ou telle action endocrine. Lors de la conférence ces phénomènes ont été regroupés et nommés. Il était alors surtout question de l’altération du développement sexuel par des produits chimiques et de l’interaction homme/vie sauvage. Depuis, le champ couvert s’est enrichi par l’identification d’un nombre croissant de dommages potentiels.
Quelle démarche pour qualifier qu’un produit est un PE ?
Dans sa rédaction, la définition du PE est simple mais elle demande en fait de caractériser trois éléments (fig. 2) :
- la substance doit agir sur le système endocrinien ;
- elle doit conduire à un effet nocif ;
- et l’effet doit être causé par l'action sur le système endocrinien (le "de ce fait" de la définition).
Cette triple caractérisation ajoute encore, en termes d'essais biologiques nécessaires, à la variété des mécanismes d'action qu’il faut prendre en compte.
Figure 2 : les 3 facteurs définissant un perturbateur endocrinien
Ainsi une substance chimique interférant avec l’équilibre hormonal de l’organisme vivant résultant et conduisant à un effet néfaste pourra être qualifié de « substance de perturbateur endocrinien » sous réserve d’établir que ce lien (causal) est plausible biologiquement à partir des connaissances existantes sur la substance et son mode d’action.
Par exemple, ce lien a été établi pour diverses substances provoquant une inhibition de l'aromatase (mode d’action), impliquées dans la différenciation des gonades et conduisant à un sex-ratio biaisé (effet adverse) en faveur des mâles. Diverses populations de poissons ont vu ainsi leur nombre diminuer. Ainsi, des substances telles que le propiconazole (fongicide) présentant ce type d’effet ont été identifiées formellement comme des perturbateurs endocriniens.
Comment est-on exposé aux PEs dans la vie quotidienne ?
Quand on voit la variété des glandes endocrines, on comprend que les produits susceptibles de les perturber peuvent être très nombreux. Et, du fait des faibles quantités d’hormones mises en jeu dans tant de fonctions vitales, l’exposition à des PEs, peut avoir un impact à des niveaux très faibles.
Nous pouvons respirer, manger, boire et être en contact avec des PEs chaque jour. Ils peuvent être présents à l’intérieur de nos habitations, écoles et lieux de travail dans ce que nous mangeons ou respirons dans ces lieux ou dans l’environnement au sens large. Les études de « biomonitoring » (mesure de substances chimiques présentes dans le corps humain) ont révélé la présence de nombreux PEs chez la plupart des personnes testées, y compris les nouveau-nés.
Et l’influence des hormones variant au cours des étapes de la vie, les PEs agiront de façon différente de la conception à la vieillesse.
Une démarche européenne
Beaucoup, au sein du public ou parmi les responsables d’entreprise, associent les Perturbateurs Endocriniens à quelques produits chimiques emblématiques et quelques activités. Or il n’en est rien.
La commission européenne développe une stratégie concernant les produits chimiques (« chemical strategy »), qui vise à interdire les produits chimiques les plus nocifs dans les produits de consommation, à n'autoriser ces produits chimiques que lorsque leur utilisation est essentielle et à tenir compte de l'effet cocktail des produits chimiques lors de l'évaluation des risques chimiques. En accompagnement la commission a réalisé un bilan de qualité (« Fitness Check ») de la législation européenne concernant les perturbateurs endocriniens. Il en est ressorti de nombreux textes règlementaires comme ceux sur les produits phytosanitaires, les dispositifs médicaux, la qualité de l’eau, de l’air, etc.
Ainsi par exemple le bisphénol A (BPA) est proscrit en France depuis le 1er janvier 2015 dans la composition des contenants alimentaires (biberons, bouteilles, conserves…). En juin 2017, l’Union européenne a classé le BPA parmi les substances « extrêmement préoccupantes » du règlement REACH, en tant que perturbateur endocrinien.
En avril 2023, dans le cadre de REACH, 20 substances avaient été identifiées comme Perturbateurs Endocriniens, et 6 après analyse, comme non perturbateurs.
La liste des substances étudiées à l’ECHA, (European Chemical Agency) est consultable ici https://echa.europa.eu/fr/ed-assessment, parmi lesquelles on trouvera de nombreuses substances PE et en nombre faible des non PE (exemple acide téréphtalique).
Mais les listes à investiguer sont nettement plus longues. Par ailleurs, L’ANSES a publié en avril 2021 un guide intitulé « Elaboration d’une liste de substances chimiques d’intérêt en raison de leur activité endocrinienne potentielle – méthode d’identification et stratégie de priorisation pour l’évaluation ». L’ANSES (i) avait ainsi identifié 906 « substances d’intérêt » et la méthodologie appliquée a abouti à une liste de 16 substances prioritaires comme par exemple l’éthylbenzène). D’autres « listes » sont encore plus longues.
Comment identifier les PEs et répondre au besoin de sortir de l’univers du doute
Une situation d’incertitude pour toutes les parties prenantes
Les incertitudes sur les perturbateurs endocriniens pèsent évidemment sur les questions de santé et d’environnement. Elles pèsent aussi sur tous les acteurs, qu’ils soient producteurs primaires, utilisateurs dans leurs produits, consommateurs ou responsables des règlementations. Et ce pour une raison simple : on ne sait pas comment seront classées beaucoup de substances.
Le nombre élevé de substances suspectées mais pas encore caractérisées, et la durée des controverses traduit le cœur de la problématique. En attendant, la confiance s’effrite envers les autorités et les industriels. Il n’y a pratiquement aucune activité qui ne soit pas concernée et il faut des outils crédibles.
Une catégorisation
Les catégories de PE du règlement CLP (classification, étiquetage) sont établies en fonction du poids des preuves :
- Substances de catégorie I : Perturbateurs endocriniens connus ou présumés pour la santé humaine lorsque des effets indésirables ont un lien plausible avec un ou des mode(s) d'action endocrinien disponibles ou, dans certains cas spécifiques, le schéma des effets indésirables peut être le diagnostic d'un mode d'action PE.
- Substances de catégorie II : Perturbateurs endocriniens suspectés pour la santé humaine, lorsque la preuve d’une activité endocrinienne ou d’un effet indésirable n’est pas suffisamment convaincante pour classer la substance dans la catégorie 1. Il reste nécessaire d’avoir une preuve d’un lien biologique plausible entre l’activité endocrinienne et l’effet néfaste.
Un besoin criant de méthodes d’essai validées
Un ensemble complet, efficace, démonstratif, comprenant des méthodes validées pour être universellement reconnues, fait cruellement défaut. Les méthodes disponibles sont encore peu nombreuses et celles-ci ne portent en général que sur l’un des trois aspects de l’action PE. De surcroit, celles-ci nécessitent des études lourdes, longues et coûteuses (par exemple, un essai qui fait référence pour les mammifères, la ligne directrice « OCDE 443 » (ii), peut impliquer, le sacrifice de plus de 1.000 rats, deux ans de travail et un budget de 1,3 M€).
C’est dans ce contexte que la Fondation de la Maison de la Chimie, en collaboration avec les fédérations de la chimie, de la cosmétique et du ministère de l’environnement, a investi un million d’euros sur quatre ans (2020 – 2024) dans la Plateforme Publique – privée sur la pré-validation des méthodes d’essai sur les Perturbateurs EndocRiniens, « PEPPER », pour contribuer à l’accélération des connaissances sur les PE en développant des méthodes de caractérisation robustes.
Source (6)
Pepper offre un cadre innovant pour financer la pré-validation, cette étape de fiabilisation des méthodes de laboratoire indispensable pour que les organismes internationaux puissent les inscrire dans un cadre réglementaire. Le travail consiste à identifier des nouvelles méthodes et à les faire vérifier par des laboratoires « naïfs » afin d’étoffer la boite à outils indispensables à la détection des PE. A l’issue de cette étape de pré validation, Pepper rédige les lignes directrices pour soumission à l’OCDE afin de valider ou non la méthode.
Ainsi, conçu par la France, le projet PEPPER, soutenu par un réseau international de partenaires et de laboratoires qualifiés, est donc un « accélérateur de validation » qui apporte le chaînon manquant et essentiel entre chercheurs et régulateurs et s’inscrit ainsi dans la logique européenne
Un autre article sera dédié à l’avancement des travaux de PEPPER.
Ce Zoom sur les perturbateurs endocriniens s’est très largement inspiré des textes de PEPPER (6) pour cet article.
(i) Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail.
(ii) Ligne directrice de l’OCDE pour les essais de produits chimiques.
Pour en savoir plus
(1) Perturbateurs endocriniens. Des risques potentiels ou avérés pour la santé humaine sur le site de l’INSERM
(2) Perturbateurs endocriniens sur le site sante.gouv.fr
(3) Perturbateurs endocriniens et risques de cancer sur le site du Centre de lutte contre le cancer Leon Berard
(4) Travaux et implication de l'Anses pour mieux connaitre les perturbateurs endocriniens sur le site de ANSES.fr
(5) Perturbateurs endocriniens, ce qu’il faut retenir sur le site de l’INRS
(6) PEPPER site https://ed-pepper.eu/ et Pepper-Plaquette
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Les pistes d’athlétisme
Rubrique(s) : Éditorial

On ne sait pas comment est mort Philippidès après avoir parcouru les 42 km entre Marathon et Athènes pour annoncer la victoire sur les Perses, à bout de souffle ou les pieds meurtris, car il n’y avait dans l’Antiquité ni revêtement des chemins ni chaussures adaptées à la course. Depuis le renouveau des Jeux Olympiques on porte maintenant une grande attention non seulement aux athlètes et aux champions mais aussi à leur environnement stades, pistes de courses, accessoires sportifs (1). La piste d’athlétisme où sont courues la plupart des épreuves de sprint et de fond a une grande importance dans ces jeux.
Un peu d’histoire
En Europe c’est vers 1850 que les stades ont pris leur forme actuelle composée d’une piste oblongue, deux lignes droites et deux courbes les réunissant faisant environ 400 m ou 440 yards. Sur le modèle des jeux de la Grèce Antique qui à Olympie aux alentours de 800 ans av. J.-C. regroupaient les athlètes venant de toutes les régions sous domination grecque.
Au XIXe siècle et début du XXe les pistes étaient cendrées (on brulait pas mal de charbon à cette époque), composées de terre et de cendres et l’anneau de la piste était séparé en couloirs (6 à 9) pour les courses de sprint à l’aide de cordes suite à une contestation lors du 400 m aux jeux de 1908. Ces cordes assez gênantes entre compétiteurs voisins furent vite abandonnées au profit de marquages au sol à l’aide de peinture blanche ou de poudre blanche. Ces pistes grises cendrées favorisaient les chutes, dérapages et les blessures. Les revêtements furent remplacés progressivement par de l’herbe ou par de la brique pilée après 1930, ce qui va leur donner une teinte rouge orangée comme sur les terrains de tennis. La technique s’étant améliorée le terrain de la piste comprend plusieurs couches : des cailloux ou graviers – du mâchefer – du calcaire concassé – de la brique broyée finement le tout damé sur environ 6 cm.
Puis dans les années 1950 on arrive à remplacer le revêtement des routes par de l’asphalte (2) qui comprend du goudron issu de la distillation du charbon avec beaucoup d’hydrocarbures non saturés comme liant et un granulat de gravier. À cause de son caractère cancérigène le goudron sera progressivement remplacé par le bitume issu des fractions lourdes du pétrole comportant elles des hydrocarbures saturés. Les années 1960 montrent des pistes d’athlétisme nouvelles, avec un colorant rouge. Ces pistes bitumées (10% de bitume et 90% de granulat de tailles choisies) vont apporter un entretien facilité une porosité contrôlée pour l’évacuation des pluies et une durée améliorée. Mais elles seront vite détrônées.
Les pistes modernes
En 1959 le directeur de 3M du Minnesota passionné de course de chevaux souhaite une piste pour eux ménageant leurs muscles et évitant les blessures. 3M étant spécialisé dans les films plastiques, il teste alors un revêtement constitué d’élastomère et de caoutchouc dans un élevage de chevaux appelé « Tartan », le nom restera bien qu’il n’ait rien à voir avec un vêtement traditionnel écossais. Ce « ruban » s’avérera trop couteux pour les kilomètres de piste d’un hippodrome, aussi 3M le propose aux stades d’athlétisme. C’est ainsi que dès les Jeux de 1968 à Mexico une piste en Tartan « rouge » est inaugurée. Est-ce la qualité de la piste ou l’altitude à 2200 m qui entraine une exceptionnelle chute des records olympiques précédents ? Les deux sans doute (3).
Après, les pistes évolueront en épaisseur et en quantité de polyuréthane ainsi que leur couleur, bleue à Rio en 2016 pour améliorer la concentration et le calme des athlètes, rouge de nouveau à Tokyo au Japon pour mieux satisfaire les télévisions.
La piste à Tokyo en 2021 fabriquée sur mesure par l’entreprise italienne Mondo ne fait que 14 mm d’épaisseur. Au-dessous du polyuréthane sont disposés des granulés de caoutchouc en design hexagonal qui ménagent de petites poches d’air. La piste absorbe l’énergie des coureurs et la renvoie avec un effet « trampolino » dans le sens de la marche. Plusieurs coureurs ont dit qu’ils avaient l’impression de « courir sur de l’air » ou de « marcher sur des nuages » sur cette piste très rapide. Il faut dire aussi que les grands fabricants de chaussure de sprint ont fait des efforts. Les chaussures « miracles » ont une semelle élastique avec crampons disposés en hexagone doublée d’une semelle rigide en carbone, des couches de mousse en polyester et polyamide recouverts d’un tissu imper respirant de type « Gore-Tex ».
De plus les fabricants ont fait un réel effort de développement durable et par souci de l’environnement : les mousses de polyamides viennent d’un bioprocédé rendu célèbre par Arkema utilisant des graines de ricin (4) et leur expansion est faite par insufflation d’azote qui les garantit exemptes de CFC, HCFC ou COV (composés organiques volatils). Par ailleurs le principal fabricant a mis en place une chaine de recyclage (5).
La conjonction des chaussures et de la piste apporte un progrès sur les temps de course en sprint et en fond de l’ordre de 2 à 4% ce qui fait dire au roi du sprint Usain Bolt « avec ces chaussures je serais passé au 100 m sous les 9"50 ! ». Car entre 1912 et 2021 pour le 100 m on est passé de la cendrée au Tartan et de 10,6 à 9,58 secondes !
La piste de Paris
Pour les Jeux 2024 à Paris qui vous intéressent au plus haut point, c’est encore le stade de France qui sera doté d’une piste « Mondotrack EB » qui a nécessité 1000 rouleaux de polyéthylène et polyuréthane avec leur support caoutchouté d’épaisseur 15 mm déroulés sur la piste il a fallu 2 800 pots de colle et elle est de couleur violette ! Oui vous avez bien lu : Violette. Comme d’habitude la France se singularise, fini le rouge ou le bleu, c’est le violet, choisi pour apaiser les compétiteurs et peut être les politiques et faire plaisir aux caméramans de télévision. La piste sera en violet clair et les zones de service en violet plus sombre. De plus, obéissant aux tendances de « green washing », le fabricant a incorporé dans la charge minérale des coquilles de moules et d’huitres broyées (soit du calcaire ou carbonate de calcium) ce qui permet de dire qu’il y a pour cette piste au moins 50% de matériaux renouvelables bien mieux qu’à Londres (6). En principe la piste devrait être finie début juin et un premier gala est prévu pour essais le 25 juin.
Certains esprits chagrins ou radicaux avaient émis des réserves sur les granulats de caoutchouc utilisés pour les terrains de sports avec la crainte de libérer des HAP (hydrocarbures aromatiques polycycliques). On peut rappeler que les sprinters n’y passent que quelques secondes et sont donc peu exposés, mais plus sérieusement rappeler surtout que deux réglementations suivies par les fabricants sont impératives et protectrices. Le règlement CLP définit que pour que les granulats de caoutchoucs soient considérés sans danger, ils doivent rester en deçà de certains seuils spécifiques quant à la présence de substances classées dangereuses telles que certains HAP.
Le règlement REACH indique que seuls les granulats de caoutchoucs considérés sans danger sont autorisés pour la fabrication de terrains de sports.
Alors bons jeux, vibrez à Paris ou devant la télévision, la chimie (7) ne sera pas seulement présente sur les revêtements de piste mais sur les sautoirs, les courts, les terrains, les maillots, les prothèses partout pour les jeux olympiques et paralympiques.
Jean-Claude Bernier
Juin 2024
Pour en savoir plus :
(1) Chimie et Sports en cette année Olympique et Paralympique, Conférences du Colloque du 7 février 2024
(2) Les infrastructures de transport : les apports de la chimie dans les projets d’avenir, H. Van Damme, Colloque Chimie et Transports, avril 2013, Fondation de la Maison de la chimie
(3) Optimisation des performances, complexité des systèmes et confrontation aux limites J.-F. Toussaint, La chimie et le sport (EDP Sciences, 2011) isbn : 978-2-7598-0596-9, p. 45
(4) Comment faire des polyamides à partir d’huile de ricin ? Du ricin au Rilsan®, une réaction de polymérisation à la française, J.-P. Foulon, Réactions en un clin d’œil, Mediachimie.org
(5) Les matériaux au service de la performance de la chaussure, A. Lahutte, Conférence Chimie et Sports en cette année Olympique et Paralympique, février 2024, Fondation de la Maison de la Chimie
(6) Un stade plus écologique est-il possible ?, A. Harari, Question du mois, Mediachimie.org
(7) 2023-2024 : Sports et chimie, une sélection de ressources pour découvrir et comprendre pourquoi la chimie occupe une place si importante dans le domaine du sport de haut niveau (Mediachimie.org)
Crédit illustration : Visuel du stade de France / Paris2024.org
La Fondation de la maison de la Chimie s’est associée à la manifestation culturelle et scientifique organisée par la ville du Havre « Sur les épaules des géants » autour du thème de la lumière.
Nous vous proposons la lecture de ce petit dictionnaire Mediachimique qui suscitera sans aucun doute votre curiosité et vous donnera envie d’en savoir plus sur les liens de la chimie et la lumière.
L’absorption de lumière permet d’effectuer certaines transformations chimiques tandis que d’autres peuvent s’accompagner d’une émission de lumière. Nous allons voir, à travers les deux exemples proposés, que l’interaction entre la lumière et la matière permet la conversion d’énergie chimique en énergie de rayonnement et réciproquement.
Partie A : La chimiluminescence. Partie B : La photosynthèse, source d’inspiration pour les chimistes
Parties des programmes de physique-chimie associées
- Programme de physique-chimie de la seconde générale et technologique. Partie « Constitution et transformations de la matière »
- Programme de physique-chimie de la première générale. Parties « Constitution et transformations de la matière » et « ondes et signaux »
- Programme de la spécialité physique-chimie de terminale générale. Partie « Constitution et transformations de la matière »
- Programme de physique-chimie de première STI2D. Partie « Matière et matériaux » / Propriétés des matériaux et organisation de la matière