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Martin Karplus et la modélisation des molécules

Mots clés : Westinghouse, Pauling, liaison chimique, ion difluorure, résonance magnétique nucléaire, modélisation des molécules
Martin Karplus

Martin Karplus est né à Vienne le 15 mars 1930 dans une famille juive. Il quitte l'Autriche, en 1938, avec sa mère et son frère. Ils passent par la Suisse puis viennent au Havre prendre un bateau « L'Île de France » pour les États-Unis.

Il poursuit ses études à l'école de Newton et souhaite devenir médecin. Son père lui offre un microscope qu'il a conservé. Il observe des rotifères, petits crustacés minuscules, et invite ses amis à venir les voir à l'aide du microscope. C'est le début de son intérêt pour la nature. Il est encouragé par ses parents.

C'est à l'automne 1944 qu'il entre au lycée de Newton mais il n'est pas aussi brillant que son frère et il est en opposition avec le professeur de chimie. C'est pourquoi, lorsqu'il souhaite participer au concours organisé par Westinghouse afin de trouver les talents pour demain, le professeur de chimie, chargé de coordonner les demandes, ne l'inscrit pas. Il décide de se présenter en candidat libre. Il participe à une sélection, trouve un professeur prêt à l'aider et réussit à être parmi les 40 finalistes convoqués à Washington. Chaque finaliste doit présenter un projet scientifique. Il choisit les alcidés, oiseaux marins de petite taille, dont il a étudié le comportement lors d'un voyage en Gaspésie. Les membres du jury s'intéressent à son projet et en particulier l'astrophysicien Harlow Shapley (1885-1972), président du jury. À l'époque, il y a deux lauréats, un homme et une femme. Martin Karplus obtient la bourse d'études de Westinghouse ainsi que Rada Demereck. Ils sont présentés au président Harry Truman (1884-1972).

En 1947, il commence des études universitaires à l'Université Harvard. En plus de la bourse de Westinghouse, il obtient une bourse d'Harvard pour couvrir le coût de la vie sur le campus. Ainsi, il a pu vivre sur le campus et a profité des discussions et des dîners après les cours avec des amis.

Il s'inscrit entre autres en chimie où il suit les cours de chimie élémentaire de Leonard Nash (1918-2013). Il s'intéresse à de nombreux domaines, il découvre le mécanisme de la vision avec George Wald (1906-1997), la chimie et la physiologie des hormones de croissance (auxines) chez les plantes avec Kenneth Thimann (1904-1997) et les bases physiques des réactions organiques avec Paul Bartlett (1907-1997). Il lit aussi l'ouvrage de Linus Pauling (1901-1994) paru en 1939 sur la liaison chimique. Les nombreuses idées développées dans ce livre vont orienter ses recherches ultérieures en chimie.

À la fin de ses études à Harvard, il part en Californie à l'Institut de technologie (Caltech) situé à Pasadena. Dans le département de chimie, il rejoint le groupe de John Kirkwood (1907-1959), et entreprend des travaux sur les protéines. Puis, il travaille auprès de Pauling, son étude porte sur l'ion difluorure (FHF). À l'institut, l'atmosphère intellectuelle et sociale du département de chimie est très enrichissante. Les professeurs, comme Pauling, Verner Schomaker (1914-1997) et Norman Davidson (1916-2002) traitent de la même manière les étudiants diplômés et les stagiaires postdoctoraux.

En octobre 1953, Martin Karplus soutient sa thèse, obtient une bourse postdoctorale de la National Science Foundation (NSF) pour aller en Angleterre, à Oxford, dans le laboratoire du professeur Charles Coulson (1910-1974) où il demeure deux années comme stagiaire postdoctoral, tout en visitant l'Europe et en prenant des photographies qui seront à l'origine de nombreuses expositions. Il affine ses projets et réalise que les applications chimiques de la résonance magnétique sont à leurs balbutiements. Cela va devenir son sujet d'étude.

À son retour aux États-Unis, de 1955 à 1960, il enseigne à l'Université de l'Illinois à Urbana-Champaign. C'est une des meilleures écoles où Charles Slichter (1924-2018) en physique et Herbert Gutowsky (1919-2000) en chimie font un travail de pionnier dans l'application de la résonance magnétique nucléaire aux problèmes chimiques.

Puis c'est l'Université Columbia qui l'accueille de 1960 à 1967. Il rejoint le laboratoire scientifique de IBM Watson avec le titre de professeur associé adjoint jusqu'en 1963. Il s'installe ensuite comme professeur de chimie toujours à Columbia. Il poursuit ses recherches sur la résonance magnétique nucléaire avec de nouveaux collègues, comme George Fraenkel (1921-2009), Ben Dailey, Richard Bersohn (1925-2003) et Ronald Breslow (1931-2017).

Puis il retourne à Harvard comme professeur en 1967. Cette même année, il est élu membre de l'Académie nationale des sciences des États-Unis. En 1969, il part un semestre à l'Institut Weizmann en Israël et rejoint le groupe de Shneior Lifson (1914-2002).

Au début des années 1970, Arieh Warshel (1940- ) rencontre Martin Karplus. Ensemble, ils mettent au point un programme capable de calculer, pour des molécules planes et symétriques, le comportement des électrons des liaisons σ (recouvrement latéral des orbitales) et des noyaux atomiques grâce à une approche classique, et celui des électrons des liaisons π (recouvrement axial des orbitales) avec des outils quantiques. Ainsi, ils montrent la faisabilité d'une approche hybride classique-quantique dans la modélisation des molécules. Quant à Michael Levitt (1947- ), il généralisera ce procédé de modélisation avec Arieh Warshel, pour l'appliquer aux autres molécules dès 1976.

De 1992 à 1995, il profite d’un congé sabbatique pour travailler au laboratoire de résonance magnétique nucléaire de Jean-François Lefèvre à l'Université Louis Pasteur de Strasbourg. En 1995, il devient directeur du Laboratoire de chimie biophysique du CNRS tout en restant professeur à Harvard.

Il reçoit le prix Irving Langmuir en 1987. Ce prix, réservé aux résidents américains, a été créé en 1931 par A. C. Langmuir, frère d'Irving, et le premier bénéficiaire fut Linus Pauling. Il est remis annuellement par la Société américaine de chimie les années paires et par la Société américaine de physique les années impaires. Il récompense l'auteur d'une contribution majeure dans les dix années précédentes en chimie ou en physique dans l'esprit de Langmuir (1881-1957).

Il devient membre étranger de l'Académie royale néerlandaise des arts et des sciences en 1991 puis il est élu à la Royal Society en 2000.

 

Il est aussi membre de l'Académie internationale des sciences moléculaires quantiques. Cette société scientifique internationale s'intéresse à toutes les applications de la théorie quantique à la chimie et à la physico-chimie. Elle fut créée à Menton dans les Alpes-Maritimes en 1967. Ses membres fondateurs furent Raymond Daudel (1920-2006), Per-Olov Löwdin (1916-2000), Robert Ghormley Parr (1921-2017), John Pople (1925-2004) et Bernard Pullman (1919-1996). Sa création fut appuyée par Louis de Broglie (1892-1987).

Enfin, en 2013, Martin Karplus, Michael Levitt et Arieh Warshel, spécialistes de la modélisation des réactions chimiques, reçoivent le prix Nobel de chimie. Ils sont récompensés « pour le développement de modèles multi-échelle pour les systèmes chimiques complexes ». Les applications sont illimitées, non seulement pour les chercheurs, mais aussi pour les ingénieurs et l'industrie.

Il décède à Cambridge le 28 décembre 2024.

La modélisation et la simulation à l'échelle moléculaire occupent une place de plus en plus importante à l'interface des sciences de la vie et de la chimie et sont aujourd'hui un partenaire clé de l'expérimentation. La simulation permet de visualiser les interactions moléculaires à l'œuvre dans des fonctions biologiques complexes, constituant ainsi un outil précieux pour interpréter des observations expérimentales et guider de nouvelles expériences.

 

Pour en savoir plus

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Crédit illustration : Martin Karplus, Conférence de presse des lauréats du prix Nobel 2013 à l'Académie royale des sciences de Suède (décembre 2013), Bengt Nyman - Flickr: IMG_7546, licence CC BY 2.0
 

Auteur(s) : Catherine Marchal
Niveau de lecture : pour tous
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