Le nucléaire est de retour

Date de publication : Mardi 18 novembre 2025
Rubrique(s) : Éditorial

Le « World Nuclear Exhibition » (WNE) qui s’est tenu près de Paris du 4 au 6 novembre 2025 a rencontré un succès sans précédent. Plus de 25 000 personnes en 3 jours, plus de 1000 stands, avec la plupart des experts français et étrangers représentant la chaine de valeur de l’industrie nucléaire tels qu’EDF, Orano, CEA mais aussi les grands industriels Schneider Electric, Saint-Gobain, Vinci, Bouygues, Veolia…

Ce qui a frappé aussi les organisateurs, c’est la présence de pavillons étrangers, non seulement ceux des puissances nucléaires, Japon, Chine, Corée, Grande-Bretagne, mais aussi les Pays-Bas, l’Italie, l’Espagne et les pays de l'est de l'Europe qui ont annoncé des programmes à différents stades montrant un revirement d’une politique sur l’atome.

Pourquoi ce retour en grâce ?

Tout simplement le dérèglement climatique. Car si les énergies renouvelables sont une part de la solution, dès la COP 28 en 2023 il avait été conclu : « on ne peut pas atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050 sans nucléaire ». C’est alors que 22 États s’étaient engagés à tripler la capacité nucléaire mondiale installée à cette date. L’Agence Internationale de l'Énergie (IEA en anglais) plus réaliste tablait sur un facteur 2,5, soit tout de même 990 GW opérationnels en 2050.

Une compétition féroce à l’international

Entre les Européens et le reste du monde la concurrence s’annonce intéressante ! Aux États-Unis avec D. Trump on ne cache plus les ambitions : prolongation des centrales, nouveaux réacteurs, courses aux Small Modular Reactors (SMR). L’objectif est de 400 GW de capacité en 2050. La Chine qui n’a jamais arrêté de construire, a, en 2025, 18 réacteurs en construction. La Russie (absente du WNE pour cause de guerre) qui dispose de 36 réacteurs, en a 4 en construction et, grâce à la société « Rosatom », elle reste un des principaux exportateurs de centrales et d’uranium enrichi. D’autres pays tels que l'Inde et le Japon après la catastrophe de Fukushima se relancent dans de nouveaux réacteurs. De même le Brésil, la Turquie, les Émirats-Arabes Unis, la Slovaquie, l'Ukraine, présents à Paris se sont lancés dans de nouvelles constructions. La Grande-Bretagne a entrepris à Hinkley Point avec EDF la construction de deux EPR troisième génération. En France, la construction de six nouveaux réacteurs EPR2 a été acté ,dont deux à Penly (76) où de gigantesques travaux de génie civil ont commencé, pour une entrée en service en 2038. Par ailleurs Orano investi 1,8 milliards d'euros pour l’extension au Tricastin de l’usine Georges-Besse II pour un enrichissement poussé de l’uranium (1) afin de ne plus devoir dépendre de la Russie. Par ailleurs, dans la Manche, est en projet une giga-usine de retraitement pour fabriquer du Mox pour les futurs réacteurs.

Les financements et les SMR

Tout cela demande des investissements. Pour le programme français des EPR2,  la Cour des comptes estime à 75 milliards d’euros les besoins. Avec des finances en compote, l’État envisage des partenariats public–privé. L’inspiration vient d’au-delà de la Manche où pour les réacteurs EPR de Sizewell C, la Caisse des dépôts du Québec, l’énergéticien Centrica, EDF et un fonds britannique Amber Infrastructure détiennent le capital. Devant ces sommes gargantuesques, et même si la Banque mondiale et l’Europe peuvent financer, l’autre solution est de réduire plus modestement la puissance : au lieu d’environ 1000 MW installés, viser 20 à 200 MW et envisager des productions de séries pour diminuer les coûts. C’est l’émergence des SMR qui depuis 2020 fait causer dans le « Landernau » des nucléaristes. Ce sont plus de 70 projets ou réalisations qui sont en cours depuis 2019. En France le concours Lépine des SMR a été lancé en 2022 et a accouché de dix pépites dont Naarea, Hexana, Newcleo, Stellaria… :

  • JIMMY, un réacteur Graphite Gaz haute température (retour vers le futur ?) de 20 MW générateur de chaleur pour l’industrie avec un premier client sucrier.
  • NUWARD, un réacteur à eau pressurisée de 2 x 170 MW, s’appuyant sur l’expérience des réacteurs de propulsion pour la Marine avec un design compact entre la cuve et la chaudière est soutenu par un consortium Naval Group, TechnicAtome, Framatome, EDF et CEA. L’autorité d’évaluation demande un nouveau design moins risqué avec des briques technologiquement éprouvées.

Cette remise à plat en juillet 2024 retarde l’unique projet européen de SMR alors que la Russie commercialise déjà ses « barges » capable d’électrifier des villes côtières, et que les États-Unis avec TerraPower de Bill Gates construit un SMR à neutrons rapides refroidis au sodium ! Un comble, là où l’expérience française a diffusé mondialement !

Les neutrons rapides ou la saga d’un désastre français

Le principe du « surgénérateur » était connu depuis que le génial physicien Enrico Fermi avait posé les bases du principe (2). Lorsque des neutrons frappaient l’uranium 238 (99,6% de l’uranium naturel) ils le transformaient en matière fissile dont le plutonium 240 qui à son tour générait des neutrons qui… etc.

En France une équipe de physiciens du CEA lance à Cadarache un réacteur expérimental, Rapsodie, qui diverge début 1967. Il fonctionne avec comme combustible un mélange de Mox contenant du Pu avec comme fluide refroidisseur le sodium fondu. Il fonctionnera une quinzaine d’années apportant un grand nombre de connaissances sur la technologie sodium.

La deuxième étape a consisté à construire un démonstrateur industriel de 250 MW de puissance électrique connecté au réseau fin 1973. Phénix fonctionnera ainsi durant 35 ans avec des arrêts prolongés pour réparation et ajustement de la sureté pour le sodium. Il fonctionnera aux 2/3 de sa puissance de 2005 à 2009. Il apportera tout un lot de connaissances sur le fonctionnement des Réacteurs à Neutrons Rapides (RNR) au sodium. Le Pu généré a été recyclé in situ et Phénix a donné expérimentalement un taux de surgénération de 1,16.

En 1976, sur le site de Creys-Malville, commence l’aventure de Super-Phénix (1200 MW) en collaboration entre EDF, et deux sociétés, Enel italienne et SBK allemande. Après divers incidents administratifs et manifestations antinucléaires, il est raccordé au réseau début 1986. Après plusieurs incidents de fuite au sodium, il est arrêté puis redémarré en 1989 puis 1991. Un rapport de Hubert Curien souligne la possibilité d’y brûler les déchets radioactifs et permet son redémarrage en 1994. Il fonctionnera très bien à 95% en 1996 mais il sera arrêté en juin 1997 par Lionel Jospin. La gauche plurielle et D. Voynet ont fait une grosse erreur qui va obérer l’avenir, mais les anti-nucléaires ont gagné et la science et la France ont perdu.

Il faudra attendre 2010 pour que le CEA avec un partenariat privé se lance sur la définition d’un démonstrateur RNR de 600MW, « ASTRID » (pour Advanced Sodium Technology Reactor for Industrial Demonstration) (3). Il sera définitivement arrêté en 2019 (par l’administrateur du CEA F. Jacq) au prétexte que les investissements nécessaires n’étaient pas utiles compte tenu du prix de l’uranium. Les critiques ont plu sur ce manque de vision à long terme, le prix de la livre ayant dépassé 100 $ en 2025 (prix multiplié par 4 en 5 ans).

La France dispose pourtant d’un trésor : 400 000 tonnes d’uranium 238 appauvri et 60 tonnes de plutonium déjà séparés par l’usine de La Hague (4). Cela permettrait d’ores et déjà de démarrer une petite dizaine de RNR et de disposer de réserves énergétiques pour fournir durant plus de 1000 ans les besoins en électricité de l’Hexagone. Les experts traduisent en termes énergétiques les 400 000 tonnes d’uranium 238 qui peuvent devenir fissiles dans les RNR à 900 milliards de tonnes d’équivalent pétrole, soit les réserves mondiales de « l'or noir ».

Aux dernières nouvelles le président Macron a demandé à Orano, au CEA, et aux industriels du secteur de lui remettre un projet industriel fin 2025 d’un prototype RNR envisageable en 2028. ASTRID, la résurrection ?

Qui pour relancer le nucléaire ?

Si plaie d’argent n’est pas mortelle, il faut cependant trouver les bras pour construire, monter, étudier, réguler, faire marcher ces nouveaux réacteurs, et c’est là que le bât blesse. On l’a vu avec les retards incroyables à Flamanville (on paye 40 ans d’inculture et de pertes de compétences par ces années d’obscurantisme). Là où la Chine pour soutenir son programme nucléaire forme 1000 ingénieurs par an, d’après les experts il faudrait en France 100 000 nucléaristes d’ici 2050. Déjà, à EDF, il manque des techniciens et ingénieurs capables de conduire le parc actuel et il faudra embaucher plus pour les nouveaux équipements. Selon le GIFEN, qui est le syndicat professionnel de l'industrie nucléaire française, le secteur devrait recruter 3500 ingénieurs chaque année !

Il semble heureusement que du côté chimie il existe des formations qui voient depuis quelques temps le nombre d’étudiants progresser (5). À Chimie ParisTech un master (1&2) commun avec l’université PSL et Paris-Saclay sur le génie nucléaire et le combustible est proposé. À Montpellier, l'ENSCM a une option chimie pour le nucléaire et l’environnement. Plusieurs autres écoles d'ingénieurs ouvrent ou renforcent leur formation en énergie et génie nucléaire telles que Phelma à Grenoble, les Arts et Métiers, l'UTBM à Belfort Montbéliard, l'INSA Rouen Normandie, l'ENSEM à Nancy, l'ENSICaen, Polytech Sorbonne, l'ESIX Normandie…. Cette dernière veut former plusieurs milliers de professionnels. À Saclay, l’INSTN délivre toujours en 1 ou 2 ans des diplômes spécialisés sur le nucléaire, soit en spécialité après le diplôme d’ingénieur, soit pour les techniciens.

Après avoir failli disparaître le nombre de candidats est en forte augmentation à l'IMT Atlantique, la formation ingénierie nucléaire forme en 2025 50 ingénieurs spécialisés alors qu’il n’y en avait que 8 en 2017. À l’École polytechnique on constate un regain d’intérêt pour les cours en lien avec le nucléaire.

Est-ce que ces efforts d’enseignement seront suffisants ? On manque d’enseignants formés sur ces thèmes. Et les nombreuses voix de radicaux antinucléaires relayées par les médias depuis de nombreuses années pèsent encore sur le choix des jeunes.

Jean-Claude Bernier
Novembre 2025

Pour en savoir plus
(1) De l’uranium à l’énergie nucléaire, animation sur le site du CEA
(2) Rendez-nous les neutrons rapides, J.-Cl. Bernier, éditorial (Mediachimie.org)
(3) ASTRID démonstrateur technologique du nucléaire de 4e génération, F. Gauché, Clés du CEA n° 61 (2013)
(4) La chimie pour la séparation et la gestion des déchets nucléaires, B. Boulis, colloque Chimie et enjeux énergétiques, novembre 2012)
(5) Les chimistes dans : le monde dans l’énergie nucléaire, F. Brénon G. Roussel, série Les chimistes dans… (Mediachimie.org)

 

Crédit illustration : Centrale de Flamanville (2023). Réacteur 3 (EPR) au premier plan, réacteurs 1 et 2 en arrière plan.JKremona, travail personnel, Wikimedia Commons, Licence CC BY-SA 4.0