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Mots-clés : Berthelot, scientisme, synthèse chimique, science-fiction

Les commentaires présentés ici sont formulés à la lecture du discours, prononcé le 5 avril 1894 au banquet de la Chambre syndicale des Produits Chimiques devant un auditoire d’industriels, par le célèbre chimiste Marcellin Berthelot (1827-1907), qui a imaginé les évolutions futures de la chimie. À partir de ses conceptions, ancrées dans une vision positiviste de la place déterminante de la science dans la société, Berthelot décrit le futur grâce à des solutions issues de l’application rationnelle des connaissances scientifiques de son temps.
 

Promoteur de la synthèse en chimie organique, il peut estimer que les possibilités de la synthèse sont devenues immenses. De là, il imagine un monde où les chimistes pourront imiter tous les produits que la Nature fournit et que leur pouvoir leur permettra de contribuer au bien-être général de toute l’humanité. D’où ce discours-fanfare sur l’irrésistible montée en puissance de l’industrie chimique qui, grâce aux synthèses, serait capable de fournir aux hommes de l’an 2000 la nourriture, la santé, et tous les produits dont ils auront besoin pour vivre.

Toutefois, ce discours s’explique dans le contexte de l’époque. Savant de premier plan, Berthelot est aussi un homme politique : ministre de l’Instruction publique (1886-1887), puis ministre des Affaires étrangères en 1895. Ses travaux sur la synthèse chimique sont utilisés pour la mise en valeur d’un savant devenu un grand notable de la Troisième République. En 1901, lors d’une cérémonie à sa gloire, il reçoit une médaille sur laquelle figurent ces mots « La Synthèse chimique, la science guide l’Humanité ».

Cependant, malgré les efforts réalisés par la suite par les chimistes les prédictions de Berthelot vont se révéler assez fausses ou en partie erronées. En un siècle, l’évolution des produits et des procédés de la chimie a vu se développer simultanément les trois grands types de procédés : extraction, transformation et synthèse partielle ou totale. De nos jours la situation est souvent très complexe, les fabrications pouvant passer d’un type de procédé à un autre.

En simplifiant, Berthelot a imaginé qu’il serait possible de se passer d’une des deux premières branches au profit de la troisième, qui, à ses yeux, serait la plus noble car la plus scientifiquement élaborée. Mais il ne pouvait pas prévoir que les évolutions réelles ne correspondront pas à ses prédictions. En particulier, si la première Guerre mondiale allait souligner la place essentielle de la chimie elle allait aussi montrer ses aspects négatifs (guerre chimique). L’image de la chimie en est restée profondément marquée.

On peut enfin ajouter que Berthelot n’a pas anticipé les obstacles immenses que la chimie va rencontrer et devra surmonter. La synthèse des aliments ou des médicaments pose des problèmes de matières premières, d’énergie et de choix technologiques souvent difficiles à surmonter.

Si ce grand savant s’est lancé dans cette science-fiction vers 1900, il convient alors de la lire avec humour dans les années 2000.

Ressource proposée par GE *

Auteur(s) : Marcellin Berthelot
Source : Science et morale, Science et morale, Calmann Lévy (Paris) (1896) pp.508-515
Niveau de lecture : pour tous
Nature de la ressource : article