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Utilisé pour l'alimentation humaine, le beurre, au milieu du XIXe siècle, était rare, donc cher et se conservait mal. Trouver un produit de même valeur nutritive, ne présentant pas ces inconvénients, était nécessaire pour la marine ou les armées. Cette prise de conscience conduisit Napoléon III à lancer un concours, dont le lauréat fut, en 1869, le pharmacien Hippolyte Mège, l’inventeur de la margarine.

L’inventeur et sa démarche inventive

Né à Draguignan le 24 octobre 1817, fils d'instituteur, Hippolyte Mège se forme à la pharmacie par apprentissage, successivement à Draguignan, Aix-en-Provence, puis Paris. Il sera ensuite interne à l'Hôtel-Dieu.

Passionné par la recherche, Hippolyte Mège (qui adjoindra à son nom celui de sa mère : Mouriès) se révèle un inventeur fécond, déposant, à partir de 1840, de nombreux brevets couvrant des inventions dans les domaines de la pharmacie, de l'alimentation, de la diététique et de la chimie. Ses résultats lui vaudront de nombreuses récompenses et distinctions, dont la Légion d'Honneur remise en personne par l'Empereur en 1861. C'est donc un chercheur confirmé qui répond en 1869 au concours « Découvrir un produit propre à remplacer le beurre ordinaire pour la marine et les classes peu aisées ».

Son invention résulte d'une observation fortuite, faite à la ferme expérimentale de Vincennes : le lait de vaches mises à la diète contient toujours des matières grasses. Celles-ci ne peuvent donc provenir que des réserves en graisse de l'animal, qui se trouvent émulsifiées au cours du métabolisme.

En s’inspirant des travaux de Chevreul, Hippolyte Mège travaille sur l'émulsification du suif en milieu aqueux jusqu'à obtenir un produit de point de fusion et de texture (tartinable) proches de ceux du beurre. Il lui donne le nom de « oléo-margarine », d'après le grec « margaron » (perle) et ine du fait de sa couleur nacrée, dépose un brevet le 15 juillet 1869.

Lauréat du concours, Mège poursuit ses travaux sur le développement du produit et son procédé de fabrication, mais ceux-ci sont temporairement interrompus par la Guerre de 1870.

Le développement d'un nouveau produit et de son procédé de fabrication

La commercialisation du produit n'interviendra qu'à partir de 1872, avec pour premier champ d'application celui de la Marine qui souffrait le plus des insuffisances en beurre. Dans l'intervalle, l'inventeur aura amélioré le produit en réalisant l'émulsification du suif dans du lait, et vendu son brevet à Anton Jurgens, négociant de beurre hollandais. Celui-ci s'associera alors à la firme Van den Bergh pour créer la société néerlandaise « Margarines unies » qui finalement, fusionnera en 1930 avec l'entreprise des frères Lever (savonneries) pour fonder le groupe anglo-néerlandais Unilever.

Le procédé de fabrication comporte comme étapes successives : la liquéfaction à chaud d’un corps gras, son émulsification en milieu à base aqueuse, la solidification du produit par refroidissement, son malaxage puis le conditionnement en pains ou barquettes.

Les retombées et l’industrie margarinière

À partir des années 1880, le nombre de margariniers explose. La première margarine de grande diffusion (société Astra) est produite en Normandie à partir de 1910. Le succès remarquable du produit n'empêchera malheureusement pas l’inventeur de terminer sa vie (1880) dans la pauvreté et l'oubli, à un point tel qu'aucun journal ne mentionnera son décès.

La production et la commercialisation de la margarine connaissent ensuite de nombreuses améliorations pour satisfaire les besoins et goûts des consommateurs et les exigences de la diététique et de la santé : utilisation de matières grasses végétales (huiles) en substitution aux matières grasses animales, optimisation des degrés d'hydrogénation pour maîtriser le point de fusion, choix d'huiles à teneur élevée en acides gras insaturés, notamment tournesol (1968), supplémentation en vitamines (1992), en stérols végétaux (2000) pour lutter contre l'hypercholestérolémie, enrichissement en acide gras comportant une insaturation sur le 3ème carbone à partir du groupe méthyle (surnommé « oméga 3 »), ou mise au point de produits allégés.

Tous ces produits, aussi sophistiqués soient-ils, correspondent tous à la définition légale européenne de la margarine : « Produit obtenu par mélange de matière grasse et d'eau, de lait ou de dérivés, se présentant sous la forme d'une émulsion renfermant au moins 80 g de matière grasse par 100 g de produit fini dont au plus 3% d'origine laitière » qui correspond en tous points à l'invention d' Hippolyte Mège-Mouriès.

 

Pour en savoir plus :

Auteur(s) : Texte : G. Emptoz  et G. Kimmerlin
Vidéo : Réalisation : François Demerliac ; Auteur scientifique : G. Emptoz  et G. Kimmerlin ; Production : Fondation de la Maison de la Chimie / Virtuel
Niveau de lecture : pour tous
Nature de la ressource : article
Mots-clés : Mège-Mouriès, corps gras, lipochimie, alimentation