La chimie thérapeutique a pour mission la découverte de nouveaux médicaments. Mais de la molécule au médicament la route est longue - de 10 à 15 ans -,  périlleuse - 95 à 99% d’échecs -  et coûteuse - de l’ordre du milliard d’euros -. Le dialogue doit être constant entre les chimistes, les biologistes, les physiciens, les cliniciens et les industriels de la santé.La chimie est une discipline précieuse pour comprendre les mécanismes biologiques. Le couplage de la compréhension des mécanismes cellulaires avec une véritable ingénierie moléculaire a permis des progrès spectaculaires pour améliorer le traitement des maladies sévères. L’innovation est difficile dans ce domaine et fait appel à de nouvelles voies telles que la génomique, l’extension du recours aux biomolécules naturelles, notamment celles présentes dans les systèmes vivants, et l’approfondissement de nouvelles méthodes de recherche (méthodes de calcul prédictives, chimie combinatoire…).

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Mots-clés : chimiothérapie, anticancéreux, polymérisation contrôlée, amorceur, gemcitabine

La chimiothérapie consiste à administrer un principe actif (PA) libre (toxicité souvent élevée) ou à l’incorporer dans des nanoparticules (NP) par encapsulation dite physique (mais la libération du PA est alors souvent trop rapide et incontrôlée). Dans cet article on envisage un couplage entre le PA et un polymère pour constituer un « prodrogue polymère » où le PA rendu inactif par un lien covalent est ensuite libéré de manière douce par hydrolyse enzymatique.

Par exemple on couple une molécule de Gemcitabine (anticancéreux pour le cancer du pancréas en particulier) avec une alcoxyamine (R1 R2N-O-R3) contenant un amorceur radicalaire (groupe nitroxyde, R1 R2N-O) qui sert d’amorceur par polymérisation contrôlée sur un monomère vinylique (l’isoprène est choisi car issu de terpènes naturels biocompatibles). Le polymère mono-fonctionnalisé est de masse molaire assez faible (Mn = 5000 g.mol-1) mais la fraction massique en PA est bien plus grande (jusqu’à 30%) que pour les NP classiques où le PA est simplement encapsulé.

Accédez au texte original (lien externe)

Auteur(s) : Julien Nicolas
Source : L’Actualité chimique n° 447 (janvier 2020) pp. 63-64
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Mots-clés : synthèse, biosynthèse, polymérisation, catalyse, enzyme

La nature est une source d’inspiration pour la chimie. Elle fournit notamment bon nombre de molécules dans des champs variés en produisant des principes actifs pour la médecine, des colorants, des molécules odorantes, etc. Il « suffit » aux chimistes de les en extraire. Une plus-value de la chimie face à la nature réside souvent dans sa capacité à produire des molécules qui n’existent pas ou d’en produire en quantité supérieure et suffisante : c’est le domaine de la synthèse chimique. Et si on confiait à la nature le soin de produire elle-même ces molécules de synthèse ? Ce sont là des enjeux de la biologie de synthèse, dont les artisans se trouvent être... les levures et les bactéries : « des micro-chimistes » !

Parties des programmes associées :

  • Programme de biochimie, biologie et biotechnologies de terminale STL : S1 – Enzymes et voies métaboliques
  • Programme de physique-chimie de première STL : Transformation chimique – Cinétique d’une réaction chimique
  • Programme d’enseignement de spécialité de physique-chimie de la classe de terminale générale :  Constitution et transformations de la matière – 4. Élaborer des stratégies en synthèse organique
Auteur(s) : Pierre Labarbe
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Mots-clés : bioconversions, levure, hydrocortisone, cytochrome P450, génie métabolique

«La levure s’ennuyait: on ne lui demandait, depuis des millénaires, que des tâches de routine, du pain, du vin, de la bière [...] quand, un beau jour ensoleillé de l’automne 1991, des biologistes lui demandèrent de l’aide pour fabriquer des tonnes d’hydrocortisone à un prix défiant toute concurrence. »

De nos jours l'hydrocortisone est produite à l'échelle industrielle par un procédé chimique multi-stade précédé par une étape de bioconversion. En 2003 a été publiée et brevetée la reconstruction dans la levure de boulangerie de la voie biosynthétique complète qui permet la synthèse de l'hydrocortisone dans les surrénales des mammifères. Depuis, les efforts n'ont pas cessé pour traduire cette avancée scientifique en une réalité industrielle.

Dans ce chapitre nous allons présenter brièvement le rationnel, la stratégie, les approches et les moments forts de cette véritable saga à rebondissements qui a représenté pour les équipes impliquées un défi de grande ambition : convertir un humble micro-organisme en une véritable usine biotechnologique.

Vidéo de la conférence (durée 35:52)
Retrouvez ici toutes les vidéos de ce colloque. Possibilité de les télécharger.

Auteur(s) : Roberto Spagnioli
Source : Colloque Chimie et biologie de synthèse, 14 février 2018, Fondation de la Maison de la chimie
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Mots-clés : flux continu, microfluidique, miniaturisation, chimio-sélectivité, synthèse de médicaments, synthèse organique, chimie éclair

La chimie en flux continu consiste à réaliser les synthèses dans des dispositifs traversés par le milieu réactionnel en écoulement dans lesquels on effectue toutes les réactions et les transformations physicochimiques sans isoler les intermédiaires. Elle diffère de la chimie en mode discontinu classique (batch) qui s’effectue dans un réacteur (ballon) suivie des différentes étapes de la synthèse. La chimie en flux continu permet de contrôler précisément les conditions de réaction pour optimiser les rendements et les sélectivités.

La maîtrise de la température réactionnelle qui nécessite d’égaliser les flux de chaleur et les échanges thermiques est très nettement améliorée ici. On peut ainsi calculer qu’un réacteur tubulaire de diamètre de 5 mm montre une excellente aptitude de transfert thermique 100 fois supérieure à celle d’un réacteur tubulaire de 10 cm de diamètre. Des modèles mathématiques montrent que le transfert de matière est un élément important et joue en particulier sur la sélectivité des réactions [1].

La microfluidique s’intéresse aux écoulements dans des canaux de dimension de l’ordre du micron par analogie au monde du vivant. En effet le réseau de la circulation du sang fait intervenir des capillaires sanguins de cette dimension, tout comme dans les plantes le transport de l’eau vers les feuilles s’effectue sous l’action de forces capillaires qui agissent à ces petites échelles [2].

Le développement de la microfluidique a permis de diminuer les quantités des produits à mélanger et rend plus reproductible les conditions expérimentales en contrôlant finement les vitesses des ajouts des réactifs et le temps de séjour dans le microréacteur (donc le temps de réaction) [3].

À ces dimensions les lois de la mécanique des fluides sont celles des écoulements laminaires (fluide dit newtonien) sans aucune turbulence. Il en résulte que la mise en contact de deux liquides se traduit par un mélange uniquement obtenu par un phénomène lent de diffusion. Il est donc nécessaire de concevoir des méthodes de mélange efficace pour créer de véritables « labos sur puce » [4].

Aussi la microfluidique a bénéficié des travaux de G. Whitesides (Université de Harvard) des années 90 sur la lithographie douce qui permet alors de fabriquer des dispositifs microfluidiques en polymère transparent de longueur variant de 10 à 100 µm. Les dispositifs de base sont alors des micro-mélangeurs, micro-générateurs de gradient de concentration, et micro-diffuseurs [2].

À ces dimensions on peut ainsi utiliser des émulsions pour fabriquer une à une des gouttelettes d’un fluide au sein d’un autre fluide non miscible, à des fréquences d’une dizaine de gouttelettes par seconde, créant des trains de gouttes monodispersées et confinées qui circulent à vitesse constante de l’ordre de 1 mmol/s. La goutte devient alors un véritable réacteur chimique ! [5] qui par exemple sous l’effet d’ultrasons éclate et libère le produit formé. Ainsi la combinaison de microgouttes de perfluorocarbone (PFC) avec des ultrasons (US) permet d’abord de déclencher à distance la vaporisation du PFC et ensuite l’ouverture des microgouttes avec libération de leur contenu. Ainsi on peut utiliser des microgouttes pour contrôler à la fois dans l’espace et dans le temps une réaction chimique par exemple la cycloaddition non catalysée entre un azoture et un alcyne conduisant à des médicaments comme la doxorubine libérée au niveau d’une tumeur cancéreuse (leucémie) [6].

La miniaturisation des réacteurs en flux continu rend la fabrication moins onéreuse des produits à forte valeur ajoutée. Ce type de réacteur permet de réaliser des synthèses de chimie fine impossibles dans un réacteur standard. Ainsi l’emploi de « turbo Grignard » (organomagnésien complexé par LiCl) permet dans des conditions de flux continu de réaliser des échanges halogène-métal à des températures nettement plus élevées (allant jusqu’à 95°C) que dans des réacteurs statiques. Des métallations sélectives avec des « superbases » mixtes de lithium et de zinc sur des hétérocycles azotés sont possibles en flux continu avec des rendements dépassant toujours les 90% alors qu’elles ne sont pas possibles dans des réacteurs classiques ou des ballons réactionnels ! [7]

Par ailleurs cela permet d’atteindre des temps de réaction très courts (de l’ordre de la milliseconde), d’où le nom de chimie éclair, et de réaliser des mélanges efficaces pour effectuer des réactions de chimie organique quasi impossibles par la synthèse conventionnelle. En effet il est important de signaler que la sélectivité organique n’est pas liée à la réaction chimique mais plutôt au système : si cela ne change pas les contrôles cinétiques réactionnels, cela influence le cours de deux réactions dans la façon de mettre en contact les réactifs. Mentionnons ainsi que les ortho, méta et para iodophénones d’alkyles dans des conditions de microfluidique sous l’action d’un organolithien donnent une régiosélectivité totale sur le site électrophile du groupement carbonyle ! [8]

Des synthèses de médicaments sont réalisées dans d’excellentes conditions. Ainsi un anticancéreux comme le tamoxifène (cancer du sein) est synthétisé par synthèse organométallique à plus de 220 grammes par jour correspondant à une production de 20 000 doses [9].

En général des réactions de nitration, réduction et de dimérisation sont réalisables industriellement dans des conditions de « flow chemistry » à des températures et des pressions élevées (150°C, 20 bars) avec une accélération d’un facteur 1000 [10].

Il existe des réacteurs photochimiques microfluidiques très performants. Cela permet de réaliser aussi des synthèses de médicaments : l’odanacatib, utilisé pour traiter l’ostéoporose, est ainsi produite avec un rendement de 1g/h au lieu de 1mg/h dans un réacteur classique (batch). Il en est de même pour la camptothécine dans un réacteur à lit plan en flux continu qui est obtenu par ce procédé avec plus 90% de rendement alors qu’en procédé classique (batch), le rendement n’était que de 50% ! [11] La camptothécine est une molécule cytotoxique mais qui intervient dans la synthèse de médicaments anticancéreux.

Des spectres RMN pour analyse en ligne de réaction en flux continu sont réalisés avec des appareils miniaturisés dans des dispositifs portatifs. Il s’agit alors d’appareils à bas champ de 40 à 80 MHz à des prix attractifs de l’ordre de 50.000 à 100.000 euros. La méthode ne nécessite pas de solvants deutérés, mais il faut travailler en solutions concentrées et des recherches pour résoudre les problèmes de sensibilité et de résolution sont requises. Néanmoins un suivi par cette méthode a déjà été développé par exemple pour la neutralisation oxydante des produits toxiques de type « gaz moutarde » [12].

La microfluidique a permis de faire des progrès importants dans le domaine de la formulation. Citons la réalisation des tests immunologiques. Des crèmes à microgouttelettes en suspension peuvent être préservées jusqu’à l’application sur la peau et ont été récemment industrialisées et commercialisées pour des applications en cosmétologie [13].

Des exemples d’industrialisation existent déjà à grande échelle :

  • La production de polysulfones en continu avec un dispositif de cisaillement pour diminuer la viscosité du milieu a permis de s’affranchir de l’utilisation de solvants dans un pilote de production de 10 kg/h pour un temps de séjour d’à peine 1 heure ; l’objectif du développement est de passer à une capacité industrielle de 250 tonnes par an ! [14]
  • La microfluidique permet aussi de synthétiser des nanomatériaux en contrôlant mieux leur taille, leur forme et leur réactivité. Ainsi la pyrolyse laser permet en flux continu la production de nanoparticules de silicium utilisée dans des batteries [15]. Des nanocristaux de CaCO3, d’une dizaine de nm et d’une aire massique de 50m2/g peuvent être produits à raison de 10 tonnes par an, ceci après un travail de développement industriel de plus de sept années et sont utilisés par exemple dans des administrations de médicaments ! [16]

En conclusion « faire mieux avec moins : la microfluidique ! » [17].

 

 

Pour la chimie en flux, nous sommes passés d’un montage dédié (A) à une unité flexible multi-réactionnelle (B) (comparaison 1992-2019). Source : B) www.vapourtec.com in Chimie et nouvelles thérapies (EDP Sciences 2020) p. 235 

 

Pour approfondir et illustrer ce sujet :

[1] Principes théoriques de la chimie en flux de L. Falk et coll., Techniques de l’Ingénieur, fiche J 8025

[2] Microfluidique (PDF) de O. Choffrut, mémoire 2018-2019 ENS

[3] Vidéo en anglais avec un bref résumé et des dispositifs commerciaux de Vapoutec sur le site de la société Vapourtec

[4] La microfluidique : principes physiques et mise en œuvre d’écoulements continus (PDF) 31/03/2016, de O. Français et coll., ENS Paris Saclay

[5] Comment circulent des gouttes dans un laboratoire sur puce ? article de P. Pannizza et coll.,  Reflets de la Physique n°36 (octobre 2013) pp. 4-9

[6] Réactions chimiques et mélanges locaux induits par ultrasons : vers une chimiothérapie ciblée de M. Bezagu, Thèse Université Pierre et Marie Curie - Paris VI, 2015, NNT : 2015PA066492, tel-01299791

[7] Chimie organométallique en flux continu de P. Knochel et coll., Techniques de l’Ingénieur, fiche  J 8030

[8] Chimie éclair et synthèse microfluidique de J. Legros et coll., Techniques de l’Ingénieur, fiche J 8035

[9] Chemistry in a changing world de S. Ley et coll., L’Actualité chimique n° 393-394 (février-mars 2015) pp. 96-101

[10] Chimie fine et pharmacie, de G. Guillamot, conférence vidéo et article du colloque Chimie et Nouvelles thérapies (2019) pp. 227-240 sur le site Mediachimie.org

[11] La photochimie organique et ses applications industrielles de N. Hoffmann, conférence vidéo et article du colloque Chimie et Lumière (2020) pp. 19-35 sur le site Mediachimie.org

[12] Spectre RMN analyse en ligne de réactions en flux continu de P. Giraudeau et coll., Techniques de l’Ingénieur, fiche J 8015

[13] Microfluidique et Formulation de V. Nardello-Rataj et coll., Techniques de l’Ingénieur, fiche : J 8010

[14] Intensification des procédés d’industrialisation de C. Gourdon, Techniques de l’Ingénieur, fiche J 7002

[15] La pyrolyse laser, une méthode industrielle de production de nanoparticules de J.F. Perrin, conférence vidéo et article du colloque Chimie et Nanomatériaux et Nanotechnologies (2019) pages 227-237 sur le site Mediachimie.org

[16] Synthèse de nanomatériaux en dispositifs microfluidiques de M. Penhoat, Techniques de l’Ingénieur, fiche J 8070

[17] Faire mieux avec moins : la microfluidique de S. Descroix et coll., dans le livre « Étonnante Chimie » (CNRS, Editions 2021)
 

Les références [1], [7], [8], [12], [13], [14] et [16] sont extraites de l’ouvrage collectif coédité par le CNRS et les Techniques de l’Ingénieur (TI) en 2021. Ce fascicule est disponible et pourra être obtenu gracieusement sur demande en signalant l’origine de cette note de ZOOM et en prenant contact avec les adresses suivantes : julien.legros @ univ-rouen.fr ou maud.buisine @ teching.com.
 

Auteur(s) : Jean-Pierre Foulon
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Mots-clés : microbiote, dysbiose, symbiose, paucibiose, scanner metagénomique, bactéries-médicaments

Nous sommes microbiens, les microbes interagissent avec nous en permanence et nous sommes en symbiose, c’est-à-dire en relation permanente avec eux. Cette relation s’installe dès la naissance, où nous rencontrons les micro-organismes, d’abord ceux d’origine maternelle puis, dans les premiers mois de la vie, nous développons notre microbiote en même temps que nous construisons nos défenses naturelles et notre système immunitaire.

Partie des programmes de physique-chimie associée :

  • Programme d’enseignement scientifique commun de terminale : Thème 3 – Une histoire du vivant
  • Programme de terminale STL spécialité : S21 – Soi et non soi, microbiote, antigène
  • Programme de première SVT : Thème 3 – Corps humain et santé
Auteur(s) : Danièle Olivier
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Mots-clés : vaccin, virus, atténué, inactivé, vecteur viral, protéine recombinante, ARN messager, spicule

Les vaccins soulèvent des questions auxquelles ce zoom essaie d’apporter des éclaircissements.

  1.  Quelle est la différence entre un agent pharmacologique à visée thérapeutique (médicament) et un vaccin ?
  2. Quels sont les concepts d’élaborations des vaccins existants ayant fait leur preuve ?
  3. Sur quelles bases scientifiques les nouveaux vaccins à ARN messager proposés sont-ils conçus ?
  4. Quelles sont les attentes en termes d’activité, durée d’activité versus toxicité en moyen long terme ?
  5. Le cas des vaccins à ARN modifié ou à ADN ; les questions qui se posent
  6. Propositions

1) Quelle est la différence entre un agent pharmacologique à visée thérapeutique (médicament) et un vaccin ?

Un médicament est conçu dans le cas d’une infection par un virus ou une bactérie voire des champignons [1] pour tuer l’agent infectieux ou arrêter sa prolifération.

Un vaccin est conçu pour apprendre et entrainer notre système immunitaire à reconnaitre un agent infectieux et construire sur cette base l’ensemble de l’arsenal de défense tout en gardant la mémoire de la « photographie » de l’ennemi [2]. Le vaccin engendre ainsi une réponse immunitaire primaire.

Une fois que l’ennemi (agent infectieux) arrive réellement, les soldats sont prêts pour une réponse secondaire rapide avec les bons fusils spécifiques et adapté à l’ennemi dont ils ont gardé la photographie. Cette défense dépend de la réaction des molécules spécifiques dites immunoglobulines souvent associées à des cellules dites phagocytaires (du grec phago qui signifie manger). Plus la photographie rendra compte de la physionomie globale de l’ennemi, moins celui-ci aura des chances d’échapper aux soldats, en changeant simplement certains de ses membres constitutifs par ce qu’on appelle une mutation.

2) Quels sont les concepts d’élaborations des vaccins existants ayant fait leur preuve ?

Virus inactivés et virus atténués : le virus traité chimiquement ou par la chaleur perd sa nocivité mais conserve sa capacité à provoquer une réponse immunitaire. Dans les deux cas de figure le vaccin est inoffensif sauf cas exceptionnels pour le virus atténué. C’est le concept le plus traditionnellement utilisé jusqu’à ce jour dont les preuves de rapport efficacité/toxicité sont éprouvées.

Le recul médical est excellent : rougeole, oreillons, rubéole, fièvre jaune pour les virus atténués, et polio, grippe pour les virus inactivés.

Vecteur viral : on utilise un virus atténué connu comme inoffensif pour véhiculer du matériel protéique du virus à abattre.

Vaccins à protéine recombinante : certaines protéines du virus connues comme immunogènes (qui déclenchent le système immunitaire) sont injectées. Le recul médical est celui du vaccin de l’hépatite B et de certains vaccins contre la grippe.

Dans le cas du coronavirus SARS-CoV-2 ces différents concepts sont utilisés dans les essais en cours avancés :

  • Virus inactivés : Sinopharm (Chine), Sinovac (Chine), Bahrat Biotech (Inde)
  • Vecteur viral : Johnson&Johnson – Janssen (USA), CanSino Biologics (Chine), Gamaleya Research Institut (Russie)- Astra Zeneca (GB-Suède)
  • Vaccin à protéine recombinante (fragment d’antigène) : Novavax (USA), Sanofi / GSK (France, GB), Institut Pasteur / Thémis (France)

3) Sur quelles bases scientifiques les nouveaux vaccins à ARN messager ou ADN proposés sont-ils conçus ?

Il s’agit d’injecter du matériel génétique soit ADN, génome humain, soit ARN messager (ARNm) [3], transcrit du génome. Ce matériel a pour mission de donner l’ordre à l’usine de fabrication des protéines (ribosome) d’élaborer la protéine du virus corona [4], responsable de son accrochage au niveau des cellules humaines. Cette protéine est nommée spicule. Alors le système immunitaire à la vue de cette protéine construit sa défense moléculaire et/ou cellulaire.

Cette approche vaccinale a permis d’obtenir des résultats prometteurs lors d’expérimentations sur des modèles animaux (4 vaccins de ce type sont commercialisés aujourd'hui).

Dans le cas du coronavirus SARS-CoV-2 cette nouvelle approche est utilisée en autre par Pfizer / BioNTech, Moderna, SANOFI / Translate Bio et l’Institut Pasteur (3e voie de recherche en cours)…

4) Quelles sont les attentes en termes d’activité, durée d’activité versus toxicité en moyen long terme ?

Études préalables dans le cas général

Tous les vaccins candidats doivent obligatoirement passer trois phases de tests à l’issue desquelles un dossier est soumis aux autorités de santé [5] pour obtenir ou non l’autorisation de l’administrer à une population.

La phase I consiste à tester l’absence de toxicité sur un nombre réduit (10 à 100) de personnes volontaires adultes et en bonne santé et non exposées au virus. On étudie la tolérance et la production des anticorps (pouvoir immunogène) en fonction des doses que l’on administre.

La phase II va faire appel de 50 à 500 volontaires. Elle a pour but de définir la meilleure façon d’administrer le vaccin : dose, nombre d’injections initiales, et nécessité ou non de rappels, et si oui combien et à quelle fréquence, afin d’induire une immunité maximale. Cette étude se base sur les résultats des analyses sanguines (dosage d’anticorps) pour faire une projection possible.

Dans la phase III il s’agit de tester l’efficacité réelle du vaccin en double aveugle. Cela nécessite plusieurs milliers de volontaires (selon un panel défini, âge, sexe, personnes malades ou non…) évoluant dans des zones contaminées, dont la moitié d’entre eux reçoit un placébo, tandis que l’autre reçoit le vrai vaccin candidat. Dans le cas général, il faut attendre en moyenne 3 ans, voire plus, pour pouvoir comparer le nombre de personnes infectées parmi les volontaires vaccinés réellement et celles qui ont reçu le placébo. Ce n’est qu’à l’issue de la phase III que l’on peut affirmer ou non l’efficacité d’un vaccin, sa durée d’activité et préconiser les meilleurs modes et fréquence d’administration. Les éventuels effets secondaires sont évidemment également notés et suivis.

Les autorités de santé vont alors examiner l’ensemble des résultats pour prendre une décision.

Une fois que le vaccin sera administré auprès de la population, il y a aura un suivi permanent qui constitue la phase IV.

Le cas des vaccins contre la Covid 19

Dans le cas de cette pandémie, la recherche mondiale travaille d’arrache-pied pour pouvoir offrir une solution fiable au plus grand nombre dans un temps très court.

C’est ainsi tout particulièrement la 3e phase qui est concernée et raccourcie. Le nombre d’individus ayant participé aux tests est également réduit.

Les entreprises communiquent et anticipent la production avant même que l’ensemble des résultats soit fourni aux autorités scientifiques de santé ou celles de la régulation et, compte tenu du nombre impressionnant de doses à fabriquer, les gouvernements anticipent aussi les précommandes.

Cela peut engendrer des suspicions dans la population, mais en tout état de cause, les autorités scientifiques et de régulations se prononceront, nécessairement, sur la base d’un dossier complet.

5) Le cas des vaccins à ARN messager ou à ADN ; les questions qui se posent

Cette anticipation n’est pas sans soulever des questions plus spécifiques concernant les tous nouveaux vaccins à ARNm et ADN, qui arrivent en 1er dans cette course effrénée (sociétés Pfizer et Moderna) et dont aucun exemple à ce jour n’a été appliqué à l’homme. Des réponses sont attendues.

En terme d’activité

  • S’agit-il de produits qui interférent avec le virus une fois l’infection mise en place ou s’agit-il de produits qui préviennent l’infection via la mise en place d’un système de défense immunitaire et par conséquent interférant avec la propagation du virus… ?
  • Quelle pourrait être la durée de protection et pour quel type de protection (forme grave versus légère) voire pour quel variant de virus ?
  • Y-a-t-il des cas asymptomatiques ?
  • Les résultats peuvent être positifs dans l’immédiat mais la stabilité de l’agent qui déclenche le processus de défense (ARN messager) reste questionnable. En effet le temps de demi-vie d’un ARN en milieu biologique ne dépasse pas les quelques minutes voire heures pour certains. Toutes les étapes de survie d’un ARNm sont hautement régulées et contrôlées au sein de nos cellules et ceci pour éviter toute aberration ou surproduction des protéines d’intérêt. Alors, que se passe-t-il en cas d’intervention exogène ? Qu’en est-il sur la durée ?

Questions en termes de toxicologie à moyen ou long terme

  • L’ARN injecté peut par un mécanisme naturellement existant chez l’Homme comme chez nos convives les bactéries (biotope) se réinscrire en ADN (transcriptase inverse ou reverse transcriptase) c’est-à-dire s’insérer dans le génome bactérien. Pour ce qui concerne l’Homme la possibilité reste théorique. Qu’en est-il ici ?
  • L’ARNm pour qu’il puisse atteindre sa cible cellulaire chez l’Homme doit être entouré des nanocapsules lipidiques qui déterminent sa destination. Dans ce cas quelle est la population cellulaire humaine réceptrice et pour quel effet ?
  • Si la population cellulaire réceptrice devient la cible potentielle du système immunitaire dit « inné »… quelles pourraient être les conséquences à moyen ou long terme (système vasculaire, organes vitaux, maladies auto-immunes…) ?
  • S’adresser à une protéine unique et spécifique du virus n’expose-t-il pas à des mutations potentielles ?

En conséquence les effets secondaires ne doivent pas être vus sous l’angle médical d’une douleur, inflammation au site de l’injection, maux de tête… mais plutôt sous un angle sociétal et éthique à moyen et long terme en fonction des considérations et possibilités scientifiques connues à ce stade.

6) Propositions

  • Accélérer et massivement financer les recherches sur les concepts vaccins de virus atténués ou inactivés et vecteurs viraux, aux preuves de rapport efficacité/toxicité éprouvées, voir § 2. À ce jour, les laboratoires impliqués dans cette recherche sont nombreux et internationaux et plus d’une dizaine d’approches basées sur ce concept sont en cours avec des produits avancés au niveau de la phase II et III (voir § 2).
  • Approfondir la recherche pour répondre aux questions soulevées sur les vaccins à ARNm et ADN pour éviter une décision précipitée.
  • Financer substantiellement des recherches de nouveaux agents antiviraux [6] [7] à l’image de ce qui a été réalisé pour les infections de type HIV.
  • Entreprendre des études cliniques courtes et ciblés sur des classes de médicaments existants, pour lesquels le recul médical actuel est très important. Les inhibiteurs de synthèse protéique sont connus depuis les années 1950, par exemple les aminoglygosides, les tétracyclines, les macrolides comme le Zithromax, le Claricide , l’érythromycine, le Ketek… bien qu’il s’agisse d’inhibiteurs de synthèse protéique chez les procaryotes (bactéries), la moindre perturbation de la synthèse protéique des protéines virales chez l’Homme pourrait conduire à une déstructuration du virus. D’autres classes des médicaments existants s’y prêtent tels que les inhibiteurs des protéases…

 

[1] Parasite, champignon, bactérie et virus : quelles différences ? (Question du mois, Mediachimie.org)
[2] Un vaccin, oui mais quel vaccin ? (Éditorial, Mediachimie.org)
[3] Cibler l'ADN : pour la compréhension du vivant, Carine Giovannangeli, in La chimie et la santé, EDP Sciences (2010) p. 45
[4] Le coronavirus, un défi pour la chimie du vivant (Éditorial, Mediachimie.org)
[5] Recherche et essais cliniques sur les vaccins sur le site Santé Publique France
[6] Covid-19 : la chimie médicinale à l’assaut des mécanismes de propagation virale, B. Canard, L'Actualité Chimique n° 451 (mai 2020) pp. 17-18
[7] Où sont passés les antiviraux dont la France a besoin ?, B. Meunier (Tribune parue dans Les Échos le 27 mars 2020

Pour en savoir plus

Auteur(s) : Constantin Agouridas, Docteur en pharmacologie moléculaire et cellulaire, Professeur des Universités (Paris VI), Ex-Directeur de Recherches Aventis, Inventeur d’une nouvelle classe d’anti infectieux le Ketek
 
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Mots-clés : synthèse organique, extraction

La nature est une source importante de molécules bioactives pour traiter différentes maladies. Parmi celles issues (et dérivées) de la nature, prenons comme exemple la morphine, le Taxotère® et l’herbimycine A. Le chimiste a un rôle à jouer dans l’identification, l’extraction et la synthèse en grande quantité de ces molécules. Face aux maladies cancéreuses, le chimiste doit renouveler d’ingéniosité. Il utilise aujourd’hui des molécules naturelles qu’il associe à des anticorps (immunoconjugué) et il utilise des nouvelles techniques de vectorisation comme la microfluidique qui est la science de la manipulation des fluides à l’échelle micrométrique.

Partie des programmes associée :

  • Programme de spécialité physique-chimie de terminale générale : Partie 4 – Élaborer des stratégies en synthèse organique
  • Programme de spécialité physique-chimie de première générale : Partie 2.B – De la structure des entités à la cohésion et à la solubilité/miscibilité d’espèces chimiques
Auteur(s) : Philippe Thomas et Danièle Olivier
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Le remède a été introduit en Europe dès le début du XVIIe siècle, mais il a fait l’objet de multiples discussions et controverses sur la façon de le préparer et de l’utiliser. C’est une éternelle histoire qui n’est pas sans rappeler l’actualité de 2020.

Auteur(s) : Réalisation : François Demerliac ; Auteur scientifique : Bernard Bodo ; Production : Fondation de la Maison de la Chimie / Virtuel
Mots-clés : quinquina, quinine, paludisme, fièvre des marais, malaria, chloroquine
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Il y a maintenant plus de cinq siècles que Christophe Colomb et les conquistadors ont introduit le paludisme dans le Nouveau Monde, les Amériques. Mais le Pérou avait le remède, une substance issue de l’écorce de quinquina utilisée par les amérindiens comme tonique et pour lutter contre des fièvres. Les débuts de cette histoire ont fait l’objet de nombreux récits ou légendes contradictoires.

Auteur(s) : Réalisation : François Demerliac ; Auteur scientifique : Bernard Bodo ; Production : Fondation de la Maison de la Chimie / Virtuel
Mots-clés : quinquina, quinine, paludisme, fièvre des marais, malaria, chloroquine
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Mots-clés : chimie durable, synthèse organique, composés biologiquement actifs, génie chimique, chimie physique

Dès le début de la chimie scientifique, les chimistes se sont intéressés aux réactions induites par absorption de la lumière. Contrairement aux réactions thermiques, les réactions photochimiques sont initiées à l'état électroniquement excité dans lequel la configuration électronique est différente. En conséquence la réactivité chimique des molécules excitées se distingue considérablement ; elle est parfois complémentaire à la réactivité ordinaire d'un composé. Par ce fait les transformations photochimiques enrichissent la méthodologie en synthèse organique.

Dans ce contexte, on peut remarquer les points suivants : les synthèses multi-étapes des composés complexes peuvent être raccourcies et simplifiées, des réactions dans des structures supramoléculaires comme les cristaux sont facilement réalisées, la chimie redox des composés organiques est enrichie, les différentes formes de catalyse sont favorablement influencées, dans beaucoup de réactions, le photon est un réactif qui ne laisse pas de traces (traceless reagent), les transformations sont souvent faciles à mettre sur l'échelle industrielle, l'utilisation des microréacteurs et des procédés en flux continu facilitent les transformations photochimiques.

Les liens traditionnellement forts entre la photochimie organique et la physicochimie permettent une analyse et une compréhension approfondies des mécanismes ce qui facilite l'optimisation des réactions. Depuis environ deux à trois ans, l’industrie chimique et pharmaceutique s’intéressent fortement aux réactions photochimiques dans le but de trouver de nouveaux produits biologiquement actifs et de développer des procédés écologiquement et économiquement avantageux.

Vidéo de la conférence (durée 22:52)
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Auteur(s) : Norbert Hoffmann, CNRS, Université de Reims Champagne-Ardenne, ICMR, Équipe de Photochimie, UFR Sciences, Reims
Source : Colloque Chimie et lumière, 26 février 2020, Fondation de la Maison de la chimie
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