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Mots-clés : phosphorescence, fluorescence, photographie, radioactivité, sels d’uranium

La dynastie des Becquerel et leur intérêt pour la phosphorescence

Antoine César Becquerel (1788-1878), fondateur de la dynastie des Becquerel au Muséum, a été nommé professeur titulaire de la chaire de Physique appliquée aux sciences naturelles, à sa création en 1838 à l’initiative de Joseph Gay-Lussac. Au cours d’un voyage à Venise, Antoine César avait observé que la nuit, la mer devenait phosphorescente et il a commencé à s’intéresser à ce phénomène.

Son fils Edmond Becquerel (1820-1891) a succédé à son père comme professeur en 1878. On lui doit la découverte de l’effet photovoltaïque (1839) et la réalisation de la première photographie en couleur représentant le spectre solaire sur plaque argentée (1848). Mais ses recherches ont principalement porté sur les différentes formes de luminescence (*), fluorescence et particulièrement la phosphorescence des sels d’uranium. Pour mesurer la durée de phosphorescence, il a inventé le phosphoroscope (1857), appareil permettant de mesurer le temps qu'il faut à un matériau phosphorescent pour cesser de briller après avoir été excité par de la lumière.

Enfin, Henri Becquerel (1852-1908), fils d’Edmond qui lui a succédé comme professeur en 1892, a porté un intérêt scientifique, entre autres sujets, à la phosphorescence de sels d’uranium. Tous ont été polytechniciens, sauf Edmond reçu à cette Ecole, mais qui a préféré travailler dans le laboratoire de son père. Tous ont été membres de l’Académie des sciences.

La découverte des rayons X par Röntgen et sa présentation par Henri Poincaré à l’Académie

En novembre 1895 Wilhelm Conrad Röntgen, professeur à l’université de Würzburg, découvrit les rayons X alors qu’il faisait fonctionner un tube de Crookes dans l'obscurité. Ayant placé ce tube dans l’obscurité, il observa une fluorescence sur un écran en papier recouvert de platinocyanure de baryum. Il a noté que cette fluorescence accompagne la production des rayons X et que si les rayons X ne sont pas visibles par l’œil, ils impressionnent les plaques photographiques, même protégées par du papier noir.

Peu de temps après, le 20 janvier 1896, Henri Poincaré présenta devant ses collègues de l’Académie des sciences, la découverte de Röntgen et attira l’attention d’Henri Becquerel dont il connaissait l’intérêt pour la phosphorescence des sels d’uranium, lui suggérant de voir si elle ne s’accompagnait pas de l’émission de rayons X.

La découverte des rayons uraniques d’Henri Becquerel

Après plusieurs expériences négatives avec différents corps phosphorescents, Becquerel a utilisé des cristaux de sulfate double d’uranyle et de potassium « qu’il avait préparé une quinzaine d’années avant ». Il les déposa sur une plaque photographique « Lumière » soigneusement enveloppée dans du papier noir pour la protéger de la lumière, puis exposa le dispositif plusieurs heures au soleil.

Ensuite, il développa la plaque et observa qu’elle est impressionnée, malgré sa protection par le papier noir. Il en déduisit que les sels d’uranium émettaient des rayons X après excitation par la lumière du soleil et présenta ce résultat à l’Académie dans une note le 24 février 1896 (1).

Puis, il voulut recommencer l’expérience, mais, pendant plusieurs jours, le soleil ne se montra pas. Dans l’attente de son retour, il rangea le dispositif expérimental dans un tiroir à l’obscurité. Quand le 28 février le soleil revint, il reprit son expérience et prépara un nouveau dispositif. Mais il ne jeta pas le dispositif préparé auparavant, pensant que faute de soleil et donc de phosphorescence, la plaque ne serait pratiquement pas impressionnée. Il la développa normalement, et à sa grande surprise l’impression de la plaque restée dans le noir fut beaucoup plus intense que celle de la première expérience. Il en conclut que le sel d’uranium émettait donc spontanément des rayons pénétrants, qu’il ait été ou non exposé à la lumière du soleil et nomma ce rayonnement « rayons uraniques ». Il présenta ce nouveau résultat à l’Académie le 1er mars 1896 (2). C’était là, la découverte capitale d’Henri Becquerel, celle des « rayons uraniques », fruit du hasard dans un esprit préparé d’un expérimentateur rigoureux.

Pierre Curie et son frère Jacques (**), un autre élève de l’Ecole de Chimie d’Edmond Frémy au Muséum, réalisèrent un appareil (quartz-piézzo électrique) qui permettra de faire des recherches quantitatives sur les substances radioactives, les travaux de Becquerel étant purement qualitatifs. Cette possibilité a permis à Marie Curie de découvrir en 1898 dans la pechblende des substances plus radioactives que l’uranium : le polonium et le radium (3) (4). Le nom de « radioactivité » a été donné au phénomène par Marie Curie.

Pour leurs travaux sur la découverte de la radioactivité, le prix Nobel de physique de 1903 a été décerné à Henri Becquerel, Pierre Curie et Marie Curie.

 


Pierre et Marie Curie dans leur laboratoire parisien, avant 1907

 

Notes
* Les phénomènes de luminescence, fluorescence ou phosphorescence, apparaissent lorsqu’un corps absorbe la lumière visible ou ultraviolette, puis la réémet à une longueur d’onde plus grande (décalée vers la partie rouge du spectre). Les deux phénomènes de phosphorescence et fluorescence sont quasiment identiques. La différence est que le matériau phosphorescent continue d'émettre de la lumière dans le noir même si on arrête de l'éclairer. Après exposition à la lumière un matériau phosphorescent diffuse la lumière dans le noir alors qu’un matériau fluorescent n'émet pas de lumière dans l'obscurité, mais produit une couleur vive si on l'éclaire.

** Pierre Curie et Jacques, âgés de 21 et 25 ans, découvrent en 1880, la piézoélectricité. L’effet piézoélectrique est une propriété de certains cristaux, comme le quartz, d’émettre de petites quantités d’électricité lorsqu’ils sont comprimés ou étirés. En 1885, ils font construire un instrument pour leur laboratoire, qu’ils appellent tout simplement “quartz piézoélectrique”. Cet instrument, permet de faire des mesures quantitatives de la radioactivité d’échantillons. Cet instrument est introduit par Marie et Pierre Curie dès 1898 dans leur méthode de mesure de la radioactivité, appelée aujourd’hui « méthode Curie ». Lors de cette mesure, les deux scientifiques compensent la charge électrique inconnue produite par l’échantillon radioactif, avec la charge électrique connue générée par le quartz. La méthode de compensation leur permet de mesurer, en utilisant un électromètre à quadrant, des courants très faibles, de l’ordre de 10-13 ampères. Ces mesures, très précises, leur permettent de détecter dès 1898, dans les minerais d’uranium, la présence de quantités infimes de deux nouveaux éléments chimiques radioactifs : le polonium et le radium. « Pour mesurer les courants très faibles que l’on peut faire passer dans l’air ionisé par les rayons de l’uranium, j’avais à ma disposition une méthode excellente étudiée et appliquée par Pierre et Jacques Curie. » Marie Curie, Pierre Curie, 1923.

Bibliographie
1 - Henri Becquerel. Sur les radiations émises par phosphorescence. C.R. Acad. Sci. 122 (1896) p. 420-421.
2 - Henri Becquerel. Sur les radiations invisibles émises par les corps phosphorescents. C.R. Acad. Sci. 122 (1896) p. 501-503.
3 - Pierre Curie et Marie Curie, Sur une substance nouvelle radio-active (polonium), contenue dans la pechblende. C.R. Acad. Sci. 127 (1898) p.175-178.
4 - Pierre Curie, Marie Curie et Gustave Bémont, Sur une nouvelle substance fortement radio-active (radium), contenue dans la pechblende. C.R. Acad. Sci. 127 (1898) p. 1215-1217.

 

Illustration : Pierre et Marie Curie dans leur laboratoire parisien, avant 1907. Source : Wikimedia commons

Auteur(s) : Bernard Bodo
Niveau de lecture : pour tous
Nature de la ressource : article